Leçon sur le roman d'apprentissage. Le contexte idéologique. Le roman d'apprent
Leçon sur le roman d'apprentissage. Le contexte idéologique. Le roman d'apprentissage apparaît en Allemagne (Bildungsroman) dans la seconde moitié du dix- huitième siècle, au moment où se développe une nouvelle conception de l'homme dans le sillage des Lumières. L'homme cesse en effet d'être défini comme un être interchangeable défini par sa position sociale dans une société organisée en ordres, par son métier et sa famille. Il se découvre une individualité, une personnalité pourvue de qualités intellectuelles et affectives originales, dotée de désirs, d'aspirations qui entrent en conflit avec les contraintes du monde social. Lesquelles ne permettent pas à son individualité de s'épanouir (Werther, le héros de Goethe, en fera les frais). Avec Rousseau et Kant l'homme apparait comme une réalité en devenir, produit d'une éducation, ensemble de virtualités, de dispositions qui s'actualisent dans le temps. Son humanité n'est pas donnée, elle est un processus. C'est cette formation de soi, intellectuelle, sentimentale et sociale que décrit le roman d'apprentissage. Le contexte social. Cette attention nouvelle portée à l'individu coïncide avec la montée de la bourgeoisie européenne dont l'essor économique se heurte aux cadres contraignants d'une société organisée en ordres. Aux privilèges accordés à la naissance, elle oppose l'égalité juridique et fonde la hiérarchie sociale sur les mérites qui découlent des compétences. Le roman d'apprentissage va décrire cet élan d'une jeunesse qui s'arrache à la province, monte à l'assaut de Paris, pleine d'ambitions, rêvant de fortune, de pouvoir et de gloire. Le contexte politique. Le roman d'apprentissage va se développer en France dans des conditions particulières, marquées par le bouleversement de la Révolution et de l'Empire. Celui-ci a ouvert à la jeunesse les perspectives d'une promotion sociale dont le destin de Napoléon est le symbole. Élevée dans les lycées impériaux, toute une jeunesse rêve de se faire une place au soleil. Mais la Restauration va briser ces ambitions en installant au pouvoir une aristocratie qui entend refermer la parenthèse révolutionnaire et rêve de revenir à l'Ancien régime. L'enthousiasme suscité par les journées révolutionnaires de 1830, qui mettent fin au régime conservateur de Charles X va vite retomber. C'est le temps du désenchantement dont La Confession d'un enfant du siècle de Musset va rendre compte. Un nouveau mal du siècle s'exprime au travers de la littérature des années 1830. Reflet des attentes trompées de la jeunesse, qui voit ses espérances trahies par une bourgeoisie éprise d'ordre et soucieuse de préserver ses intérêts. Les héros du roman d'apprentissage font l'amère expérience d'un monde régi par l'argent dont Balzac va démonter les mécanismes. C'est ce monde que dénonce Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir (Stendhal). L'échec de la Révolution de 1848 sonne le glas des espérances d'une génération nourrie de romantisme, dont Frédéric Moreau (L'Éducation sentimentale, Flaubert) est le représentant. Le roman d'apprentissage reflète une image nouvelle de l'homme en même temps qu'il installe au coeur de la thématique romanesque le conflit entre l'individu et la réalité sociale. Tradition du roman d'apprentissage. Le genre n'est pas nouveau : il s'inscrit dans une longue tradition qui remonte à l'Antiquité, de la Cyropédie de Xénophon à la Renaissance avec Rabelais et Gargantua et Pantagruel et Cervantès (Don quichotte) en passant par les romans de chevalerie avec Perceval de Chrétien de Troyes. Le dix- septième verra se perpétuer le genre avec madame de la Fayette La Princesse de Clèves, Fénelon et Télémaque. C'est le dix-neuvième siècle qui voit l'épanouissement du roman d'apprentissage dans toute l'Europe. Stendhal, Flaubert, Balzac en France, Dickens en Angleterre (Les Grandes Espérances), Goethe en Allemagne et plus tard Tolstoï en Russie (Enfance, Adolescence et Jeunesse). C'est le genre majeur de la prose romanesque. Au vingtième il y a aussi des chefs-d'oeuvre : La Recherche du temps perdu de Proust, Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, La Montagne magique de Thomas Mann, Les Thibault de Roger Martin du Gard... I Les contraintes du roman d’apprentissage. A L’apprentissage n’est pas un parcours d’étudiant. Le héros est toujours jeune, mais il n’est plus sur les bancs de l’école. Le propos du roman d’apprentissage n’est pas l’instruction, au sens universitaire du terme. Il postule que le sujet poursuit sa propre expérience, sa découverte de la vie et du monde, qu’il s’affronte à la vie sociale. Ainsi agit Rastignac : il néglige très vite les cours à la faculté pour chercher dans le monde à la fois des informations et des règles de conduite. Julien Sorel (Le Rouge et le Noir) est dès