Fatou Diome Impossible de grandir roman Flammarion Fatou Diome Impossible de gr

Fatou Diome Impossible de grandir roman Flammarion Fatou Diome Impossible de grandir Flammarion Collection : Littérature française Maison d’édition : Flammarion © Flammarion, 2013. Dépôt légal : mars 2013 ISBN numérique : 978-2-0813-0072-9 ISBN du pdf web : 978-2-0813-0073-6 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 978-2-0812-9029-7 Ouvrage composé et converti par Nord Compo Présentation de l’éditeur : Salie est invitée à dîner chez des amis. Une invitation apparemment anodine mais qui la plonge dans la plus grande angoisse. Pourquoi est-ce si « impossible » pour elle d’aller chez les autres, de répondre aux questions sur sa vie, sur ses parents ? Pour le savoir, Salie doit affronter ses souvenirs. Poussée par la Petite, son double enfant, elle entreprend un voyage intérieur, revisite son passé : la vie à Niodior, les grands-parents maternels, tuteurs tant aimés, mais aussi la difficulté d’être une enfant dite illégitime, le combat pour tenir debout face au jugement des autres et l’impossibilité de faire confiance aux adultes.À partir de souvenirs personnels, intimes, Fatou Diome nous raconte, tantôt avec rage, tantôt avec douceur et humour, l’histoire d’une enfant qui a grandi trop vite et peine à s’ajuster au monde des adultes. Mais n’est-ce pas en apprivoisant ses vieux démons qu’on s’en libère ? « Oser se retourner et faire face aux loups », c’est dompter l’enfance, enfin. Portrait de Fatou Diome par Léa Crespi © Flammarion Fatou Diome est l’auteur de neuf livres dont Le Ventre de l’Atlantique (Anne Carrière, 2003) et, aux Éditions Flammarion, Kétala (2006), Inassouvies nos vies (2008) et Celles qui attendent (2010). Du même auteur La Préférence nationale et autres nouvelles, Présence africaine, 2001. Les Loups de l’Atlantique, nouvelle, dans le recueil collectif Nouvelles Voix d’Afrique, éd. Hœbecke, 2002. Ports de folie, nouvelle, dans la revue Brèves n° 66, 2002. Le Ventre de l’Atlantique, Anne Carrière, 2003 ; Le Livre de poche, 2005. Kétala, Flammarion, 2006 ; J’ai lu, 2007. Inassouvies, nos vies, Flammarion, 2008 ; J’ai lu, 2010. Le Vieil Homme sur la barque, avec Titouan Lamazou, nouvelle, coll. Livres d’heures, Naïve, 2010. Mauve, avec Titouan Lamazou, Flammarion, 2010. Celles qui attendent, Flammarion, 2010 ; J’ai lu, 2012. À mes grands-parents, Aminata et Saliou SARR Votre amour, mon asile, mon souffle légitimé Votre présence chassait loups et ténèbres Parce que muette, la gratitude vaut ingratitude Chacun de mes jours vous rend hommage. À Nkoto Bineta SARR, sœur, mère Que ma voie te rende ta voix de femme ! Prologue Je m’appelle Salie, les rétines brûlées à scruter la vie, je voudrais m’endormir, mais je ne peux m’empêcher d’écouter les anges de la mémoire qui chuchotent la nuit et me réclament leur vie d’antan. Je m’appelle Salie, à défaut d’un sommeil régénérateur, je me voudrais sorcière, avec un chaudron assez grand et un feu assez vif pour mijoter les rêves trop durs à cuir. Des rêves aussi forts que des résolutions : apprendre à oublier, regarder devant soi, savourer chaque jour, etc. Que des mots ! Mais des mots au goût miel de forêt. On s’en délecterait bien, à condition d’avoir une légèreté d’abeille. Hélas, les sorcières s’envolent sur leurs balais et me laissent clouée au sol, cernée de mes vœux pieux. N’ayant pas la souveraine volonté des athées ni l’espérance absolue des convaincus, j’interroge mon reste de foi. Dans quelle direction se tourne-t-on lorsqu’on effectue une prière hésitante ? Je l’ignore. Qu’un ébéniste veuille bien m’installer au sommet d’une toupie ! Je sais, qu’après chaque tour, je ferai toujours face au vide. Et, parce que jeter des poignées de sable dans le grand canyon semble plus rassurant que l’observation passive du gouffre, je me dis qu’il n’est peut-être pas vain de prier encore. Sur ma toupie, qui tourne au milieu d’une existence où je navigue sans carte, j’écarquille les yeux. En silence, je prie, comme le chasseur élague sa piste sans être sûr de trouver du gibier au bout. Après chaque prière, une autre prière vient dire combien la précédente a été vaine. Avec une lucidité de parieur, je ramasse mes vœux, un par un, les formule, les reformule, les polis, telles des améthystes, et les dépose avec ferveur au pied de chaque aube. L ’offrande faite, je n’en attends qu’une seule récompense : l’apaisement. C’est par là que vient le jour, c’est par là que s’élèvera la lumière mauve qui dissipera les ombres qui me hantent. Encore une prière ! Mais rien n’oblige le crépuscule à honorer les promesses de