— — 1 Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. Nouvelle série XXI. Miracles et prodige
— — 1 Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. Nouvelle série XXI. Miracles et prodiges On entend parfois que le Coran est le seul miracle du Prophète. Le Coran étant parole divine, il s’agit à vrai dire d’un miracle du Très- Haut même et, partant, Muḥammad est un Messager sans miracle à son crédit. Ce n’est cependant pas de la sorte que les choses sont traditionnellement conçues. Diverses actions extraordinaires et autres signes miraculeux sont déjà attribués au Prophète dans les recueils canoniques de ḥadīths, dont les Ṣaḥīḥs d’al-Bukhārī et de Muslim. Au fil du temps, le nombre de ces miracles s’accrut considérablement et de longs volumes leur furent consacrés, dès le Ve/XIe siècle, sous des titres comme L’établissement des preuves du prophétat du cadi ‘Abd al-Jabbār, Les preuves du prophétat d’al-Iṣfahānī, Les marques du prophétat d’al-Māwardī, Les preuves du prophétat d’al-Bayhaqī, etc. Ibn Taymiyya a examiné ces ouvrages. Il connaît par ailleurs la popularité, à son époque, de toutes ces histoires de miracles. Le texte traduit ci-dessous est le début d’une « noble règle » (qā‘ida sharīfa) qu’il a composée sur ce sujet. Dans un premier temps, comme s’il souhaitait y mettre de l’ordre, il commence par définir une grille de classement de ces miracles et autres prodiges. Il la trouve, en réfé- rence au Coran, dans ce qu’il appelle les « attributs de la perfec- tion » – le savoir (‘ilm), le pouvoir (qudra) et la richesse/autosuf- fisance (ghinā) – ou, plus succinctement, le savoir et le pouvoir. Il s’agit primordialement d’attributs divins et le Prophète n’en posséda jamais que ce que Dieu voulut bien lui en accorder. Cela dit, qu’il s’agisse de savoir et d’informer ou de pouvoir et d’influencer, en tant qu’agent immédiat ou bénéficiaire via autrui, Ibn Taymiyya juge les miracles et autres actions extraordinaires du Prophète innombrables, « comme la pluie ». Les exemples qu’il donne alors, classés selon la grille qu’il a définie et d’autres critères encore, pourront d’autant plus étonner qu’ils concernent non seulement les miracles de Muḥammad mais aussi ceux de Prophètes antérieurs, de saints Amis de Dieu et d’autres pieux individus. Dans un second temps, Ibn Taymiyya se fait moraliste. Certaines actions extraordinaires, juge-t-il en référence à deux personnages bibliques, Balaam et Baraq, peuvent être de nature prohibée et entraî- ner un châtiment divin alors même que d’autres sont excusables pour divers motifs. Plutôt que l’extraordinaire et le prodigieux, la rectitude devrait donc faire l’objet du cheminement spirituel. C’est ce que le maître soufi al-Suhrawardī explique dans une page qu’Ibn Taymiyya recopie en conclusion. TRADUCTION 1 Les trois attributs de la perfection Le shaykh, l’imām, le savant, le savantissime, le connaisseur seigneurial, dans le cœur de qui la lumière coranique a été jetée, le shaykh de l’Islam Taqī al-Dīn Abū l-‘Abbās Aḥmad b. Tay- miyya – Dieu soit content de lui et le contente ! – a dit [ce qui suit] : Loué soit Dieu, le Seigneur des mondes, en une louange abondante, excellente, en laquelle il y a de la baraka, comme notre Seigneur l’aime et en est content. Je témoigne qu’il n’y a pas de dieu sinon Dieu, Lui seul, Qui n’a pas d’associé et [tel qu’]il n’y a pas de dieu autre que Lui. Je témoigne par ailleurs que Muḥammad est Son serviteur et Son Messager, qu’Il a choisi, élu et guidé – Dieu le bénisse, ainsi que sa famille, et lui 1. IBN TAYMIYYA, MF, t. XI, p. 311-321 (sigle F). J’ai comparé cette édition à celle de Ḥ. SALĀMAT, IBN TAYMIYYA, Qā‘ida fī l-mu‘jizāt wa l-karāmāt, al-Zarqā’, Maktabat al-Manār, « Min rasā’il shaykh al- islām, 7 », 1410/1989, p. 7-24 (sigle S). S copie F en y apportant quel- ques corrections mais, aussi, en en oubliant certains mots. Son prin- cipal intérêt réside dans les nombreuses références données dans les notes. Ces références n’ont pas toutes pu être traduites ici. donne la paix, abondamment, jusqu’au Jour du jugement ! NOBLE RÈGLE CONCERNANT LES MIRACLES ET LES PRODIGES Dans la langue et dans l’usage des imāms antérieurs, tels l’imām Aḥmad b. Ḥanbal et d’autres, le mot « miracle » (mu‘- jiza)2 s’étend à tout [phénomène] extraordinaire3. Ils appellaient également ceux-ci « signes » (āya). Beaucoup4 des [ulémas] tardifs ont cependant fait une