Entretiens avec Jean-Louis de Rambures Jean-Louis Tissier Jean Roudaut Jean Car

Entretiens avec Jean-Louis de Rambures Jean-Louis Tissier Jean Roudaut Jean Carrière Jean-Paul Dekiss Bernhild Boie José Corti 2002 ENTRETIEN AVEC JEAN-LOUIS DE RAMBURES 1970 J'écris de manière trop intermittente pour avoir une seule méthode de travail : il m'est arrivé plus d'une fois de passer une année et davantage sans m'y remettre. Quand j'écris, je ne travaille pas avec régularité - pas d'heures fixes -, j'évite seulement le travail d'après dîner, qui entraîne immanquablement l'insomnie : je mets beaucoup de temps à me débarrasser l'esprit de mon écriture du jour. J'essaie simplement, si j'écris un récit ou un roman, de ne pas trop espacer les jours de travail, espacement qui rend plus difficile de reprendre le récit dans le ton exact où je l'ai laissé. Pratiquement, jamais plus de deux heures de travail dans une journée; au-delà, j'ai besoin de sortir, d'aller me promener. Si j'écris un texte court, dont l'écriture demande à être très surveillée, la marche sert d'ailleurs souvent à la mise au point presque mécanique d'une phrase qui ne m'a pas laissé satisfait : elle produit l'effet d'une espèce de blutage. La phrase qui reste dans mon souvenir à la fin de la promenade - tournée et retournée le long du chemin - s'est débarrassée souvent de son poids mort. En la comparant au retour avec celle que j'ai laissée écrite, je m'aperçois quelquefois qu'il s'est produit des élisions heureuses, un tassement, une sorte de nettoyage. J'ai plutôt des habitudes et quelques exigences matérielles. Je n'écris pas dans le bruit, dans les lieux agités et remuants, jamais dehors. Pas d'allées et venues ; une pièce close et tranquille, la solitude; j'écrirais difficilement ailleurs que devant une fenêtre, de préférence à la campagne, avec une vue étendue devant moi, un lointain. De quelle manière écrivez-vous ? Je veux dire: comment se présente une page de votre manuscrit ? - Rien ne vous sera caché : j'écris comme presque tout le monde, en commençant par le début et en finissant par la fin ; la seule exception s'est produite quand j'ai écrit une fois une pièce de théâtre. J'écris lentement et laborieusement, un peu en boule de neige. La phrase se charge presque toujours, à peine ébauchée, de rejets et d'incidentes qui tendent à proliférer et qu'il me faut ensuite élaguer en partie. Je rature mal. Presque toujours, pendant que je travaille à une phrase, je jette dans la marge une amorce ou un fragment qui concernent la phrase suivante : une espèce d'appât. Vous écrivez rarement. Qu'est-ce qui vous décide à vous mettre à l'œuvre, à entreprendre un livre ? - Il faut distinguer. Un essai, un pamphlet, un livre de critique, ce n'est pas grand-chose de préoccupant: une fois commencé, on sait que cela se fera toujours, qu'on en viendra à bout, c'est plutôt agréable. Assez souvent, ce genre de livre est venu pour moi d'une sollicitation extérieure : on m'a proposé un sujet - une préface, un livre pour une collection -, cela m'a plu. Un texte court, comme un poème en prose, c'est ce qu'il me plairait le mieux d'écrire ; c'est fini dans la journée ; on dort bien. Malheureusement l'envie ne m'en vient pas souvent. Un récit, un roman, c'est autrement aventureux. D'abord, c'est une hypothèque consentie pour des mois, même pour des années quelquefois, sur votre tranquillité, sur votre insouciance: on en a toujours plus ou moins l'esprit occupé. Puis, le travail s'accompagne pour moi d'une espèce d'anxiété : la crainte que le récit ne se bloque, qu'on n'en vienne pas à bout ; pour tous mes récits ou romans d'ailleurs, ce blocage s'est produit, en général, vers les deux tiers du livre, j'ai dû m'arrêter alors d'écrire, quatre ou cinq mois, avant de reprendre et de terminer. Il m'est arrivé aussi une fois que cela ne reprenne pas. Pour moi alors, c'est fini. Je ne peux pas écrire un livre, reprendre un sujet d'une manière différente : il y a toute une région de souvenirs, d'émotions, d'images, que le livre - manqué, ou mené à bien - a asséchée d'un coup : c'est fini. Avant d'écrire Un balcon en forêt, j'avais gardé des souvenirs très vivants, très intenses de la guerre, maintenant, je remarque qu'ils sont devenus plus flous, et surtout inertes, sans écho, sans prolongement. En écrivant des romans, on s'appauvrit. Alors - pour moi en tout cas - il ne faut pas s'y mettre à la légère, il faut vraiment en avoir très envie. Je sais que je