LE ROSEAU D'OR OEUVRES ET CHRONIQUES 10 G. K. CHESTERTON HÉRÉTIQUES traduit de
LE ROSEAU D'OR OEUVRES ET CHRONIQUES 10 G. K. CHESTERTON HÉRÉTIQUES traduit de l'anglais par JENNY S. BRADLEY Introduction de HENRI MASSIS LIBRAIRIE PLON LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT Imprimeurs-Éditeurs — 8, rue Garancière, Paris, 6e INTRODUCTION Jamais le vieil adage qui assure que les livres ont leurs destins ne s'est mieux appliqué qu'aux traductions françaises des ouvrages de G. K. Chesterton. La plus paradoxale fan- taisie semble avoir réglé le cours de leur publication : rien de plus déroutant que la successive découverte qui nous en a été faite, rien de plus illogique aussi, même au point de vue de cette logique chestertonienne qui consiste à prendre les choses à l'envers pour montrer que c'est le bon côté. Non, il ne s'agit en l'occurrence que du hasard et de ses ca- prices; car, depuis l'étude de M. André Che- vrillon qui nous révéla le nom même de Chesterton, il y a plus de vingt ans, le soin de le traduire a été laissé à l'initiative toute fortuite des uns et des autres. L'admirable essai sur Dickens, édité pour la première fois en 1907, passa presque inaperçu. Paul Claudel, un des premiers fervents de G. K. Chesterton, dut renoncer à poursuivre la version d'Ortho- doxie, dont il publia un magnifique fragment a II HÉRÉTIQUES en 1910, et ce n'est qu'en 1923 que Charles Grolleau nous donna le texte intégral de ce grand livre. A la vérité, c'est par des romans comme le Nommé Jeudi (1909), le Napoléon de Notting Hill (1911), puis la Clairvoyance du Père Brown, la Sphère et la Croix que le public français a pris, dès l'abord, contact avec Chesterton. Quoi de plus déconcertant que de tels livres quand on ignore la conception du monde qu'ils illustrent, la philosophie où s'alimente ce fol humour et cette extravagante poésie? On dut attendre longtemps encore pour avoir un exposé de l'apologétique chesterto- nienne; mais les larges extraits que le P. de Tonquédec y donnait d'Hérétiques et d'Or- thodoxie, ces deux pièces maîtresses de l'oeuvre de Chesterton, ne pouvaient suppléer aux tra- ductions qui continuaient à nous manquer. Orthodoxie parut enfin et voici qu' Hérétiques va lui succéder, à plusieurs années de distance, après la Nouvelle Jérusalem, après Saint François d'Assise, après l'Homme éternel, c'est-à-dire après des ouvrages bien postérieurs et qui témoignaient de la récente conversion de l'écrivain anglais au catholicisme romain. Com- ment s'y reconnaître? A tout le moins le lecteur français qui chercherait à recomposer la dé- marche de la pensée de Chesterton, à retracer son itinéraire spirituel, d'après l'ordre où ses traductions ont vu le jour, risquerait de s'égarer fâcheusement. Hérétiques, pourrait-il penser, n'est-ce pas la suite nécessaire d'Orthodoxie? Après avoir INTRODUCTION III établi les fondements de sa doctrine, exposé ses raisons de croire, l'auteur a senti le besoin de mettre ses idées à l'épreuve de l'expérience, en les affrontant à celles de ses adversaires. Pour un polémiste de son espèce et qui possède une métaphysique à quoi il peut tout rapporter, quel incomparable instrument de combat ne devait-elle pas lui fournir! Ce serait, en fait, se méprendre, car dans l'ordre du temps, comme dans l'ordre de la pensée, Hérétiques a précédé Orthodoxie. Rien de plus révélateur de la démarche et du rythme d'un tel esprit. Faire table rase d'abord, cons- truire ensuite; vaincre avant de légiférer, voilà toute la méthode de Chesterton. Méthode induc- tive et concrète qui ne quitte jamais la ligne du réel; alors même qu'il voyage au pays des fées, qu'il semble folâtrer parmi les lutins, qu'il s'égare dans un club anarchiste ou dans un temple de Babylone, il est à la recherche d'une éthique humaine, d'une humble vérité qui nous serve à mieux vivre. Aussi la recon- naissance et l'investissement des positions « hérétiques » devaient-ils devancer son adhé- sion à l' « orthodoxie ». C'est à redresser avec une violence allègre les gens qui pensent de travers qu'il s'est avisé de la façon de penser droit; c'est en renversant les idoles du sub- jectivisme et du déterminisme, de l'anarchie et de la tyrannie, c'est en dirigeant ses coups contre l'humanitarisme sentimental et le culte inhumain du surhomme qu'il s'est avisé de la trempe de l'arme qu'il tenait en main et IV HERETIQUES qu'il avait saisie, il le reconnaît lui-même, quelque peu à l'improviste. Qu'était G. K. Chesterton lorsqu'il engagea ainsi le fer contre les plus notoires de ses contemporains, les Wells, les Bernard Shaw, les Kipling? C'était