l’aube. Le soir venant, les ténèbres couvrent tout, sauf les reliefs de la mémoire. On voudrait s’en détourner, mener sa barque au loin, vers une crique tranquille, mais, parfois, les courants en décident autrement. On achoppe sur les souvenirs, comme la barque échoue sur un récif, par inadvertance. On largue les amarres, on change de ville, parfois même de pays et d’amis. Déterminé, on voudrait poursuivre sa route, chargé seulement d’un esprit neuf, aussi léger qu’une page vierge. On voudrait avancer en paix, sans aucune entrave. Jadis, les lourdes chevillières d’argent pesaient, mais d’un tout autre poids : les princesses Guelwaar les portaient pour mieux tracer leur chemin vers un avenir prédéfini. Guelwaar de la diaspora, loin de l’âtre ancestral, j’arpente les temps modernes, privée des certitudes de mes aïeuls, les chevilles lestées d’un enchevêtrement de questions. Où vais- je ? Qu’ai-je laissé derrière moi ? Que sont devenus les miens ? Devenir quelqu’un de la diaspora, c’est porter en soi deux êtres qui ne cessent de s’interroger mutuellement. On se demande le sens de chaque jour, de chaque acte, de chaque pas, parce que les kilomètres qui mènent à soi sont plus longs que ceux qui conduisent d’un continent à l’autre. Se perdre ? On y pense, on voudrait s’en distraire, mais on y pense tout le temps, parce que c’est la pire des craintes. À quoi servirait une boussole, quand le hasard mène la danse et se moque de nos prétentions directionnelles ? Tout compte fait, la vie n’a que deux directions : devant et derrière. Alors, on avance, comme l’enfant suce son pouce, par réflexe. On ne peut qu’avancer. On ne se retourne pas quand l’horizon, amant enjôleur, vous invite sans arrêt. Plein d’allant, on s’élance, emporté par la curiosité et des désirs impérieux qui ignorent toute trêve. Rêveurs résolus, les voyageurs sont des poètes, car, si leur imagination ne cachait pas des merveilles derrière l’horizon, jamais ils n’auraient le courage de partir. Et la hardiesse jamais ne s’émousse, quand on a l’esprit fertile du poète. Dans une quasi- inconscience, on enchaîne les pas, comme on enchaîne les rêves. Le sprinteur n’ayant jamais le temps d’admirer sa propre foulée, ce sont toujours les autres qui l’évaluent, puis s’étonnent ou se désolent de la distance parcourue. Qu’importe la quête en ligne de mire, chacun avance au rythme de son souffle. L ’itinéraire s’étire, s’allonge, bifurque au gré des circonstances. On s’y fait, du moins, se plaît-on à le croire, puisqu’il s’agit de tenir. Même quand les bourrasques du destin font vaciller, toujours tenir. Ainsi accroché au fil de la vie, comme gibbon à la branche, se doute-t-on qu’en s’éloignant on reste tout de même embarqué dans sa mémoire ? On serait plus léger, plus libre, plus heureux peut-être, si l’esprit passait les étapes en se débarrassant, au fur et à mesure, de ses stigmates. Pour l’essentiel de notre existence, le corps souffre, guérit ; toujours rafistolé par ses immenses facultés régénératrices, il oublie ce qu’il perd au profit de ce qu’il gagne. Nos cellules meurent, se renouvellent et, même si l’âge nous amoche un peu, aucun de nous ne vieillit en regrettant ses dents de lait. Aussi voudrait-on pouvoir oublier certains souvenirs, comme on oublie ses quenottes. Malheureusement, tel n’est pas le cas. Il est des souvenirs que rien n’altère ; plus tenaces que des kystes, ils plantent leurs ventouses en nous et défient le temps. On se surprend parfois à murmurer : Telle chose, c’était il y a bien longtemps, mais c’est comme si c’était hier… Ce n’est pas qu’on se plaise à marcher à reculons. Non, on ne se détourne pas de bon cœur du cap de la liberté. C’est le passé, maudit sorcier, qui parfois vous jette un fil à la patte. À moins que ce ne soit un fil de coton, tissé par une mère possessive qui maille le monde afin de ne pas perdre la trace de ses enfants. Échappée, les valises posées à l’autre bout du monde depuis tant d’années, je me croyais hors d’atteinte. Mais la brise nocturne venue de Sangomar traverse le feuillage des cocotiers de Niodior, souffle ses litanies dans les bois sacrés sérères et, quand le Sine-Saloum s’endort, j’entends la déesse Itoumbé appeler son enfant : Salie, c’est la pensée qui rentre, reviens ! Salie, Salie souviens-toi ! Et, soudain, je me souviens… Depuis que cette voix me parvient, je réponds, chaque nuit, aux rendez-vous qui s’imposent à moi, comme l’averse au promeneur insouciant. Me reviennent, à l’improviste, des visages échappés d’un autre monde. uploads/Litterature/ impossible-de-grandir 1 .pdf

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