n'en ai guère à écrire. Ce sont là plutôt vos répugnances à écrire. Mais pourquoi en avez-vous le besoin ? - Je l'ai dit, c'est tout à fait intermittent, et, s'il s'agit d'un roman, je crois bien que je retarde volontiers le moment de m'y mettre: les occasions de faire plutôt autre chose sont alors toujours bien accueillies. J'aime bien garder l'esprit vacant. Mais il vient un moment où il faut s'y mettre, sans doute parce qu'une idée, un projet, revient, se présente avec insistance: plutôt vague, même assez informe, un peu comme une pente qu'on voit s'amorcer devant soi et où on sent qu'on glisserait en roue libre. J'ai une imagination très pauvre pour les histoires, les intrigues bien agencées. À ce moment, il suffit d'un signal, d'un déclic que déclenche le hasard; cela peut être n'importe quoi; une rencontre, une promenade, un paysage. Souvent cela vient d'un autre livre : Le Rivage des Syrtes doit quelque chose non pas au Désert des Tartares, comme on l'a souvent dit (alors que je ne le connaissais pas), mais au début de La Fille du capitaine, de Pouchkine, début que j'aime beaucoup. Pour Un balcon en forêt, il y avait sans doute depuis longtemps quelque chose que j'avais envie d'exprimer: le souvenir de la « drôle de guerre », d'une espèce de morte-saison de l'âme tout à fait particulière. Puis, j'ai été faire, un jour, une longue promenade à pied en Ardenne : cela m'a frappé. Mais le déclic, je crois, a été quelques lignes d'Aragon dans Les Communistes, où il parle des maisons fortes de l'Ardenne, dont je ne connaissais pas l'existence. Alors, le livre s'est enclenché, probablement. J'y repense, parce qu'il y avait pour moi dans cette image un symbole très simple, un condensé significatif qui me parlait beaucoup: la guerre au sous-sol, la paix au premier étage. Tout cela d'ailleurs est on ne peut plus capricieux et sans règle. Une heure avant de commencer à écrire mon premier livre, au contraire, je crois bien que je n'y pensais pas du tout. En fait, je n'avais jamais encore songé sérieusement à écrire, et j'avais déjà vingt-sept ans. Vous avez été marqué par le surréalisme. Quelle est la part du rêve dans ce que vous écrivez ? - Très faible. Je fais rarement des rêves intéressants, des rêves dont le souvenir persiste. Je ne suis pas non plus très observateur; je me promène, je regarde beaucoup, mais je ne connais pas les noms des plantes, des oiseaux. Un lieu, une personne, un paysage, une promenade, j'en garde plutôt une impression synthétique très unifiée : rien qu'un climat, un espace, un éclairage, une espèce de note musicale très précise : c'est cela que j'essaie de retrouver ou de rendre, si j'écris. Avez-vous du plaisir à écrire ? - Il est bien difficile de dire si c'est agréable ou désagréable. Je ne sais vraiment pas trop. C'est absorbant, alors quand on s'y est mis, la question ne se pose plus guère. Ce qui est agréable, c'est de recopier, de mettre au net, quand le livre est fini (j'écris toujours à la main). J'en ai parlé une fois avec Gaston Bachelard : il était de la même opinion. ENTRETIEN AVEC JEAN-LOUIS TISSIER 1978 Dans « Lettrines 2 » ou à l'occasion d'entretiens radiophoniques, vous avez rappelé votre formation de géographe. Ce choix de la géographie peut paraître singulier car cette discipline était, dans l'université, subordonnée, sinon secondaire (on peut rappeler l'absence, avant guerre, d'une agrégation de géographie). Rétrospectivement, voyez-vous ce qui dans cette discipline a pu vous attirer? - Je crois que cela ne s'est pas fait en une fois. Il y a des origines lointaines à ce goût pour la géographie. Il y a certainement la lecture de Jules Verne qui a été une passion d'enfance. C'était pour moi une espèce de Livre des Merveilles. Les données morphologiques, bien sûr, n'y sont pas très solides, mais on y trouve des remarques encore presque valables sur les types de temps, les glaces polaires, ou même les formations végétales. J'ai eu assez vite le goût de regarder les paysages. Si je voyageais, il était assez difficile de me décoller de la vitre du wagon. Mais tout cela n'a pas été déterminant. Il y a eu certainement l'année de première où on étudiait la France. J'avais un bon professeur, et puis il y a eu la révélation de la carte géologique. J'ai toujours eu le goût des cryptogrammes, des clés qui permettent de déchiffrer un message uploads/Litterature/ gracq-julien-entretiens-2012-corti.pdf

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