Pratiques : linguistique, littérature, didactique Images du scripteur et rappor

Pratiques : linguistique, littérature, didactique Images du scripteur et rapports à l’écriture Yves Reuter, Isabelle Delcambre Résumé La notion d’image du scripteur permet d’articuler des analyses et des points de vue d’ordres théoriques différents sur l’écriture : analyses linguistiques et textuelles des écrits, analyses sociologiques des pratiques, ordre psychosociologique des discours sur les pratiques, ordre psychologique des fonctionnements cognitifs. Elle permet de constituer en système les dimensions du sujet-scripteur, celles du texte comme objet d’analyse ainsi que des perspectives liés à l’activité du lecteur-récepteur. Elle ouvre ainsi de nouvelles voies de recherche pour la didactique du français dans l’analyse des tâches d’écriture, l’interprétation des difficultés des élèves et celle des interventions des enseignants. Elle est cependant difficile à construire. Identifier une image (ou position ou posture) scripturale suppose de ne pas perdre de vue que les images produites / construites n’ont de pertinence que par rapport à un cadre donné dans une situation de travail précise et un cadre disciplinaire spécifique. Les auteurs en proposent une définition en distinguant différentes sortes d’images selon le mode de recueil des données (textes, pratiques, déclarations), leur objet (l’écriture en général ou telle tâche en particulier) et le mode de construction de ces données (par l’émetteur ou tel ou tel récepteur). Ces définitions sont pensées dans le contexte des apprentissages scolaires, ce qui débouche sur l’identification de classes de problèmes que la notion d’image scripturale permet de mieux cerner. L’article se termine par quelques propositions didactiques. Citer ce document / Cite this document : Reuter Yves, Delcambre Isabelle. Images du scripteur et rapports à l’écriture. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°113-114, 2002. pp. 7-28; doi : https://doi.org/10.3406/prati.2002.1942 https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_2002_num_113_1_1942 Fichier pdf généré le 17/01/2019 L'équipe THEODILE explore depuis quelques années les questions théoriques et didactiques liées à la lecture et à l'écriture, ainsi qu'aux relations lecture / écri- ture (1). Après avoir travaillé un certain temps sur la description, envisagée comme une conduite discursive « générale », non spécifique au champ littéraire, mais présente aussi dans des écritures théoriques, dans des écrits profession- nels, ainsi que dans des disciplines scolaires autres que le français, etc. (2), elle s'oriente depuis peu vers une problématique transversale à la production / récep- tion des textes, celle de la position ou posture du scripteur, celle du rapport à l'écriture et au texte, celle de l'image que le scripteur donne de ce rapport dans son texte (3). Le caractère paraphrastique de ces formules, qui n'ont d'autre but que de donner à voir ce dont il s'agit, est, en tout cas, l'indicateur qu'une construc- tion théorique est à élaborer, qu'une description des phénomènes que l'on peut classer dans ce champ notionnel est à faire. Le texte qui suit constitue une amorce de cette construction. Il se situe dans le prolongement des journées d'études consacrées au rapport à l'écriture selon les genres, les activités et les disciplines, organisées par les équipes THEODILE (Lille 3) et CEDILL (Louvain la Neuve) dont les résultats ont été publiés dans un récent numéro d'Enjeux (2001). Il est lié aux travaux en cours de l'équipe INRP qui, sous la direction de Christine Barré de Miniac et Yves Reuter, élabore des propositions didactiques pour « Apprendre à écrire dans les différentes discipli- nes au collège » (Barré de Miniac, Reuter, 2000), en interrogeant les activités écrites et le rapport à l'écriture des collégiens en français, histoire-géographie, sciences et vie de la terre et mathématiques. Enfin, il fait écho aux textes que nous avons publiés par ailleurs, qui proposent une première exploration du rap- port à l'écriture chez des étudiants de licence et de maîtrise (Delcambre, Reuter, 7 PRATIQUES N° 113/114, Juin 2002 IMAGES DU SCRIPTEUR ET RAPPORTS À L'ÉCRITURE Isabelle DELCAMBRE, Yves REUTER, Université Charles-de-Gaulle-Lille III Equipe THEODILE, EA 1764 (1) Voir, par exemple, Reuter, éd., (1994), Pratiques (1995). (2) Cahiers Pédagogiques (1999), Pratiques (1998), Reuter éd. (1998), Reuter (2000), Enjeux (2000). (3) Voir, notamment, Cahiers THEODILE (2001), Enjeux (2001). 2002) ou un premier cadrage de la notion d'image scripturale (Delcambre, Reuter, 2000), ici largement remanié. Nous présenterons d'abord les approches théoriques que l'on peut convoquer autour de la notion d'image du scripteur et nous efforcerons de montrer en quoi celle-ci intéresse la didactique du français. Nous exposerons ensuite un certain nombre de problèmes liés à l'usage actuel de cette notion dans les analyses de textes d'élèves ou d'étudiants, notamment en ce qui concerne la catégorisation et les modes d'analyse. Nous terminerons enfin sur la proposition d'une définition provisoire de l'image du scripteur et sur des pistes d'intervention didactique. 