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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/306282738 Robert Heinlein, l'atome et la Lune, 1938—1946 Chapter · December 2009 CITATIONS 0 READS 30 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Route to coherence and threshold properties of small-scale lasers View project Histoire et philosophie de la technique View project Eric Picholle French National Centre for Scientific Research 110 PUBLICATIONS 595 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Eric Picholle on 18 January 2019. The user has requested enhancement of the downloaded file. L’atome et la Lune 121 La littérature de science-fiction, qui n’aime rien tant que les concepts nouveaux, suit normalement les brisées de la science. Elle tend à s’appro- prier les nouveaux paradigmes scientifiques bien plus rapidement que le reste de la société ; mais sa place est au mieux seconde, et elle s’en accom- mode fort bien. Il arrive pourtant qu’une révolution scientifique ou technique inclue d’autres dimensions, morale, politique, voire imaginaire. Ni les scientifi- ques, ni leurs commanditaires ne peuvent alors plus prétendre la mener intégralement, et les frontières tendent à se brouiller. Les premiers doivent composer avec les conséquences de leurs découvertes, et pour cela appren- dre à dialoguer avec les politiques, voire à diffuser les idées nouvelles vers le grand public ; les hommes politiques ne sont pas mieux préparés à pren- dre en compte des considérations techniques difficiles. Dans ces contextes souvent troublés, chacun cherche des repères et les trouve là où il peut – et jusque dans la science-fiction, aussi impensable (ou inavouable ?) que cela puisse paraître dans des phases plus “normales”. L’archétype de ces révolutions scientifico-politico-morales est probable- ment l’irruption brutale de la bombe atomique dans les consciences après le bombardement des villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Le responsable scientifique du Manhattan Project, Robert Oppenheimer, n’hésitait pas y reconnaître une sorte de péché originel de la physique 1 : 1. D’autres disciplines avaient déjà commis le leur, comme peut-être la chimie avec les gaz de combat de la première guerre mondiale. Robert Heinlein, l’atome et la Lune, 1938–1946 Attention, ce n’est plus de la science-fiction ! Éric Picholle 122 Éric Picholle Les physiciens ressentaient une responsabilité intime très particulière, pour avoir suggéré, soutenu et en dernière instance réalisé des armes atomiques. Nous ne pouvons pas plus oublier comment l’emploi effectif de ces armes a souligné, de façon si dramatique, le caractère impitoyable et inhumain des guerres modernes. En un sens très basique, qu’aucune vulgarité, aucun hu- mour, aucune rodomontade ne peut vraiment faire disparaître, les physiciens ont connu le péché, et c’est un savoir qu’ils ne pourront plus perdre. 2 Ce moment-clef de l’histoire des idées du XXe siècle se joue tout entier en douze petits mois, qui séparent le bombardement d’Hiroshima du rejet par l’Union Soviétique de la “proposition Baruch” d’un contrôle international des armes nucléaires. Nous tenterons ici de l’aborder du point de vue mineur mais à notre sens significatif, et largement inédit, de la contribution d’un citoyen américain engagé et auteur de science-fiction, Robert A. Heinlein. Un professionnel de la politique Un rappel, d’abord, sur la formation politique de Robert Heinlein. Si l’on fait abstraction de sa brève carrière d’officier dans l’U. S. Navy, son premier engagement majeur est sa participation à la « Campagne du siècle 3 » en 1934 où un écrivain notoire, Upton Sinclair, a défié l’establishment politi- que californien en se présentant au poste de Gouverneur de l’État. À cet ef- fet, Sinclair fonde un mouvement politique d’inspiration autogestionnaire, E.P.I.C. (End Poverty in California), qui se fondra dans le parti Démocrate en acquérant une audience nationale. Une autre figure majeure du mouve- ment est Horace Jeremiah (“Jerry”) Voorhis (1901–1984), transfuge du parti Socialiste et candidat EPIC à l’Assemblée californienne. C’est lors de cette célèbre campagne, l’une des plus dures qu’aient connues les États-Unis, que Robert Heinlein fait ses classes politiques, sillonnant au porte-à-porte les arrondissements qui lui sont confiés 4, 5. 2. R. Oppenheimer, « Physics in the Contemporary World », A. D. Little Memorial Lecture, 25 nov. 1947 (M.I.T., Cambridge, Mass.). 3. Greg Mitchell, The Campaign of the Century : Upton Sinclair’s Race for Governor of California and the Birth of Media Politics, Random House, New York, 1992. 4. William H. Patterson, The Man Who Learned Better : Robert A. Heinlein in Dialogue With His Century, TOR, New York, à paraître en 2010. 