Impacts d’une démarche stratégique d’enseignement de la littérature1 Jacques Le
Impacts d’une démarche stratégique d’enseignement de la littérature1 Jacques Lecavalier, professeur de français, Collège de Valleyfield Suzanne Richard, chargée de cours, Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke Atelier 612 Introduction Si la tenue du 30e colloque de l’AQPC manifeste la persistance des préoccupations pédagogiques, l’intérêt du réseau collégial pour les didactiques disciplinaires, lui, remonte à quelques années seulement. Cette attention, bien réelle toutefois, se révèle notamment en didactique du français. Ce texte présente les résultats d’une recherche- action en enseignement de la littérature. Il s’agit d’une démarche souple et globale, qui convient à toutes les œuvres, à tous les cours et à tous les types d’élèves et qui exige du professeur de nouvelles pratiques d’enseignement et davantage de planification. Problématique Dans l’enseignement de la littérature au collégial, les savoirs et les pratiques ne sont pas vraiment attelés en tandem. En effet, les savoirs des professeurs proviennent essentiellement de leurs études littéraires, alors que leurs pratiques pédagogiques reposent sur la tradition scolaire. Au lieu d’un tandem, imaginons un grand bi, ce vélocipède doté d’une immense roue avant et d’une minuscule roue arrière, utilisé vers 1870. C’est là que trône avec classe le professeur de littérature qui a obtenu une maitrise, voire un doctorat, en études littéraires, mais qui se préoccupe peu de la pédagogie et de la didactique du français. D’un seul coup de pédale, il parcourt beaucoup de distance, mais en équilibre précaire. En clair, il couvre beaucoup de matière, mais quel contrôle exerce-t-il sur l’apprentissage? Ce type de professeur se perçoit, en classe, comme le représentant de l’institution littéraire. Sa présence dans le cours de français est légitimée par la valeur culturelle de la littérature et il ne voit pas la nécessité de justifier à ses élèves ni cette valeur ni le caractère obligatoire du cours de français. En fait, il voudrait que sa discipline s’appelle littérature et qu’on cesse de lui demander de gaspiller du temps de classe pour enseigner la rédaction, la dissertation et ces sortes de choses que l’université n’a pas jugé bon de lui apprendre. Il voit bien que ses élèves s’intéressent peu à la littérature et c’est là un signe de la décadence des cégeps, qui acceptent n’importe qui. Il serait révolté qu’on lui dise qu’il idéalise la littérature et que son rôle consiste à la rendre intéressante pour les élèves, à la faire descendre de son grand bi. S’adressant à des ignorants, donc, le professeur vélocipédiste prépare à fond ses cours magistraux; il a 1 Les auteurs remercient le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), dont le soutien financier a permis la production d’un outil de formation multimédia, téléaccessible à l’adresse www.enseignerlalitterature.com. déjà trop de contenu dans ses notes avant d’entrer en classe et, quand il se met à expliquer, cela prend plus de temps que prévu. Qu’à cela ne tienne, il coupera dans le travail d’équipe où, de toute façon, les élèves perdent leur temps. Pour ces activités, il pose des questions dont il connait d’avance les réponses. Curieusement, il n’arrive pas à aider les élèves en difficulté, car il ne va tout de même pas leur donner ces réponses. Le professeur qui se considère le représentant du patrimoine littéraire résiste à jouer le rôle d’un médiateur culturel. Il considère avoir déjà fait suffisamment de compromis en choisissant les œuvres et en limitant leur nombre à trois ou quatre. Si les élèves ne sont pas capables de faire le reste du chemin, c’est qu’ils ne sont pas à leur place dans sa classe. Or, les élèves perçoivent cette attitude comme de l’arrogance et du mépris à leur égard. Devant leur faible motivation, le professeur devient plus contrôlant. Il vérifie l’exécution des tâches par des tests de lecture, il réprimande les élèves qui, c’est fréquent, ont oublié leur matériel, arrivent en retard ou manquent des cours. Il peste durant la correction contre les élèves qui n’ont pas compris la matière, puisqu’ils rapportent mal ses propos. Pour corriger le problème, il se promet d’expliquer encore plus longtemps les notions, dans ses prochains cours magistraux, de créer des questions encore plus précises et de contrôler davantage les tâches imposées aux élèves. Bref, le professeur pédalera encore plus fort sur sa grande roue, qui lui semble trop petite. Maintenant, que se passe-t-il dans la tête d’un élève qui se présente au collège dans un cours de littérature? Une enquête du ministère de la Culture et des Communications, publiée en 2000, montre que les jeunes de 15 à 24 ans ne lisent pas moins que les adultes plus âgés. Pour ce qui est de la fréquence des