Histoire SECRÈTE de la corruption sous la Ve République Coordination éditoriale

Histoire SECRÈTE de la corruption sous la Ve République Coordination éditoriale : Sabine Sportouch Corrections : Catherine Garnier Conception graphique : Farida Jeannet © Nouveau Monde éditions, 2014 21, square Saint-Charles – 75012 Paris ISBN : 978-2-36942-094-1 Ouvrage publié avec l’aide : du laboratoire Histoire, Langues, Littératures et Interculturel (université du Littoral, EA4030) de l’Institut d’études du fait religieux (université d’Artois) de la Fondation Florin, sous l’égide de la Fondation de France. Sous la direction d’Yvonnick Denoël et Jean Garrigues avec Renaud Lecadre, Matthieu Pelloli, Jean-Paul Philippe, Noël Pons, Yvan Stefanovitch, Jean-Michel Verne Histoire SECRÈTE de la corruption sous la Ve République nouveau monde éditions Introduction Jamais le thème de la corruption n’a été si omniprésent à la « une » des journaux français que dans les années 2010. Ce n’est sans doute pas un hasard : la crise financière, économique et politique qui fait rage depuis 2008 rend aujourd’hui intolérable pour beau- coup le moindre avantage indu, le moindre enrichissement suspect, la moindre manipulation inhabituelle. Ce qui pouvait il y a quelques décennies être commenté avec distance et nourrir les sketches des humoristes suscite aujourd’hui désenchantement et colère, en prio- rité contre le personnel politique, et fait le jeu des extrêmes. Certes les citoyens attendent avant tout un meilleur marché de l’emploi, de meilleures conditions de vie… mais devant l’impuissance croissante de l’État, les affaires de corruption, d’où qu’elles viennent, leur sont de plus en plus intolérables. Pour autant, nos fonctionnaires, juges, policiers, politiques sont-ils aujourd’hui plus corrompus que ne l’étaient leurs prédécesseurs des années 1960 ? La corruption est-elle une fatalité éternelle ? Peut-elle être efficacement combattue ? Seule une approche historique permet de répondre à ces questions. Mieux qu’un essai comme il en existe déjà, il nous a semblé qu’un large panorama s’imposait pour com- prendre le chemin parcouru par la V e République et ses principales figures, parce qu’il n’y a pas une corruption mais une myriade de cor- ruptions, parcourant toutes les teintes de gris entre le noir et le blanc. Parce que derrière le système, il y a des hommes et des femmes, ani- més par des idéologies, pris dans des rapports complexes de pou- voirs, de solidarités, de compétitions ; mus par des logiques, des ambitions et aussi des failles personnelles. Pour juger d’affaires com- plexes, il faut donc naviguer en permanence de la grande histoire à la biographie, du contexte politique aux errements personnels. Qu’est-ce que la corruption ? La réponse à cette question est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Faut-il la prendre au sens métaphorique ? Peut-on l’utiliser comme un concept, une catégo- Histoire secrète de la corruption sous la Ve République 6 rie capable de rendre compte d’une réalité ? Que l’on soit historien, juriste, philosophe, sociologue, journaliste ou simple citoyen, cha- cun se fait une idée différente de ce que représente la corruption. Si Aristote y voyait dans le traité De la génération et de la corruption une altération progressive et inéluctable des êtres naturels (phtora), d’autres penseurs de la Grèce antique, tels Platon ou Thucydide, l’associaient déjà à la notion d’impureté, de saleté qui aujourd’hui l’imprègne. Néanmoins, il faudra attendre Machiavel, c’est-à-dire le début du xvie siècle, pour trouver un concept proprement poli- tique de corruption, qui ne soit ni métaphorique, ni théologique, ni même moral, mais articulé sur l’examen concret de la société flo- rentine, et notamment des principaux acteurs de la vie publique. Est-ce à dire que l’histoire de la corruption commence à la Renaissance ? Évidemment non ! La corruption est vieille comme le monde, et elle n’a pas attendu l’usage du « pot-de-vin », apparu lui aussi au xvie siècle avec la connotation très innocente du « pour- boire », pour gangrener les pratiques sociales et l’exercice du pou- voir. Que l’on se souvienne par exemple du propréteur de Sicile Caius Licinius Verres, accusé de concussion et de fraude par Cicéron en 69 av. J.