différence, s’agissant des termes, entre deux [choses]. Ils ont parlé de « miracle » [312] pour le Prophète et de « prodige » (karāma) pour l’Ami [de Dieu] (walī), ce qui les regroupe tous deux5 étant « l’affaire extra- ordinaire ». Les attributs de la perfection, dirons-nous, se ramènent à trois : le savoir, le pouvoir et la richesse6. Si tu veux, [tu peux aussi] dire : le savoir et le pouvoir. Soit en effet le pouvoir porte sur l’agir et c’est l’influence, soit il porte sur l’abandon et c’est la richesse. La première [division] est cependant meil- leure. Ces trois [attributs] ne sont parfaitement indiqués que pour Dieu seul. Il est en effet Celui qui « embrasse toute chose de [Son] savoir7 », Il « a pouvoir sur toute chose8 » et Il est « riche [au point de se passer] des mondes9 ». Noé10 [Dieu] a ordonné au Messager – Dieu le bénisse et lui donne la paix ! – de s’abstenir de prétendre posséder ces trois [attri- buts] en disant : « Dis : « Je ne vous dis pas que je détiens les trésors de Dieu, ni que je sais l’inconnu, et je ne vous dis pas que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’est révélé11. » Ainsi Noé parla-t-il aussi – sur lui la paix1 ! Celui-ci 2. Traduire mu‘jiza par « miracle » ne rend pas le sens actif du mot arabe : « ce qui rend incapable, confond » ; voir A. J. WENSINCK, EI2, art. Mu‘djiza. 3. Khāriq al-‘āda signifie littéralement « ce qui perce, troue, l’habi- tude », d’où « l’extraordinaire ». 4. kathīran S : kathīr F 5. jimā‘u-humā F : jimā‘u-hā S 6. Al-ghinā est la richesse au sens de l’autosuffisance, qui rend indépendant, qui permet de se passer de tout ce qui est autre. 7. Voir Coran, al-Ṭalāq - LXV, 12. 8. Voir Coran, al-Baqara - II, 20. 9. Voir Coran, Āl ‘Imrān - III, 97. 10. Carte postale turque, Istanbul, vers 1980. 11. Coran, al-An‘ām - VI, 50. — — 2 fut le premier des [Messagers] doués de détermination (ūlū l- ‘azm), le premier Messager que le Dieu Très-Haut envoya aux gens de la terre, et celui-là fut le Sceau des Messagers et le Sceau des [Messagers]2 doués de détermination. Tous deux s’abstinrent de telles [prétentions] et, cela, parce que [les gens] exigeaient tantôt du Messager – Dieu le bénisse et lui donne la paix ! – qu’il sache l’inconnu ainsi qu’Il l’a dit : « Ils disent : « À quand cette promesse, si vous êtes véridiques3 ? » et « Ils t’interrogent sur l’Heure : « Quand arrivera-t-elle ? » Dis : « Seul mon Seigneur en détient le savoir4 », tantôt qu’il exerce une influence ainsi qu’Il l’a dit : « Ils dirent : « Nous ne croi- rons pas en toi jusqu’à ce que tu fasses jaillir de la terre, pour nous, une source, ou que tu aies un jardin avec des palmiers et des vignes entre lesquels tu feras jaillir des ruisseaux en abondance, ou que tu fasses tomber le ciel sur nous, comme tu le prétends, en morceaux, ou que tu fasses venir Dieu et les anges en face de nous, ou que tu aies une maison [garnie] d’ornements, ou que tu montes au ciel. Et encore ne croirons- nous pas que tu es monté au ciel jusqu’à ce que tu fasses des- cendre sur nous un Livre que nous [puissions] lire. » Dis : [313] « Glorifié soit mon Seigneur ! Ne suis-je pas qu’un humain, un Messager5 ? » Tantôt aussi ils lui reprochaient [sa] condition (ḥāja) humaine ainsi qu’Il l’a dit : « Ils disent : « Qu’est-ce que ce Messager qui mange de la nourriture et marche dans les souqs ? Que n’a-t-on point fait descendre vers lui un ange qui eût été, avec lui, un avertisseur ? Que ne lui a-t-on point lancé un trésor ? Ou que n’a-t-il point un jardin dont il mangerait6 ? » [Dieu] lui ordonna donc d’informer [les gens] qu’il ne savait pas l’inconnu, qu’il ne possédait pas les trésors de Dieu et qu’il n’était pas un ange pouvant se passer (ghanī) de nourriture et de biens : il n’était que quelqu’un suivant ce qui lui était révélé et suivre ce qui lui était révélé était la religion ; c’était obéir à Dieu et l’adorer, s’agissant du savoir et de l’agir, intérieurement et extérieurement. De ces trois [attributs] il obtint seulement ce que le Dieu Très-Haut lui donna : il apprit de Lui ce qu’Il lui enseigna, il eut de par Lui pouvoir sur ce sur quoi Dieu lui donna pouvoir et il put se passer de ce dont Dieu le rendit uploads/Litterature/ ibn-taymiyya-quot-miracles-et-prodiges-quot-textes-spirituels-n-s-xxi.pdf
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- Publié le Apv 08, 2022
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