sorties culturelles (surtout au cinéma) et de l’écoute de musique, les jeunes dépassent les adultes. Les 15 à 24 ans fréquentent plus les librairies (65,9 %) et les bibliothèques municipales (45,7 %) et scolaires (43,4 %) que les autres groupes d’âge. En vérité, les jeunes augmenteraient encore leurs pratiques culturelles, s’ils avaient plus d’argent. Évidemment, cette culture n’est pas celle qui est légitimée dans la classe de français. Les diplômés du secondaire ont lu cinq romans par année, mais ils ne connaissent pas Gabrielle Roy ni Molière. Leur identité est ancrée dans la culture de masse. Certains ont lu les 12 tomes des Chevaliers d’Émeraude ou tout Harry Potter, mais la littérature, ce n’est pas pour eux. Dans un échange que nous avons filmé, en cinquième secondaire, ils se demandent s’ils ont fait de la littérature ou juste « lu des livres ». La littérature, on étudie ça à l’université, croit- on avant de découvrir qu’au cégep, le mot « littérature » apparait dans le titre de trois cours de français. Habitués aux romans jeunesse, écrits dans une langue courante, les arrivants au collégial ne lisent pas efficacement les textes, souvent écrits dans la langue du XVIIe ou du XIXe siècle, comme si on avait fait exprès de débuter par les œuvres les plus éloignées de la culture des élèves. Autrement dit, pour suivre leur professeur de littérature qui roule en grand bi, les élèves ont encore besoin, sur leur vélo de lecteurs littéraires, des petites roues arrière stabilisatrices. Ils ne comprennent pas grand-chose au long monologue du professeur, qu’ils écoutent distraitement. Ils renoncent à chercher et à noter, dans ces 10 000 mots, les quelques concepts dont ils auront besoin pour leur analyse littéraire. La série de questions auxquelles il leur est demandé de répondre confirme qu’il existe pour chacune une seule bonne réponse, qu’on essaie de soutirer au professeur, si l’on est assez habile pour le cuisiner. Il n’y a pas de vrai travail en équipe, puisque les quelque quinze questions posées ont été réparties entre les cinq membres de l’équipe, qui copieront ensuite les réponses. Ainsi morcelée, l’œuvre littéraire ne revêt plus de sens pour l’élève. Pourquoi le chercher ce sens, d’ailleurs, étant donné que le professeur l’explique en long et en large depuis deux semaines? L’important, c’est de bien exécuter les tâches, parce que c’est cela qui compte : remplir le questionnaire de compréhension, lire un résumé sur Internet pour préparer le contrôle de lecture, dresser la liste des figures de style. Il n’y a pas grand-chose de littéraire là-dedans, ce qui confirme à l’élève que la littérature n’est pas pour lui ou pour elle. En quoi est-ce que ça concernerait son identité? Non, les élèves ne sont pas tous comme ça, heureusement, ni tous les professeurs. Il faudrait, entre parenthèses, tracer le portrait d’un autre type de professeur, celui qui surprotège ou qui infantilise les élèves, qui instrumentalise la littérature, qui la voit comme un prétexte à l’étude de la grammaire, de l’écriture ou de l’histoire. À ce type correspond un profil d’élève discipliné, appliqué à réussir, avide de points bonis, mais fermé à la culture, à l’imaginaire, à la créativité. Nous cherchons plutôt à développer, chez les professeurs comme chez les élèves, une conception de la culture comme base de l’identité personnelle et sociale, comme outil d’intégration et d’épanouissement. La littérature, en ce sens, repose sur une esthétique de la réception (Jauss, 1972; Iser, 1985). Elle part du matériau modeste, mais inépuisable, qu’est la langue, pour stimuler l’imagination et proposer des visions du monde qui nous interpellent. Comme sa valeur est fixée par ses lecteurs vivants, les professeurs de français ont le devoir de créer de nouvelles générations de sujets lecteurs. Cadre théorique Le sujet lecteur est le nom d’une théorie en didactique de la lecture littéraire (Fourtanier et Langlade, 2000; Langlade, 2004; Richard, 2004 et 2006). Cette théorie fait reposer l’analyse littéraire sur « la façon originale dont un lecteur habite une œuvre » (Langlade et Fourtanier, 2007, p. 102). L’accent didactique passe du procédé d’écriture à son effet sur le lecteur. En réaction à la prévalence du formalisme et du technicisme dans l’enseignement de la littérature, la théorie du sujet lecteur considère que l’œuvre littéraire invite « à un acte de participation affective, qui met en jeu la totalité de la personne » (Doubrovsky, 1971, cité par id., ibid.). Dans sa lecture participative, le sujet lecteur décontextualise le contenu uploads/Litterature/ impacts-d-x27-une-demarche-strategique-d-x27-enseignement-de-la-litterature.pdf
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- Publié le Jan 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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