5. U. Bellagamba & É. Picholle, « Éradiquer la Pauvreté et les Inégalités en Californie », in Solutions non satisfaisantes, une anatomie de Robert A. Heinlein, Les moutons électriques éd., 2008, chap. 4, pp. 45–61. L’atome et la Lune 123 Battu, Sinclair prend ses distances avec le mouvement, sans pour autant le dissoudre. Sur sa recommandation, Heinlein en devient l’un des cadres, assurant un temps la direction de son jour- nal, EPIC News (qui tire à près de deux millions d’exemplaires). Les premiers résultats commen- cent à récompenser leur travail, et les élections de novembre 1936 voient en particulier l’élection de Jerry Voorhis au Congrès des États-Unis. À celles de 1938, c’est au tour de Robert Heinlein de se pré- senter pour un siège à l’Assemblée californienne, dans la circonscription d’Hollywood, contre le sortant républicain Charles W. Lyon. Ce baptême du feu est encore une campagne très dure, au cours de laquelle Heinlein subit nombre de “coups de vice” 6 et un échec personnel qui le laisse criblé de dettes : il n’a pas même obtenu l’investiture démocrate, que les membres non-EPIC de son propre parti ont préféré accorder… à son adversaire républicain. Il se bâtit néan- moins un solide carnet d’adresses, se liant par exemple avec Fritz Lang. En définitive, résumera-t-il : J’ai arpenté les rues, poussé des boutons de sonnettes pour le compte de mes candidats. J’ai organisé des clubs politiques, dirigé des campagnes ; j’ai moi-même été candidat, membre du bureau de mon parti à l’échelle départementale et à celle de l’État ; j’ai participé à des Conventions, y compris nationales, publié des journaux politiques, fait des discours, collé des affiches, levé des fonds de campagne, léché des timbres, accordé des passe-droit, dirigé un quartier général de campagne ; je me suis étouffé dans des arrière-salles enfumées, et mon téléphone a été mis sur écoute. Je suppose que cela fait de moi un homme politique. 7 Il en va de même pour son épouse, Leslyn MacDonald Heinlein, qu’il créditera d’avoir été « un facteur déterminant dans l’élection d’un gouverneur ; ses armes étaient un pistolet à cookies – l’un de ces gadgets d’aluminium qui font 6. Il décrira une campagne de ce type dans une nouvelle « autobiographique par bien des détails », « A Bathroom of Her Own », 1946 ; in Expanded Universe, Baen Books, New York, 1980, pp. 198–215. 7. R.A. Heinlein, How To Be a Politician, avril 1946 ; in Take Back Your Government, J. Pournelle dir., Baen Books, New York, 1992, pp. 2 et 182, resp. 124 Éric Picholle de jolis biscuits de forme bien définie – un huitième de livre de thé par semaine, et un paquet d’invitations pseudo-gravées à ses thés du dimanche. 7 » Financièrement acculé à la reconversion, c’est encore en professionnel de la communication qu’il se lance dans l’écriture de science-fiction, dans un esprit résolument utilitaire 8. Au domicile des Heinlein, les réunions poli- tiques cèdent la place à celles de la Mañana Literary Society. Fondée d’abord avec quelques anciens d’EPIC News, comme Cleve Cartmill, celle-ci devient rapidement le point de ralliement des meilleurs auteurs de science-fiction de la côte ouest. La première tentative de Heinlein, For Us The Living (1938), tient plus du manifeste politique fictionnalisé que du roman (« Votre astuce d’éduquer le peuple au travers des histoires que vous écrivez est super », applau- dit pourtant Voorhis 9). Encore malhabile, elle ne sera pas publiée de son vivant ; mais elle contient les germes de ce qui deviendra L’Histoire du futur, l’une des références du genre. En 1941, il est déjà l’invité d’honneur de la Convention Mondiale de Science-Fiction de Denver. Regarder par la fenêtre… Très vite, Robert Heinlein devient un pro- fessionnel établi de l’écriture. C’est d’abord à ce titre qu’il aborde la question de l’énergie nucléaire, sur la demande de l’éditeur d’Astounding Science Fiction, John Campbell. Comme le suggère celui-ci, « Il arrive que ça saute » (écrit en février 1940) porte essentiellement sur la psychologie des techniciens atomistes coincés entre la puissance destructrice de la bombe virtuelle qu’ils ont mission de contrôler et leur responsabilité écrasante, sur fond d’explosion accidentelle d’un réacteur civil. Un an seulement après la découverte de la fission en chaîne de l’ura- nium par Otto Hahn et Lise Meitner (déc. 1938), il s’agit déjà d’une centrale à uranium 235. 8. Cf. son Post-Scriptum, p. 75. 9. Lettre de Voorhis à Heinlein du 14 juillet 1939 ; CORR305L, p. 98. [Les codes CORR et OPUS renvoient aux références des Archives Virginia & Robert Heinlein : uploads/Litterature/ heinlein-lunebombe-picholle.pdf

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