le début institué précepteur des enfants de Mme de Rênal, sa propre instruction ayant été faite à la va-vite par le curé de la paroisse. Plus tard, son séjour au séminaire est plus qu’une éducation intellectuelle : c’est déjà le cheminement semé d’embûches d’un jeune homme dans une société close et hostile. Frédéric Moreau (L’Éducation sentimentale) lui aussi se résout à abandonner les cours de droit ; quant à Lucien de Rubempré (Les Illusions perdues), rien n’est dit de sa formation. L’apprentissage n’est donc nullement un parcours universitaire. B L’apprentissage doit être vraiment formateur. On ne peut pas parler d’itinéraire de formation à propos de Candide de Voltaire car le héros éponyme est ballotté à travers le monde non pas pour le découvrir mais pour fuir des poursuivants ou pour retrouver Cunégonde. Dans Zadig non plus, on ne peut parler d’apprentissage car le personnage sait tout depuis le début, agit en philosophe réformateur et n’accepte de formation que par la voix de la Providence sous les traits de l’ange Jesrad. Avec l’Ingénu, on peut parler d’itinéraire de formation car le personnage est curieux et apprend. C L’initiation s’inscrit dans le temps, mais sa durée est très variable : l’itinéraire d’Eugène s’effectue pour l’essentiel en quelques mois, de novembre 1819 à février 1820, où il tire les leçons de toute une vie parisienne. Celui de Frédéric Moreau commence à 18 ans, en 1840, se poursuit jusqu’en 1848, et à cet âge-là, il n’a encore, sinon rien appris, du moins rien fait. La question de la durée n’a que peu d’importance dans le cas de Julien Sorel, dès lors que le parcours héroïque du personnage est conduit jusqu’à son achèvement. II Un apprentissage du cœur. On peut définir le roman d’apprentissage autour de deux composantes essentielles, l’apprentissage du cœur et celui de la société. A L’apprentissage est d’abord une relation amoureuse. Ainsi en est-il dans les œuvres les plus représentatives : Rastignac veut conquérir Delphine de Nucingen ; Julien Sorel, Mme de Rênal puis Mathilde de la Mole (Le Rouge et le Noir) ; Frédéric Moreau, Mme Arnoux (L’Éducation sentimentale) ; Lucien Chardon (puis de Rubempré), Mme de Bargeton (Les Illusions perdues) ; Georges Duroy, Mme Forestier puis Suzanne Walter (Bel-Ami). B La distance sociale entre les amants s’ajoute nécessairement à la composante amoureuse ou érotique. Toute histoire d’amour où l’amant s’efforce de plaire ou de conquérir n’est pas un roman d’apprentissage. Il faut en plus que la poursuite amoureuse soit aussi un moyen de se hisser dans un rang social plus élevé. Tel est bien le cas pour Julien Sorel, fils de charpentier, qui se fait aimer de la femme d’un notable maire de sa ville, puis de la fille d’un marquis ; Lucien Chardon, issu du faubourg industrieux d’Angoulême, et fils d’une garde-malade et d’un apothicaire pauvre, courtise Mme de Bargeton, l’aristocrate du plus haut rang dans la ville. Quand la distance n’est pas dans le rang, elle est dans l’argent : Rastignac est pauvre et Delphine femme de banquier. Georges Duroy, démuni au point de devoir rogner sur ses repas, épouse une grande bourgeoise, puis la fille d’un magnat de la presse. Pour Frédéric Moreau, la distance qui le sépare de Mme Arnoux n’est pas de rang ni d’argent, mais idéale : elle incarne à ses yeux le mythe de la femme, inaccessible. C La quête amoureuse est aussi découverte de la femme, créature admirée longtemps à distance et ardemment convoitée. L’amour est initiation au sentiment, révélation du plaisir, et finalement éducation sentimentale. Tel est bien le cas pour Frédéric, pour Eugène, pour Julien Sorel, dont Mme de Rênal est la première conquête. III Un apprentissage de la société. La deuxième composante du genre est liée le plus souvent à une relation où se croisent l’amour et l’argent. A L’ascension sociale du héros. Le personnage découvre l’échelle des classes sociales et apprend les moyens de maîtriser les leviers de la fortune pour se hisser au plus vite dans les premiers rangs. Tel est à l’évidence l’objet des ambitieux de Balzac, Eugène et Lucien, et aussi de Duroy, chez Maupassant. Eugène est au comble de la félicité quand il a du succès dans les bals de l’aristocratie et il compte sur Delphine pour s’enrichir. Lucien jubile quand il est reçu à l’hôtel de Mme de Bargeton et il gagnera vite beaucoup d’argent par ses articles dans la presse libérale. Duroy s’enivre de voir la haute société se presser pour le complimenter lors de son mariage avec l’une des héritières les plus fortunées de Paris. L’attitude de Frédéric est différente : il ambitionne aussi par moments une uploads/Litterature/ i-les-contraintes-du-roman-d-apprentissage.pdf
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- Publié le Jan 01, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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