Christian Vandendorpe Du papyrus à l’hypertexte Essai sur les mutations du text
Christian Vandendorpe Du papyrus à l’hypertexte Essai sur les mutations du texte et de la lecture Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des sciences humaines et sociales, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. L’auteur remercie les Collections spéciales des bibliothèques de l’Université d’Ottawa et de Queen’s University (Kingston), qui lui ont généreusement ouvert leurs trésors. © Boréal (Montréal) La Découverte (Paris) 1999 ISBN 2-89052-979-7 Cette édition électronique reproduit presque exactement l’édition originale. Licence GFDL pour la version électronique seulement. Table des matières Présentation 9 Au commencement était l’écoute 13 Écrit et fixation de la pensée 17 Puissance du signe écrit 19 Écriture et oralité 23 Normes de lisibilité 27 Linéarité et tabularité 39 Vers la tabularité du texte 49 Contexte, sens et effet 69 Filtres de lecture 83 Textualité : forme et substance 87 Articulations textuelles 93 Instances énonciatives 97 De l’interactivité au langage hors jeu 103 Variétés de l’hypertexte 113 Contexte et hypertexte 123 Des limites de la liste 127 Vers une syntaxe de l’hyperfiction 131 Lecture de l’image 139 L’écrivain et les images 149 Montée du visuel 153 Du point et des soupirs 157 Op. cit. 163 Lecture intensive et extensive ou les droits du lecteur 167 Représentations du livre 173 Stabilité de l’écrit 179 Spatialité de l’écrit et contrôle du lecteur 181 Le CD-ROM : un nouveau papyrus ? 189 Retour à la page 193 Nouvelles dimensions du texte 199 Métaphores de la lecture 203 Mieux gérer les hyperliens 209 Frontières du livre 211 Lecteur, usager ou consommateur de signes? 217 Je clique, donc je lis 223 Entre codex et hypertexte 231 Bibliographie 249 Pourquoi premier chapitre? Il serait aussi bien partout ailleurs. D’ailleurs, je dois avouer que j’ai écrit le huitième chapitre avant le cinquième, qui est devenu ici le troisième. Charles Nodier, Moi-même Présentation J usque vers la fin des années soixante-dix, on pouvait encore croire que l’ordinateur n’aurait d’effet que sur les domaines scientifique et technique. On se rend compte aujourd’hui que cet appareil et les technologies qui l’accompagnent sont en train de révolutionner la façon même dont notre civilisation crée, emma gasine et transmet le savoir. À terme, cette mutation transforme ra l’outil le plus précieux que l’homme ait inventé pour construire ses connaissances et élaborer son image de soi et du monde: le texte. Et comme celui-ci n’existe qu’en fonction de la lecture, les mutations du premier auront des répercussions sur la seconde, de même que celles de la seconde entraîneront nécessairement la mise en place d’autres modes de textualité. On ne lit pas un hypertexte comme on lit un roman, et la navigation sur le Web procure une expérience différente de la lecture d’un livre ou du journal. C’est à ces bouleversements qui touchent tous les plans de notre civilisation qu’est consacré cet ouvrage. Celui-ci s’inscrit au croisement de travaux de plus en plus nombreux qui portent sur l’histoire de la lecture (Chartier, Cavallo, Manguel, Quignard, etc.), l’hypertexte (Aarseth, Bolter, Landow, Laufer, etc.), l’ordre de l’écrit (Christin, Ong, Derrida), la “ fin ” du livre et la médiolo gie (Debray). 8 CHRISTIAN VANDENDORPE La problématique abordée posait inévitablement la ques tion du “ format ” ou, si l’on préfère, du média. Fallait-il opter pour un livre ou pour un hypertexte? Même si l’absence de maturité de ce dernier justifie en dernière analyse le recours au support papier pour cet ouvrage, il pouvait paraître inconséquent de ré fléchir à l’aide d’outils anciens sur un phénomène aussi important pour notre civilisation que la révolution numérique et hypertex tuelle. Quelle serait la valeur d’un point de vue qui ne serait étayé par aucune expérimentation? Le lecteur ne pourrait-il pas soup çonner l’essayiste d’être biaisé à l’égard du nouveau média, de mener un combat d’arrière-garde ou de prêcher pour sa chapel le? Par honnêteté intellectuelle, autant que par esprit de recher che, l’essentiel de la présente réflexion a donc été d’abord rédigé à l’aide d’un outil d’édition hypertextuelle développé à cette fin et dont les fonctions se sont raffinées au fur et à mesure que se précisaient les besoins. Ce n’est qu’à l’étape finale de la rédaction que les pages ainsi créées ont été intégrées dans un traitement de texte et retravaillées en vue d’une publication imprimée. Une telle démarche était nécessaire pour éprouver de première main les conséquences du choix d’un média sur l’organisation interne et sur le contenu même de la réflexion proposée ici. Si le livre a d’emblée une fonction totalisante et vise