DU VISAGE AU CINÉMA Dans la même collection James Agee : Sur le cinéma André Ba
DU VISAGE AU CINÉMA Dans la même collection James Agee : Sur le cinéma André Bazin: Le Cinéma français de la Libération à la Nouvelle Vague (1945-1958) Pascal Bonitzer : Décadrages Michel Chion : La Voix au cinéma. Le Son au cinéma La Toile trouée: La parole au cinéma Fabrice Revault d'Allonnes: La Lumière au cinéma Marc Vernet: Figures de l'absence Dominique Villain : Le Montage au cinéma Le Cadrage au cinéma, l' œil à la caméra Paul Virilio : Guerre et cinéma 1 : Logistique de la perception En co-édition avec la Cinémathèque Française : Dudley Andrew : André Bazin (préface de François Truffaut, annexe de Jean-Charles Tacchella) Du même auteur Montage Eisenstein (Albatros, 1979) L' Œil interminable (Librairie Séguier, 1989) L'Image (Nathan, 1990) en collaboration: Esthétique dufilm (Nathan, 1983) L'Analyse des films (Nathan, 1988) Collection Essais Sous la direction de Patrice Rollet Cahiers du cinéma L'auteur souhaite remercier tous ceux et celles qui l'ont aidé à écrire ce livre, et notamment Raymond Bellour, Nicole Brenez, Jean-François Catton, Marc Ceri- suelo, Daniel Dobbels, Philippe Dubois, Jean-Pierre Esquenazi, Mojdeh Famili, Frank Kessler, Dominique Païni, Stojan Pelko, Kamel Regaya, Patrice RoUet. Photo de couverture : Anna Magnani et Tina Apicella dans Bellissima de Luchino Visconti. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans la présente publication (ou le présent ouvrage), faite sans l'autorisation de l'éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d'une part, les reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, les analyses et courtes citations justifiées par le caractère scien- tifique ou d'information de l'œuvre dans laquelle elles sont incorporées (loi du II mars 1957- art 40 et 41 et Code pénal art. 425). Toutefois, des photocopies peuvent être réalisées avec l'autorisation de l'éditeur. Celle-ci pourra être obtenue auprès du Centre Français du Copyright, 6 bis, rue Gabriel-Laumain, 75010 Paris, auquel « Les Editions de l'Etoile» ont donné mandat pour les représenter auprès des utilisateurs. © Editions de l'Etoile / Cahiers du cinéma 1992 ISBN: 286642.124.8 Diffusion Seuil- 27, rue Jacob -75006 Paris · i JACQUES AUMONT DU VISAGE AU CINÉMA Cet ouvrage a été publié avec le concours du Centre National des Lettres Pour Anne-Marie Faux-de toutesfaçons PROLOGUE C'était il Y a trente ans. Les ventres étaient pleins, on commençait à construire des autoroutes. La France de la croissance industrielle faisait son possible pour oublier. Oublier Montoire et Auschwitz, oublier Hiroshima, oublier Dien-Bien-Phu, l'Algérie. Le structuralisme commençait à disputer la vedette des magazines à la Nouvelle Vague. C'était en 1963, ou peut-être en 1962, et une jeune femme pleurait au cinéma. Dans ce monde qui voulait oublier la défaite, toutes les défaites, qui S"étourdissait à neuf du progrès inflni de la vie matérielle, qu'est-ce qui pou- vait encore provoquer les larmes d'une jeune femme, un ruissellement de larmes irrépressibles, abandonnées, presque voluptueuses ? Évidemment la contemplation d'un visage, et rien d'autre. Un visage en très gros plan, monstrueusement coupé de son corps, terriblement souffrant, torturé, isolé sur un fond blanc qui en faisait ressortir la détresse. Les larmes étaient le signe visible que, de cette souffrance, quelqde chose passait dans celle qui la regardait, la traversait: qu'elle s'était identifiée à cette souffrance, qu'elle l'était devenue. Le visage de la jeune femme en pleurs était lui-même un gros plan de fllm : Anna Karina, la Nana de Vivre sa vie, en contrechamp de Falconetti, la Jeanne d'Arc de Dreyer. Par-delà trente et quelques années, qui avaient vu se jouer tant de choses dans l'histoire du cinéma et dans l'histoire du. monde, une rencontre restait efficacement possible entre ces deux visages de femme, pourvu qu'une collure les réunît. La Passion de Jeanne d'Arc, qu'on présen- 10 ., DU VISAGE AU CINÉMA tait alors dans une version dégradée, avec sonorisation sirupeuse, était déjà l'éternel monument qu'elle est devenue. Hymne à l'âme, à l'humanité de l'âme humaine - malgré le kitsch sulpicien des plans de vitraux ajoutés par Lo Duca - elle semblait faite pour rendre visible, une fois pour toutes, cette effrayante et essentielle nudité de l'âme, du visage de l'âme. L'âme a-t-elle un visage? Oui, répondent les mystiques, c'est celui de 1'« homme interne », qui vit après la mort. Son visage, sa face, deviennent alors une image, semblable « à son affection dominante ou à son Amour régnant» dont elle n'est plus que la fonne extérieure : « Tous, quels qu'ils soient, sont réduits