-C. ! Sans remonter si loin, toute l’histoire de France est remplie de scandales de pouvoir ou d’argent, qui font remonter à la surface les petits travers ou les grandes perversions des gouver- nants. Il suffit d’évoquer l’armoire de fer de Mirabeau, icône de la Révolution française mais stipendié par Louis XVI, les déboires de Jean-Baptiste Teste et du général Cubières, ministres corrompus sous Louis-Philippe, le parfum sulfureux qui plane sous le Second Empire autour du duc de Morny, demi-frère et conseiller de Napoléon III, le scandale de Panama, dévoilant plus d’une centaine de parlemen- taires « chéquards » en 1892, ou encore l’affaire Stavisky, qui faillit mettre le feu à la République en février 1934. On peut penser que ces grandes affaires de corruption étaient bien souvent l’arbre qui cachait la forêt, et que les plus grands scan- dales n’étaient pas forcément les plus visibles. Toujours est-il que ces psychodrames politico-financiers ont eu au moins une vertu : mettre en lumière les abus, les excès et les dysfonctionnements du sys- tème. Ils nous prouvent que, sous l’Ancien Régime comme sous la République, le pot-de-vin, le clientélisme, le favoritisme, le népo- tisme, le donnant-donnant, les petits cadeaux, les échanges de ser- Introduction 7 vices sont monnaie courante, depuis l’échelon local jusqu’aux anti- chambres du pouvoir suprême. Mais comment les définir, comment les caractériser ? Si l’on se réfère à l’article 433-1 du code pénal, la corruption recouvre « les offres, dons, présents » consentis « pour obtenir un acte relevant d’une fonction publique », « une distinction, un emploi, un marché ». La Banque mondiale inventorie quant à elle plusieurs formes de cor- ruption, telles que les « dessous-de-table », qui poussent des respon- sables officiels à agir en faveur d’intérêts privés, la « fraude », consis- tant à falsifier par exemple des factures, l’« extorsion », obtenue par la coercition ou par la force, le « favoritisme », ou « népotisme », ou « col- lusion », ou encore le « détournement de fonds » publics par des fonc- tionnaires. Dans un sens plus large encore, c’est la perversion ou le dé­ tour­ nement d’un processus ou d’une interaction entre une ou plu- sieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance. Elle conduit en général à l’enrichissement personnel du corrompu ou à l’enrichis- sement de l’organisation corruptrice. Elle peut concerner toute per- sonne bénéficiant d’un pouvoir de décision, que ce soit une person- nalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, un médecin, un arbitre ou un sportif, un syndicaliste, un journaliste ou l’organisation à laquelle ils appartiennent. Il faut d’emblée rappeler que la corruption ne concerne pas que les élites politiques, administratives ou économiques. Aujourd’hui encore, comme au xixe siècle, la plupart des fonctionnaires convain- cus de corruption passive sont de rang modeste, nous rappelle le politologue Yves Mény. C’est le gardien de prison qui facilite les contacts des détenus avec l’extérieur, le fonctionnaire de la préfec- ture de police qui accorde abusivement une carte de séjour, le com- missaire de police « ripou ». Il s’agit alors de sommes faibles, quelques centaines ou milliers d’euros, sans commune mesure avec celles que mettent en jeu les détournements d’attribution de marchés publics. Le fonctionnaire corrompu considère sa fonction comme un patrimoine dont il use à sa guise, souvent comme un instrument de chantage. C’est ainsi qu’est violée la règle d’or de la dissociation du public et du privé, caractéristique de l’État. La corruption enfreint l’un des prin- cipes fondamentaux de la démocratie, l’égalité d’accès des citoyens Histoire secrète de la corruption sous la Ve République 8 aux marchés, aux emplois et aux services publics sans autres consi- dérations que la capacité et le mérite. Ces entorses aux règles de la démocratie se sont-elles réduites ou multipliées, atténuées ou aggravées sous la V e République ? Comment ont-elles évolué ? C’est la question centrale de ce livre, qui se propose de les inventorier, de les raconter, de les analyser et de les évaluer depuis plus d’un demi-siècle. S’il existe de très nombreux livres d’en- quête sur telle ou telle affaire, nous n’avons pas trouvé de véritable précédent à cette démarche. Peu d’historiens du contemporain travaillent sur la corruption : sans doute cet objet est-il considéré par beaucoup comme impur, peu valorisant. Il pose aussi le problème crucial des sources : à quelques exceptions près, corrupteurs et corrompus ne tiennent pas d’abon- dants carnets qu’ils mettraient à disposition des centres d’archives en quittant leurs fonctions ! Pourtant ce problème peut être contourné. Les archives judiciaires ne couvrent certes pas toute la corruption, dont une partie notable échappe soit aux investigations policières, soit au zèle du parquet. Néanmoins, les décennies 1990 et 2000 ont été riches en procès particulièrement instructifs, et le mouvement ne semble pas près de ralentir malgré les contrôles politiques et l’ingé- niosité procédurière de quelques avocats spécialisés. Dans sa fonction de contre-pouvoir, la presse a également joué son rôle tout au long de la V e République, uploads/Litterature/ histoire-secrete-de-la-corruption-sous-la-v-republique.pdf

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