QU'EST-CE QU'UNE LITTERATURE FRANCOPHONE? Author(s): Jean-Louis Joubert Source:

QU'EST-CE QU'UNE LITTERATURE FRANCOPHONE? Author(s): Jean-Louis Joubert Source: Francofonia, No. 22 (Primavera 1992), pp. 19-29 Published by: Casa Editrice Leo S. Olschki s.r.l. Stable URL: http://www.jstor.org/stable/43015823 Accessed: 04-06-2017 17:08 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Casa Editrice Leo S. Olschki s.r.l. is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Francofonia This content downloaded from 195.220.216.80 on Sun, 04 Jun 2017 17:08:15 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms QU'EST-CE QU'UNE LITTERATURE FRANCOPHONE? * Jean-Louis Joubert Si je pose cette question, en apparence futile: qu'est-ce qu'une littérature francophone?, c'est parce qu'il me semble qu'une distinc- tion sémantique intéressante s'établit actuellement dans la langue fran- çaise entre, d'une part, la littérature francophone (comprenons: l'en- semble des textes « littéraires » écrits en français) et, d'autre part, les littératures francophones (les différents domaines littéraires de langue française développés hors des strictes limites de l'hexagone). Cette distinction n'est peut-être pas encore unanimement accep- tée. A preuve les débats, voire la courtoise polémique, qui se sont développés sur la dénomination du réseau de l'AUPELF-UREF (As- sociation des Universités Partiellement ou Entièrement de Langue Française), dont on m'a demandé d'assurer la coordination. Ce réseau s'intitule: « réseau Littératures Francophones ». Dans mon esprit, le pluriel indiquait qu'il s'agissait d'une coordination de chercheurs uni- versitaires spécialisés dans l'étude des littératures de langue française hors de France. Mais on m'a objecté, surtout au Québec, qu'il fallait que ce réseau inclût la littérature française, sinon il témoignerait une fois de plus de la propension française à rejeter vers d'accessoires périphéries tout ce qui ne fait pas allégeance au modèle institué par la métropole française. A coup sûr, cette discussion témoigne d'un fait essentiel: le cen- tralisme français, le pouvoir d'attraction-fascination de la capitale parisienne, rejette nécessairement en marge ce que le volume de l 'Histoire des Littératures de l'Encyclopédie de la Pléiade appelait (en 1958) « littératures connexes et marginales », ce que l'on a bap- tisé ensuite « littératures d'outremer » ou « d'expression française », ce que l'on tend à désigner aujourd'hui comme « littératures franco- phones ». De ce point de vue, il existe une grande différence avec les * Conférence prononcée à Bologne le 7 décembre 1991 à l'occasion du con- grès organisé pour fêter les dix ans de « Francofonia ». ^ 19 ~ This content downloaded from 195.220.216.80 on Sun, 04 Jun 2017 17:08:15 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms JEAN-LOUIS JOUBERT pays de langue anglaise, espagnole ou portugaise. Il y a belle lurette que Londres, Madrid ou Lisbonne ne sont plus centres uniques de légitimation intellectuelle et littéraire dans leurs domaines linguis- tiques. Autre argument qui pourrait contester le projet d'ériger les litté- ratures francophones en domaines autonomes d'étude: il est clair que, depuis quelques décennies, nous sommes entrés dans une ère d'inter- nationalisation de la culture. Les étiquettes nationales sont bien dé- valuées pour définir des œuvres littéraires qui paraissent parfois quasi- simultanément dans plusieurs langues et en de multiples endroits du globe, et qui se répandent et se lisent presque instantanément de New- York à Paris ou de Rome à Londres. Il est arrivé que certains écri- vains soient contraints par l'histoire tumultueuse de ce siècle de chan- ger de pays et de langue d'écriture. L'exemple de Nabokov vient immédiatement sur les lèvres: faut-il le définir comme écrivain russe ou comme écrivain américain, - à défaut de l'écrivain francophone qu'il aurait pu choisir de devenir, et qu'il n'a été qu'élusivement? A l'heure où s'effacent tant de frontières, il serait étrange de les maintenir strictement, voire de les multiplier, dans le domaine lit- téraire. Il faut accorder aux écrivains le droit d'émigrer et de passer les frontières de pays et de langues en fonction de leur nécessité in- térieure. On doit d'ailleurs constater que beaucoup d'écrivains venus d'ailleurs se sont révélés solubles dans la littérature française: le Suisse Jean-Jacques Rousseau, le Belge Georges Simenon, le Roumain Eugène Ionesco, - et tant d'autres ... La langue d'expression (comme aussi le choix de formes ou de thèmes privilégiés) ne saurait fournir le critère nécessaire et suffisant pour délimiter les contours d'un ensemble de textes formant « une littérature ». Si une telle expression a un sens, c'est dans la mesure où les textes littéraires se déploient dans le temps et l'espace: ils sont écrits (et avant même leur inscription sur la page