à cet état, de parler comme ils pensent, et montrer par leur visage et leurs gestes quelle est leur volonté. De là résulte donc que les faces de tous les Esprits devien- nent les formes et les effigies de leurs affections. » (Swedenborg, Le Ciel et ses merveilles et l'enfer) C'est un tel visage voulu absolu, « avec toutes les pensées, les intentions, les plaisirs et les craintes qui l'avaient agité» qu'offrait Dreyer, réalisant au plus près cette utopique perfection du visage humain, la transparence. C'est dans ce visage absolu que s'immergeait Nana, et Godard il y a tren- te ans croyai,t encore que l'âme pût parler à l'âme, jusqu'au point physique des larmes. A la fin du premier tableau de Vivre sa vie, Nana et Paul achè- vent leur dispute sur une partie de flipper. Paul (André Labarthe) rapporte à Nana un mot d'enfant qu'il trouve amusant. Sa voix, soudain plus proche, quitte l'ambiance du café, et il récite: « La poule est un animal qui se com- pose de l'extérieur et de l'intérieur. Si on enlève l'extérieur, il reste l'inté- rieur, et quand on enlève l'intérieur, alors on voit l'âme. » Un an plus tôt, Bruno Forestier, le « petit soldat », annonçait à la même Anna Karina (elle déclarait alors s'appeler Veronika Dreyer), au moment de la photographier: « Quand on photographie un visage, on photographie l'âme qu'il y a der- rière. » Du temps a passé sur tout ceci, et non pas seulement comme un léger soup- çon. L'âme peut-elle vraiment parler à l'âme, l'humanité d'un visage à celle d'un autre visage? Le cinéma peut-il encore croire à cette rencontre effusive, la montrer simplement, comme allant de soi ? Rien n'est moins sûr: la char- ge d'humanité, d'âme ne sont plus, au cinéma, un donné, et pas seulement parce que l'âme· est devenue une notion douteuse. Au vrai, c'est là même où elle avait été la valeur la plus éminente, dans le cinéma d'art européen, qu'elle avait été mise à malle plus vite. PROLOGUE 11 Quelques années à peine après les larmes de Nana, un autre film multipliait les gros plans sur un visage de femme au bord de la crise. Mais plus rien n'était simple, immédiat, plus rien ne coulait de source, pas même les larmes. Cette femme en crise n'avait plus en face d'elle l'image mythique, sacralisée d'une Ame absolue et sainte - mais une autre femme, fragile et retorse comme elle, qui tantôt lui tendait un miroir accusateur et sans pitié, tantôt menaçait son être même au point d'échanger avec elle noms et visages, et toujours, lui disputait l'espace du plan. D'ailleurs, ce n'était plus une petite prostituée naïve et idéaliste, fondant de sympathie pour une grande douleur, mais une actrice célèbre, que la douleur du monde avait frappée d'aphasie sans qu'elle pût s'y reconnaître, et encore moins, l'oublier. Le titre même du film, Persona, le disait: c'était une histoire de masque, sans plus d'âme par-derrière où s'arrêterait la vérité. La « vérité» n'était qu'une moire insaisissable, passant de visage en visage sans jamais s'arrêter. Aux premiers plans, on voyait un enfant peut-être mort tenter vainement, en les touchant des doigts, de donner une âme à des visages géants ; aux der- niers plans, l'enfant tâtonnant était encore là, les visages ne cessaient, défini- tivement, de lui échapper. Le film était l'explication de ces visages, mais il n'expliquait que ceci: un visage est un écran, une surface. Il n'y a rien der- rière, et ce qui s'y inscrit lui reste étranger - peut aussi bien s'inscrire ailleurs, sur un autre visage (ou les visages peuvent s'ajouter, se superposer, s'accoler comme des surfaces in-différentes). Dans ce peu de temps qui sépare deux films, serait-ce que quelque chose (quoi ?) a tout à coup basculé? Et si Vivre sa vie est le révélateur qui ajoute la loupe de ses gros plans à ceux de Dreyer pour faire ressurgir une âme de ses bandelettes, quel film aujourd'hui pennettrait d'éclairer les monstrueux agrandissements de Bergman? Faudrait-il remonter jusqu'au cinéma primitif et à ses « grosses têtes » ? Ou au contraire, chercher près de nous, dans l'absence glaçante de profondeur sous les visages, qui parfois nous saisit au détour des films, les derniers signes, enfin révélés, d'unanti-humanisme que Bergman n'aurait fait que génialement pressentir ? Ce livre n'est pas une histoire du visage, ni une histoire des représentations· du visage. Prenant le éinéma à témoin, il vise seulement à s'interroger sur le rôle, suspect, qu'ont joué des arts éminemment humanistes de uploads/Litterature/ jacques-aumont-du-visage-au-cinema-pdf.pdf
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- Publié le Mai 05, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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