1. LE CONTEXTE THÉORIQUE Les notions de rapport à l'écriture et d'image du scripteur dans son texte sont issues de certaines recherches actuelles en didactique mais elles ne sont pas sans rapport avec des disciplines connexes comme la linguistique, la psycholo- gie, la sociologie et l'ethnologie. Ce sont ces rapports que nous allons essayer de préciser dans les lignes qui suivent. La notion d'image du scripteur permet en ef- fet d'envisager une articulation entre l'ordre de l'analyse linguistique et textuelle des écrits, l'ordre sociologique des pratiques, l'ordre psychosociologique des re- présentations ou discours sur les pratiques, et l'ordre psychologique des fonc- tionnements cognitifs. La multiplicité des référents théoriques et la diversité des modes de construction des objets d'analyse rend la question à la fois périlleuse et passionnante. A l'image de la multiréférentialité des théories de l'écriture, la no- tion d'image scripturale s'inscrit dans la lignée de ces objets didactiques qui obli- gent à croiser les points de vue théoriques. 1.1. Analyse des textes, observation des pratiques, recueil des discours : quelle méthode pour quel objet de connaissance ? En ce qui concerne l'analyse des textes, les images scripturales sont souvent construites par la mise en réseau des traces linguistiques de l'inscription du sujet dans son texte, traces de sa subjectivité, de ses valeurs ou de ses jugements. C'est aux théories de l'énonciation que l'on se réfère alors. La notion de point de vue, construite à partir et pour des textes narratifs, celle de polyphonie énoncia- tive, davantage convoquée pour des textes argumentatifs, apparaissent comme des cadres théoriques susceptibles d'élargir les analyses énonciatives à des pro- blèmes de gestion discursive qui tiennent compte de la multiplicité des énoncia- teurs textuels. L'objet construit par de telles analyses est strictement limité au texte ; le chercheur peut difficilement s'autoriser à inférer de ces analyses quoi que ce soit concernant le fonctionnement du sujet scripteur. Le recueil de discours ou l'observation des pratiques permettent d'aborder la question du sujet de l'écriture sous d'autres angles. Il faut distinguer ici l'observation directe et le recueil de discours. L'observation directe d'un scripteur pose de nombreux problèmes méthodologiques mais per- met d'éviter certains biais produits par les situations d'enquête ou d'interview. Les sociologues des pratiques culturelles ont depuis longtemps montré que les dis- cours sur les livres, les textes ou les pratiques de lecture et d'écriture sont « con- traints » par la situation d'enquête, par la bonne image que l'enquêté tente de don- ner de lui, par le point de vue qu'il a sur l'enquête et l'enquêteur (Mauger 1995). Cependant, le recueil de discours sur les pratiques d'écriture, par entretiens ou questionnaires, a aussi ses intérêts : il donne des éclairages sur le rapport du su- jet à l'écriture que l'analyse des textes ou la description des façons de faire peu- vent difficilement produire (Lahire 1993a, 1993b ; Barré de Miniac, 2000). 8 Si les discours des scripteurs sur leurs pratiques d'écriture, sur leur rapport aux textes et à l'écriture, sont en partie dépendants du mode de recueil mis en œuvre par le chercheur, il convient alors de spécifier ces modalités de construction des données. On peut distinguer dans ce domaine, plusieurs méthodes de travail : les entretiens se déroulent généralement en dehors de toute situation d'écriture, mais le questionnement peut aussi s'orienter vers la convocation d'exemples pré- cis à partir desquels peuvent émerger des faits d'écriture spécifiques. On distin- guera alors les discours généraux sur l'écriture des discours accrochés à une tâ- che précise, ou à une situation particulière. De même, pour échapper au piège du questionnement, voire à la fiction du questionnaire neutre et objectif (Richard- Zappella 1996), le chercheur peut vouloir s'approcher de démarches ethnogra- phiques en faisant élaborer, lors de pré-enquêtes, les questions et/ou les catégo- ries par des sujets proches des futurs enquêtés (Penloup 1999). Dans une perspective psychologique, l'observation directe des pratiques d'écriture peut permettre d'échapper à certaines limites des discours sur les prati- ques. On sait que les représentations sont des reconstructions opérées a poste- riori par le sujet dans un cadre donné. Les recherches en psychologie cognitive ont montré, de manière encore plus radicale, qu'il est impossible d'avoir accès, dans une conscience claire, à tous ses processus de travail. Certains chercheurs, cependant, construisent, dans le champ de la psychologie, des dispositifs d'ob- servation qui tentent d'approcher les « représentations en acte », de recueillir les verbalisations qui accompagnent l'activité d'écriture (Gufoni 1996) en espérant être au plus proche des opérations de pensée mises en œuvre. Le fait uploads/Litterature/ image-du-scrpteur-reuter.pdf

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