ou sur l'écran du traitement de texte, ils ont pu connaître une lente gestation, toute une préhistoire textuelle ...), puis ils sont édités, diffusés, lus et peut-être appréciés (on peut tenter de retrouver les conditions de leur réception par le public), ils sont critiqués (parfois par des criti- ques professionnels qui en proposent des modes d'emploi), ils sont censurés, occultés, retrouvés, quelques années ou quelques décennies plus tard, etc. Bref, les textes entrent dans ce que j'appelle une « circulation littéraire » et ils construisent ainsi un espace de mots et de figures qui est sans doute ce qu'on désigne comme « littérature nationale » ou « littérature régionale ». S'il existe des littératures fran- 20 This content downloaded from 195.220.216.80 on Sun, 04 Jun 2017 17:08:15 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms QU'EST-CE QU'UNE LITTERATURE FRANCOPHONE? cophones qui ne se confondent pas dans le grand ensemble de la lit- térature française, c'est sans doute à partir de ces critères (production, diffusion, usage, j'allais dire consommation, en tout cas circulation des textes) qu'on pourra les distinguer. Je propose donc de définir une littérature francophone comme étant constituée par l'ensemble (né- cessairement flou) des textes qui organisent un espace littéraire, arti- culé sur un pays, une région ou une communauté, en en produisant une image: une littérature francophone interroge ainsi et fonde l'iden- tité de la collectivité qui s'y reconnaît, grâce à l'élaboration de my- thes ou à l'exploration d'un imaginaire propre. Elle contribue donc à construire le pays, la région ou la communauté où elle se déve- loppe. Le français des littératures francophones n'a donc pas pour vo- cation particulière la célébration de l'universalité de la civilisation française. Il n'y a rien de plus affligeant que les discours néo-riva- roliens que se croient obligés d'entonner certains participants aux manifestations de la francophonie. Chaque peuple, chaque commu- nauté qui fait confiance au français et choisit de l'utiliser comme lan- gue d'expression (parfois en corrélation avec d'autres langues) le charge d'exprimer ses valeurs ou ses fantasmes, - ce que je désignais il y a un instant par le mot ambigu de « mythes ». L'institution scolaire a parfaitement compris le rôle fondateur que peuvent jouer les littératures francophones. D'où la mise en œuvre de politiques d'introduction des auteurs nationaux ou régionaux dans les pays concernés. Cela a été le cas au Québec, où les cours de litté- rature puisent maintenant très largement dans le corpus des écrivains québécois. Même évolution en Afrique, où un colloque, réuni dès 1963 à l'université de Dakar, préconisait l'introduction des œuvres littéraires négro-africaines dans les programmes d'enseignement afri- cain. Ce qui n'a pas été sans incidences sur la « circulation littéraire » des romans africains. Lorsque les romanciers noirs de la première gé- nération, les Camara Laye, Mongo Beti, Ferdinand Oyono, Sembène Ousmane, etc., ont publié à Paris, dans les années 50, leurs pre- miers romans, ils visaient manifestement un public essentiellement constitué par des lecteurs européens de bonne foi, sympathisant aux efforts de libération des peuples colonisés. L'inscription de leurs textes dans les programmes scolaires a d'abord considérablement multiplié leurs tirages (avec passage de la plupart de leurs œuvres en collections de poche) et surtout elle leur a acquis un nouveau public de lecteurs: la jeunesse scolarisée africaine qui s'est ainsi réapproprié son patri- moine littéraire. L'adolescent africain qui se découvre aujourd'hui le ^ 21 ~ This content downloaded from 195.220.216.80 on Sun, 04 Jun 2017 17:08:15 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms JEAN-LOUIS JOUBERT désir d'écrire prendra peut-être la plume sous le coup de la lecture inspirante d'une œuvre littéraire africaine. L'école a pour fonction (c'est un truisme maintenant de le répé- ter) d'ériger en littérature, en classiques selon l'étymologie même du mot, les textes qu'elle choisit pour les faire lire aux enfants. Preuve supplémentaire et exemple du processus en cours de lé- gitimation des littératures francophones: la commande effectuée par l'A.C.C.T. (Agence de Coopération Culturelle et Technique), organis- me exécutif des recommandations des sommets des chefs d'Etat et de gouvernements ayant en comun l'usage du français, d'un manuel de « littérature francophone » destiné à être largement difusé dans les écoles secondaires des pays francophones, pour contrebalancer la place longtemps prépondérante de la littérature française hexagonale. Je voudrais simplement reprendre et développer quelques-uns des points que je viens d'esquisser, en uploads/Litterature/ j-l-joubert-qu-x27-est-ce-qu-x27-une-litterature-francophone-pdf.pdf

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