un homme de gauche, dirions-nous. Journaliste et critique aux libé- rales Daily News, libéral lui-même, indépen- dant par goût, polémiste par vocation, poète et artiste, de surcroît. Doué d'une intuition merveilleuse, d'une étonnante jeunesse de re- gard, il découvre partout dans la riche subs- tance de la réalité ces accords admirables, ces correspondances mystérieusement apparentées qui nous relient au monde et que nous ne savons plus reconnaître. Bien décidé à jeter bas le mur maussade qui cache la splendeur de l'univers créé, il s'est fait tout de suite une belle réputation d'anarchiste et de démolisseur... Le voilà qui se lance soudain dans une nou- velle bataille et se porte avec fougue contre tout ce qui lui paraît malsain, excessif, insincère, contre les superstitions du commun et contre le snobisme des happy few, contre tout ce qui irrite son sens inné du naturel et de l'humain, car il aime la vie, il aime l'homme, il aime la création, d'un amour qui ne les sépare pas et où il puise, comme un vin fort, son énergie et son audace. Dès l'abord, il combat pour le plaisir, par une sorte d'exu- bérance, de plénitude, de joie de vivre : il s'amuse et amuse le spectateur qui ne sait pas où il va. Le sait-il davantage lui-même? Mais, INTRODUCTION V au fort de l'engagement, il s'aperçoit que, pour toucher si juste et si souvent, sa virtuosité dia- lectique n'a pas dû lui suffire : la qualité de l'arme qu'il manie ne laisse pas de l'étonner. Un instrument de combat qui sert tout ensemble à confondre Wells et Kipling, Nietzsche et Shaw, l'athée et le puritain, le socialiste et le jingoïste, n'a-t-il pas quelque chose d'enchanté? Et peu à peu l'on sent s'affermir la confiance de l'escrimeur, plus sûr de sa lame que de sa propre science. Il va désormais plus avant, il pousse au centre de toutes les contradictions, cherchant à atteindre l'essentiel sous la circonstance, l'éternel sous le transitoire, bien décidé à ne se contenter de rien, si ce n'est de tout. Que veut-il et quelle passion le mène? Sous son allure paradoxale, et alors qu'il semble tracer en l'air de surprenantes arabesques, on lui découvre une étrange gravité. Que demande- t-il à l'adversaire en le saluant ainsi de son arme? Qu'il engage, dans le défi, sa foi, ses idéaux, sa conception de l'univers. Il ne lui permet pas d'échappatoire, il ne lui cède pas un pouce de terrain; il vise droit à la tête et au coeur, car il s'agit d'un duel où la valeur ultime de la vie humaine est en cause; et, par là, il manifeste l'importance et la dignité du combat. Parce qu'il a devant lui des écrivains, des artistes, des poètes, des inventeurs de fables et de figures, certains seraient tentés de ne croire qu'à un jeu d'escrime. Mais Chesterton VI HERETIQUES met l'art, la poésie, le roman, parmi les choses grandes et qui ne sauraient, sans déchoir, éluder ce qui fait leur grandeur. Demander à un artiste quelle est sa philosophie, exiger qu'il en ait une, n' est-ce pas la plus noble façon d'honorer son art et sa personne? Ce serait singulièrement mépriser un auteur que de traiter sans sérieux ce qu'il nous donne comme le fruit de sa méditation, le trésor de son âme. Priver une oeuvre de ses conséquences, c'est frustrer un écrivain de son acte, c'est se conduire à son endroit de manière humi- liante. Comment croire, sans lui faire injure, qu'un homme qui publie des livres veuille être pris pour quelqu'un qui n'a rien à nous dire? La gratuité de l'art n'est tout de même pas si gratuite qu'elle rabaisse l'artiste au rôle de chien savant, et il serait suprêmement dis- courtois de lui faire le succès qu'on accorde à ces animaux bien dressés. Quand nous disons d'un auteur que nous l'aimons ou que nous le détestons pour les idées qu'il exprime, nous donnons de notre sentiment la plus digne des raisons et nous lui apportons le plus noble des témoignages; car s'il nous a convaincu, ce ne peut être que pour ses convictions ; si nous les rejetons, ce ne peut être que pour les nôtres et parce que nous les trouvons meilleures : du même coup, nous avons le droit et le devoir de combattre les siennes. Tel est le code de l'hon- neur intellectuel que pratique Chesterton : il entre en lice avec ses idéaux, ses croyances, ses buts, enivré de les sentir solides, joyeux de les INTRODUCTION VII affirmer avec force, de mettre à mal ceux qui le contredisent, car il uploads/Litterature/ gilbert-keith-chesterton-heretiques.pdf
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- Publié le Jan 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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