{PAGE } L’inceste chez les divinités nordiques de la fécondité Le mot « inceste

{PAGE } L’inceste chez les divinités nordiques de la fécondité Le mot « inceste » est d’origine latine et signifie « impur, souillé » et l’acte lui-même est réprouvé chez les Romains. Contrairement à ce que l’on pourrait prendre pour une généralité, l’inceste ne jouit pas d’une faveur exclusive chez les peuples anciens, ainsi que le montre Michel Mazoyer qui analyse le Traité du grand roi hittite Suppiluliuma.1 Voici ce que dit l’éditeur de Mythologies du monde à propos d’un mythe polynésien qui établit un lien entre la femme, l’inceste et la mort chez les êtres humains : « Selon une version maori, Tane, dieu des Arbres, façonna la première femme avec le sable de l’île Hawaiki et l’épousa. Ils eurent une fille, Hine-titama, ‘’la jeune fille de l’aube’’, que Tane épousa également sans qu’elle sache qu’il était son père. Lorsqu’elle l’apprit, elle s’enfuit, bouleversée, dans les mondes souterrains. Tane l’y poursuivit, mais elle lui déclara alors qu’elle ayant rompu le cordon qui la rattachait au monde elle demeurerait dorénavant au royaume de l’obscurité et y attirerait tous les enfants de son père incestueux, les humains. Ce récit constitue un exemple éloquent de la manière dont l’inceste fait l’objet d’une prohibition quasi universelle associée à l’aspect tragique de la destinée humaine. »2 Sydney Aufrère, lui, nous apprend que l’Egypte s’est pourtant accommodée de l’inceste dans le domaine des dieux.3 Il établit une « nomenclature de l’inceste, que l’on peut réduire par simplicité à quatre cas, en éliminant le caractère scabreux d’autres types de relations contre nature : - père/fille - mère/fils - frère/sœur - demi-frère/demi-sœur. »4 Chez les anciens Scandinaves, le désordre sexuel de l’inceste est limité à un seul aspect, celui des relations frère/sœur. Chez eux, il n’y a pas de complexe d’Œdipe et il ne s’en portent pas plus mal ! Mais revenons aux autres civilisations antiques dont voici quelques exemples d’interprétation de l’inceste : Brigitte d’Arx relève que dans l’ancien Iran « le mariage incestueux des Perses a été abondamment consigné et discuté… » et que « …En valorisant ce type d’alliance dans son texte canonique, l’Avesta, le mazdéisme […] paraît offrir un démenti flagrant à la loi de l’universel tabou de l’inceste. »5 S’appuyant sur la contribution de Michel Mazoyer, Jérôme Wilgaux note que l’interprétation hittite de l’inceste « trouve de nombreux échos dans les sources grecques antiques. » Il met en évidence le fait que « Aux yeux des Grecs, le Barbare c’est bien sûr celui qui ne maîtrise pas la 1 « Le fait que Suppiluliuma consacre de nombreuses lignes dans un traité international à l’interdit de l’inceste met en évidence l’importance qu’il attache à cette question, la violation de l’interdit de l’inceste risquant de provoquer la ruine du pays. ». Cf. bibliographie, p. 150. 2 Roy Willis, de l’Université d’Edimbourg, éditeur principal de Mythologies du Monde, Evergreen 2006, Taschen GmbH, Köln (Cologne, R.F.A. : République Fédérale d’Allemagne ; titre original : World Mythology, Duncan Baird Publishers, 1993, p. 22-23. 3 Cf. bibliographie, p. 234. 4 Ibidem. 5 Cf. bibliographie, p. 249. {PAGE } langue grecque et ne partage pas le mode de vie en cités, de sorte que la culture grecque lui est étrangère. Les pratiques sexuelles et matrimoniales constituent alors un critère supplémentaire, habituel, de dénigrement de l’Autre, et un passage célèbre de l’Andromaque d’Euripide en est un bon exemple : ‘Toute la race des Barbares est ainsi faite. Le père y couche avec la fille, le fils avec la mère, la sœur avec le frère.’ »6 Notre collègue remarque que « Les relations prohibées sont en fait très restreintes dans le monde grec. »7 C’est également le cas dans le monde germanique du Nord. Nous allons essayer de voir pourquoi et tout d’abord envisager les deux seuls cas d’inceste que nous transmettent les textes dans la mythologie nordique. Chez la famille des Vanes, dieux de la troisième fonction dumézilienne, l’inceste est un fait considéré comme normal, ainsi que le déclare Snorri Sturluson8 dans son Ynglinga saga 4 (« Saga des Ynglingar », œuvre qui ouvre la Heimskringla ou « Orbe du monde », collection d’une quinzaine de sagas de rois de Norvège depuis le IXe siècle). Deux cas d’inceste nous sont rapportés, avons-nous dit, par les textes, à savoir : - Freyr, dieu de la végétation et de la fécondité-fertilité, qui épouse sa propre sœur, Freyja, la Vénus nordique, l’affriolante déesse éternellement convoitée par les géants et les nains.9 - Njördr, qui est le correspondant philologique exact du