à saturer un domaine de connaissances, l’hypertexte, au contraire, invite à la multiplication des hyperliens dans une volonté de sa turer les associations d’idées, de “ faire tache d’huile ” plutôt que de “ creuser ”, dans l’espoir de retenir un lecteur dont les intérêts sont mobiles et en dérive associative constante. Chaque concept convoqué à l’intérieur d’un hypertexte est ainsi susceptible de constituer une entrée distincte qui, à son tour, pourra engen drer de nouvelles ramifications ou, plus justement, de nouveaux rhizomes. Il faut ajouter à cela que, par sa nature, un hypertexte est normalement opaque, à la différence du livre qui présente des repères multiples et constamment accessibles. Il en découle que la dynamique de lecture est très différente d’un média à un autre. Alors que la lecture du livre est placée sous le signe de 9 DU PAPYRUS À L’HYPERTEXTE la durée et d’une certaine continuité, celle de l’hypertexte est caractérisée par un sentiment d’urgence, de discontinuité et de choix à effectuer constamment. En fait, chaque lien hypertextuel remet en question l’éphémère contrat de lecture passé avec le lecteur : celui-ci poursuivra-t-il sa quête en cliquant sur l’hyper mot ou abandonnera-t-il? Cette dynamique de la lecture entraîne forcément des répercussions sur la mise en texte, tant le scripteur a tendance à moduler sa réflexion sur la forme anticipée d’attention qui lui sera accordée. Dans le cas qui nous occupe, le passage du format hypertexte au format livre a engendré des regroupements consi dérables et une plus grande cohérence des points de vue, l’éli mination d’un bon nombre de redondances et des modifications d’ordre énonciatif dans les renvois internes. Toutefois, l’ouvrage est sans doute encore fortement marqué par la forme première sous laquelle il a été conçu. Au lieu d’être organisé selon une structure arborescente, il se présente sous la forme de blocs de texte, qu’on peut aussi voir comme des chapitres, ou mieux en core comme des entrées offertes à la réflexion — ce qui rappro che cette entreprise du genre de l’essai. La version hypertextuelle contenait de nombreux liens d’une page à une autre, ce qui per mettait au lecteur de suivre le fil associatif le plus approprié. Pour la version papier, il a évidemment fallu renoncer à cette logique associative, ce qui a rendu plus aigu le problème de l’agencement des entrées. L’ordre chronologique ne convenait pas, du fait que la plupart de celles-ci ne relèvent pas d’une perspective historique. Un ordre logique n’était pas plus évident, car plusieurs points de vue s’entrelacent ici. Fallait-il alors choisir l’ordre alphabétique? Depuis plus de huit siècles, c’est celui qui indique au lecteur qu’il n’y a pas d’ordre imposé, comme dans les dictionnaires. Mais il serait inexact de croire que les chapitres de ce livre sont indépen dants les uns des autres. En fait, il a été possible de les regrouper en diverses grappes en fonction des thématiques abordées, entre lesquelles on découvrira une continuité certaine et qu’il est donc recommandé de lire de façon séquentielle. 10 CHRISTIAN VANDENDORPE Le lecteur pourrait aussi choisir de naviguer à partir de l’index, en explorant d’abord les entrées les plus denses. De même, sous la forme de l’hypertexte, les pages qui présentent le plus d’affinités entre elles sont celles qui possèdent le plus d’hy permots pointant réciproquement de l’une à l’autre. On verra ainsi que l’entrée “ tabularité ” est la plus importante. S’il y a un fil conducteur dans cet ouvrage, c’est bien là qu’il faut le cher cher, et dans le concept opposé qu’est la linéarité. En spatialisant l’information, le texte tabulaire permet à l’œil de se poser où il veut et au lecteur d’aller directement au point qui l’intéresse. À ce concept sont étroitement liées les notions de codex et de volumen, et naturellement celle d’hypertexte. L’ensemble de cet ouvrage est évidemment dominé par la question de la lecture, qui est abordée sous les divers angles du sens et de l’effet, du contexte, de la lisibilité, des filtres cognitifs et des automatismes. La façon dont on conçoit la lecture détermine aussi, en derniè re analyse, la mise en forme du texte et la part de contrôle que l’auteur accepte de donner au lecteur ou qu’il choisit de se réser ver. Sur ce plan, l’ordinateur a le pouvoir de bouleverser radicale ment la donne établie par des millénaires de culture écrite. Un écueil auquel se heurte le projet poursuivi ici, et qui explique aussi la forme éclatée de cet ouvrage, est l’impossibi lité de uploads/Litterature/ papyrusen-ligne.pdf
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- Publié le Jui 16, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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