Philippe Hamon Pour un statut sémiologique du personnage In: Littérature, N°6,

Philippe Hamon Pour un statut sémiologique du personnage In: Littérature, N°6, 1972. Littérature. Mai 1972. pp. 86-110. Citer ce document / Cite this document : Hamon Philippe. Pour un statut sémiologique du personnage. In: Littérature, N°6, 1972. Littérature. Mai 1972. pp. 86-110. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1972_num_6_2_1957 Philippe Hamon, Rennes. POUR UN STATUT SÉMIOLOGIQUE DU PERSONNAGE t Superstitions littéraires — j'appelle ainsi toutes croyances qui ont de commun l'oubli de la condition verbale de la littérature. Ainsi existence et psychologie des personnages, ces vivants sans entrailles. » P. Valéry, Tel Quel. Que le personnage soit de roman, d'épopée, de théâtre ou de poème, le problème des modalités de son analyse et de son statut constitue l'un des points de « fixation » traditionnel de la critique (ancienne et nouvelle) et de toute théorie de la littérature. Autour de ce lieu stratégique la rhétorique classique enregistrait comme unités autonomes (non-tropes) des « figures » ou des genres comme le portrait, le blason, l'allégorie, la prosopopée, l'étho- pée, etc., sans d'ailleurs les distinguer ou les définir avec précision. La recherche des « clés » (qui est Irène, qui est Phédon?) ou des « sources » (quel fut le modèle de la Nana de Zola?) reste vivace, et les typologies les plus élaborées sont souvent fondées sur une théorie du personnage (héros « problématique » ou non, d'identification ou de compensation, etc). La vogue d'une critique psychanalytique plus ou moins empiriquement menée contribue à faire de ce problème du personnage un objet d'étude tellement survalorisé (aidée en cela par les déclarations de paternité, glorieuses ou douloureuses, toujours narcissiques, des romanciers eux-mêmes eux aussi « fixés » sur ce lieu) que l'on peut se demander si cette « polarisation » privilé giée n'est pas une conséquence fatale de l'idéologie humaniste et romant ique des analystes qui élisent et construisent leur objet à leur image x. On est en effet frappé de voir tant d'analyses, qui tentent de mettre souvent en œuvre une démarche ou une méthodologie exigeante, venir buter, s'en ferrer sur ce problème du personnage et y abdiquer toute rigueur pour recourir au psychologisme le plus banal (Julien Sorel est-il hypocrite? 1. Le « topos » le plus connu est certainement celui du personnage « qui prend une vie de plus en plus autonome, qui se détache de plus en plus » de son créateur- démiurge. Voir Balzac appelant Bianchon, etc. D'où les réactions de certaines écoles, de Zola contre Stendhal et les excès psychologisants des stendhaliens, ou du Nouveau Roman inaugurant l'ère du soupçon par un refus du personnage traditionnel « profond » au profit de « figures plates d'un jeu de cartes » (Robbe-Grillet). Pour un point de vue « classique » sur la question, on peut lire si l'on veut : le Romancier et ses personnages, de François Mauriac, avec une préface d'Edmond Jaloux (Buchet-Chastel 1933). 86 Quelle part en incombe à l'époque, quelle part à son propre projet, quelle part au séminaire? Comment expliquer le coup de pistolet sur Mme de Rénal? On nage en pleine plaidoirie judiciaire, exactement comme si on parlait d'être vivants dont il faut justifier une conduite incohérente) 2. Une des premières tâches d'une théorie littéraire rigoureuse (« fonctionnelle » et « immanente » pour reprendre des termes imposés par les formalistes russes) serait donc, sans vouloir pour cela « remplacer » les approches traditionnelles de la question (priorité n'est pas primauté), de faire précéder toute exégèse ou tout commentaire d'un stade descriptif qui se déplacerait à l'intérieur d'une stricte problématique sémiologique (ou sémiotique, comme on voud ra). Mais considérer a priori le personnage comme un signe, c'est-à-dire choisir un « point de vue » qui construit cet objet en l'intégrant au message défini lui-même comme composé de signes linguistiques (au lieu de l'accep ter comme donné par une tradition critique et par une culture centrée sur la notion de « personne » humaine), cela impliquera que l'analyse reste homogène à son projet et accepte toutes les conséquences méthodologiques qu'il implique. Il est notamment probable qu'une sémiologie du personnage épousera les problèmes et les limites actuelles de la sémiologie (tout court) : cette sémiologie est en effet en cours de constitution et commence seul ement à jeter les bases d'une théorie de l'agencement discursif du sens à l'intérieur des énoncés, théorie du récit ou linguistique du discours 3. Enfin, il ne faut pas oublier que cette notion de personnage : a) n'est pas une notion exclusivement « littéraire » : le problème de la littéralité de la question (fonctionnement en énoncé d'une « unité » parti culière appelée « personnage », problème, si l'on veut, de « grammaire textuelle ») doit être prioritaire à celui de sa littérarité (critères culturels et esthétiques); par exemple le président-directeur-général, la société anonyme, le législateur, le mandat, le dividende sont les « personnages » plus ou moins anthropomorphes et figuratifs mis en scène par le texte de la loi sur les sociétés 4; de même l'œuf, la farine, le beurre, le gaz sont les « personnages » 2. Selon Roland Barthes (l'Empire des signes, Genève, Skira, 1970, p. 15-16), les Japonais seraient à l'abri de cette illusion référentielle : « Comme beaucoup de langues, le japonais distingue l'animé (humain et/ou animal) de l'inanimé, notamment au niveau de ses verbes être; or, les personnages fictifs qui sont introduits dans une histoire (du genre : il était une fois un roi) sont affectés de la marque de l'inanimé; alors que tout notre art s'essouffle à décréter la " vie ", la " réalité " des êtres roman esques, la structure même du japonais ramène ou retient ces êtres dans leurs qualités de " produits ", de signes coupés de l'alibi référentiel par excellence : celui de la chose vivante. » 3. Au sujet de la sémiologie, voir les lignes inaugurales et connues de Saussure (Cours de linguistique générale, Payot, 1965, p. 33, 100, 101). Dans un important article (Semiotica, Mouton, La Haye, 1969, I, 1 et I, 2) intitulé « Sémiologie de la langue,» E. Benveniste définit deux modes de signifiance : celui propre au signe (sémiotique) et celui propre au discours (sémantique), chacun manipulant ses unités spécifiques. Nous reprendrons ici cette terminologie. Le travail théorique le plus considérable est certainement, à l'heure actuelle (1971), celui d'A.-J. Greimas (Du sens, Paris, Éd. du Seuil). 4. Voir Analyse sémiotique d'un discours juridique, par un groupe de travail dirigé par A.-J. Greimas (Documents de travail et prépublications du C.I.S.L. d'Urbino, n° 7, série C, août 1971, Urbino). Propp, dans sa Morphologie du conte (Paris, Éd. du Seuil, 1970, p. 100) avait également noté que des objets et des qualités étaient des personnages à part entière : « Les êtres vivants, les objets et les qualités doivent être considérés comme des valeurs équivalentes du point de vue d'une morphologie fondée sur les fonctions de personnages. » Ceci ne nous empêchera pas, pour des raisons de commodité, de prendre dans les lignes qui suivent nos exemples presque exclusive ment dans le champ de la littérature et de l'anthropomorphisé. 87 mis en scène par le texte de la recette de cuisine; de même le microbe, le virus, le globule, l'organe, sont les « personnages » du texte qui narrent le processus évolutif d'une maladie; b) n'est pas lié à un système sémiotique exclusif : le mime, le théâtre, le film, le rituel, la bande dessinée, mettent en scène des « personnages ». Une mise au point s'impose donc en ce domaine pour regrouper et homogénéiser sur des données sémiologiques une série d'analyses diverses déjà élaborées mais souvent dispersées (méthodologiquement et théma- tiquement). Peut-être est-il bon de rappeler, pour localiser et ne pas méconnaître un certain nombre de problèmes importants, deux ou trois principes généraux; pour que l'étude d'un phénomène relève d'une sémiologie, il faut que celui-ci : a) entre dans un processus intentionnel de communication, b) manipule un petit nombre (fini) d'unités distinctives, de signes (un lexique), c) dont les modalités d'assemblage et de combinaison soient définies par un petit nombre (fini) de règles (une syntaxe), d ) indépendamment de l'infinité et de la complexité des messages produits ou productives 5. Une langue (naturelle ou artificielle) répond à ces quatre conditions. Cependant, on le sait, la linguistique (linguistique du signe, au sens restreint) définit et manipule des unités de dimensions réduites (traits pertinents, phonèmes, morphèmes, syntagmes...) alors qu'une théorie du personnage (intégrée au sein d'une linguistique du discours), devra sans doute éla borer, en plus, d'autres types d'unités (séquence, syntagme narratif, texte, actant...) 6. D'autre part, il n'est pas certain que le projet communicatif, surtout dans bon nombre de « textes » modernes, soit la condition néces saire et suffisante de la définition d'un champ d'étude sémiologique; dans ces c textes » l'expression peut l'emporter sur la communication, l'idi omatique sur l'informatif, et la participation ludique sur la transmission d'un signifié (d'où la question : tout phénomène culturel — peinture, mode... — relève-t-il de la sémiologie?). Enfin la grande différence qui existe entre un domaine comme la littérature (qui aussi, uploads/Litterature/ hamon-pur-un-statut-semiologique-du-personnage-narrative.pdf

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