Nerthus de Tacite (Germania 40), dieu de la navigation, du temps atmosphérique et de la bonne récolte), qui a épousé sa sœur (non nommée) et a engendré avec elle le couple de parèdres Freyr et Freyja.10 En opposition avec cette pratique reconnue comme normale et nullement désapprouvée chez les Vanes, la famille divine des Ases (dieux de la première et de la deuxième fonction duméziliennes, dont les principaux représentants sont Odinn, Tyr, Baldr, Ullr d’une part, Thor d’autre part) n’admet pas l’inceste. Les Ases, dont le nom convoie l’idée de force et d’énergie vitale (cf. sanskrit asu-), représentent la tradition et la morale naturelle, la défense du mariage et de la fidélité (même s’il arrive qu’Odinn et son épouse Frigg soient volages). Classe de divinités patriarchales, ils protègent les valeurs familiales et appartiennent à la civilisation, à la nature domestiquée. Tandis que les Vanes, eux, représentent la nature sauvage, à l’état brut. L’étymologie de leur nom renvoie à la notion de désir et/ou de plaisir par le truchement de la racine indo-européenne *wen-. Voyez l’allemand moderne wünschen (« souhaiter, désirer »), le néerlandais moderne wenschen (même sens), l’anglais to wish et to want, l’islandais moderne vanta (« manquer » ; ici, le lien avec l’anglais to want est facile à établir : ce qui manque, c’est ce que l’on désire !). Les Vanes vivent donc dans une 6 Cf. bibliographie, p. 267. 7 Ibidem. 8 Ecrivain, poète, homme politique, chrétien et grand mythographe islandais, Snorri (1178-1241) nous a légué dans son Edda dite en prose et rédigée vers 1220, soit deux cents ans après la christinalisation pacifique (par un vote du parlement) un panorama ordonné de la mythologie nordique. 9 Ainsi que l’attestent plusieurs mythes : celui du géant maître-bâtisseur (Gylfaginning 42 : « Fascination de Gylfi », première partie de l’Edda de Snorri), celui du vol du marteau de Thor (Thrymskvida : « Chant de Thrymr », dans l’Edda poétique), celui de Hrungnir et de son combat avec Thor (Skáldskaparmál 3 ou « Poétique », deuxième partie de l’Edda de Snorri). Dans le Sörla thattr ou « Dit de Sörli » (petite saga), les quatre nains qui fabriquent les objets précieux des dieux et notamment le fameux collier des Brisingar, bijou de Freyja, exigent de celle-ci qu’elle accepte de coucher une nuit avec chacun d’eux. 10 Cf. Ynglinagsaga 4 et Lokasenna 35-36 (« Esclandre de Loki », poème satirique de l’Edda). {PAGE } totale liberté sexuelle : Freyr s’éprend de la belle géante Gerdr et envoie son serviteur Skirnir demander en son nom ses faveurs (C’est le sujet des Skirnismal ou « Dits de Skirnir », poème de l’Edda). Freyja est accusée de fornication par Loki, le trickster (« provocateur ») de la mythologie nordique (Lokasenna 20 et 29-32) et dans le Hyndluljod 46-47 ou « Lai de Hyndla ». A noter que Hyndla signifie « chienne » et ce n’est certainement pas un hasard si l’un des premiers chrétiens islandais, Hjalti Skeggjason, dans un distique qui raille les dieux païens, traite Freyja de chienne11 (Voyez le sens de l’anglais bitch !). Remarquons que Loki, dont l’ambivalence sexuelle n’est plus à démontrer (Dans le mythe du géant maître-bâtisseur, il se transforme en jument afin de se faire engrosser par l’étalon du géant, privant ce dernier de son précieux auxiliaire pour lui faire perdre son défi et le faire occire par Thor), se trouve à la jonction des deux familles de dieux. A la suite de la guerre entre elles, les dieux de 1re et 2e fonctions d’une part, et les dieux de 3e fonction d’autre part, scellent la paix pour ne plus former qu’une seule et même famille divine. De plus, la religion nordique ancienne plonge ses racines dans la magie, vit de la magie, par et pour la magie. Un nouvel ordre s’établit ainsi, transcendant l’ancienne opposition entre la classe patriarchale et hiératique des Ases et la classe anarchique et lascive des dieux Vanes. Par conséquent, dans l’ambiance sexualisée des Vanes et de la civilisation païenne, l’inceste n’apparaît plus que comme un épiphénomène et l’on ne s’étonnera pas qu’il soit dès lors banalisé et nullement désapprouvé. Devons-nous attribuer cela au caractère primitivement agraire et naturaliste de la religion païenne ancienne ? Sans doute, car les Vanes sont chronologiquement, à mon avis et, c’est également celui de chercheurs islandais comme Olafur Briem et Ingunn Asdisardottir12, les premières divinités en Scandinavie et elles répondent à une société agraire. Les paysans libres constitueront d’ailleurs l’armature de la société scandinave ancienne. Nous savons bien, et uploads/Litterature/ incest-e.pdf

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