9 Présentation Des circonstances qui ont présidé à la ré- daction du document i

9 Présentation Des circonstances qui ont présidé à la ré- daction du document ici publié, il se trouve que je suis le seul témoin direct encore vivant. C’est pourquoi il m’incombe d’en rédiger la présentation dès lors que la publication en a été jugée souhaitable par beaucoup. En 1984, les Cahiers de L’Herne me fi rent parvenir par l’intermédiaire de Michel Haar une invitation à organiser un numéro consacré à Maurice Blanchot. L’origine de la proposi- tion se trouvait dans le fait que, l’année précé- dente, Blanchot avait publié La Communauté inavouable qui commençait par une réponse à « La Communauté désœuvrée », article que j’avais publié dans Aléa 1. Bien entendu j’étais 1. Que dirigeait Jean-Christophe Bailly chez Bourgois. BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 9 BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 9 23/02/11 15:14 23/02/11 15:14 10 ravi de cette offre. Étant donné que Philippe Lacoue-Labarthe était très proche de Blan- chot par beaucoup d’affi nités intellectuelles et aussi par la médiation de Roger Laporte dont il était plus proche que moi, je lui propo- sai de réaliser ce projet ensemble. Notre pre- mière décision fut que nous ne nous conten- terions pas d’un volume d’études universitaires, même si elles étaient souhaitables, mais qu’il fallait aussi susciter un hommage d’écrivains faisant autorité en tant que tels. Notre seconde décision était liée aux récentes publi- cations concernant les positions politiques du Blanchot des années 1930 1 : nous voulions saisir l’occasion d’engager avec Blanchot un 1. Il s’agit des livres et articles auxquels fait allusion le début de la lettre de Blanchot et aussi, bien sûr, du livre de Jeffrey Mehlman (Legs de l’antisémitisme en France, Paris, Denoël, 1984). Mais je ne détaillerai pas ici ce pour quoi on peut trouver toutes les précisions historiques dans la biographie extrêmement précise et informée de Chris- tophe Bident (Maurice Blanchot. Partenaire invisible, Seyssel, Champ Vallon, 1998) ainsi que dans le livre non moins précieux de Leslie Hill (Blanchot. Extreme Contemporary, Londres, Routledge, 1997). Je précise aussi que c’est après avoir consulté ces deux autorités en matière d’histoire et d’analyse de l’œuvre de Blanchot – ainsi que Mike Hol- land, autre grand spécialiste de Blanchot – que j’ai décidé de la présente publication. BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 10 BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 10 23/02/11 15:14 23/02/11 15:14 11 échange précis et exigeant sur cette question, afi n de dépasser l’affrontement grossier des accusations et des défenses tel qu’il se jouait dans les magazines. Mais nous n’avions pas prévu que notre première décision pût se révéler vaine, et sans doute à cause du même contexte de la mise en accusation politique. Nous reçûmes une série de réponses négatives dont quelques-unes, rares, faisaient état d’une réserve et dont plu- sieurs autres usaient de formules plus ou moins semblables sur le thème « il est trop grand, je ne saurais l’aborder – ou je n’en aurais pas le temps ». Il y eut aussi un certain nombre de silences. Je ne me soucie pas d’en- trer dans le détail des noms : il ne s’agit pas d’être indiscret. Nous reçûmes par ailleurs un certain nombre d’études (dont plusieurs sans doute ont été publiées par la suite), mais nous restions très loin de notre objectif. Après une attente longue et inquiète nous fûmes contraints – c’était à la fi n de l’été 1985 – de nous rendre à l’évidence : il ne serait pas possible de faire le Cahier que nous jugions digne de Blan- chot. Et nous eûmes le devoir pénible de l’en informer. Pendant ce temps, le travail préparatoire BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 11 BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 11 23/02/11 15:14 23/02/11 15:14 12 d’un possible échange sur la question poli- tique avait un peu progressé, freiné cependant par ce que je viens de décrire, et pour fi nir interrompu par l’abandon du projet. Dans l’année 1984, à travers quelques échanges de lettres surtout avec Lacoue-Labarthe (qui était de nous deux le plus vivement intéressé par cette question, comme on le verra aussi plus loin par la lettre de Mascolo), Blanchot en était venu à concevoir l’idée de rassembler des remarques éparses dans ces lettres sous la forme d’un document – qu’il nomma « récit » dans une lettre à Roger Laporte – qui aurait en quelque sorte valeur de décla- ration préliminaire à un entretien futur. Il ne l’adressa pas à Lacoue-Labarthe mais à Laporte, qui était en tiers dans l’échange et qui avait pris sur lui d’user de sa longue amitié avec Blanchot pour lui demander de manière plus directe de s’expliquer sur son comportement avant la guerre et lors du bas- culement de l’année 1940. C’est pourquoi la lettre commence en remerciant Laporte tant d’être resté jusque-là silencieux au sujet de la politique que de rompre maintenant ce silence. Comme on le voit à la fi n, c’est bien à Lacoue-Labarthe qu’il demande qu’elle BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 12 BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 12 23/02/11 15:14 23/02/11 15:14 13 soit transmise, c’est-à-dire à nous deux et pour le projet de L’Herne 1. Longtemps cette lettre – qui n’avait donc pas trouvé son prolongement prévu – est res- tée, pour Laporte comme pour nous, un docu- ment qui n’avait pas à être publié puisqu’il était privé du contexte que nous voulions lui donner. Leslie Hill, à qui je l’avais fait connaître en confi dence, avait obtenu de Laporte (lui- même autorisé par Blanchot) en 1996 l’auto- risation d’en publier quelques extraits 2. Il y a peu de temps, c’est Mike Holland, en me demandant des précisions sur cette lettre, qui m’en rappela l’existence. À partir de ce mo- ment, il m’a semblé qu’il était opportun de publier ce document. Sans doute, c’est une lettre, et Blanchot est connu pour avoir affi rmé 1. La lettre n’est pas datée. En nous l’envoyant, Roger Laporte précisait qu’elle pouvait être datée, par le cachet de la poste et par une autre lettre, personnelle, de Blanchot, du 22 décembre 1984. 2. En réalité, l’autorisation de publier appartient à l’au- teur de la lettre ou à son ayant droit, en l’occurrence Cida- lia Fernandez-Blanchot qui a donné son accord à la pré- sente publication (grâce à la médiation attentive d’Éric Hoppenot). Le destinataire, pour sa part, n’est propriétaire que de l’objet, non du contenu. Mais Jacqueline Laporte a également donné son assentiment, dont je la remercie. BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 13 BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 13 23/02/11 15:14 23/02/11 15:14 14 qu’il ne voulait pas que ses lettres soient publiées. Sa correspondance avec Kozovoï a été publiée, à l’initiative de Jacques Derrida et avec l’accord de Cidalia Fernandez-Blanchot, en raison de son caractère en quelque façon public. Dans le cas du récit de 1984, ce carac- tère est encore plus fl agrant, puisque Blan- chot l’a rédigé en vue de participer à une publication. En outre il l’a tapé à la machine alors que toutes ses autres lettres que je connais sont manuscrites. Au reste, je ne publierai ici aucune autre lettre, ni de lui ni de quiconque, liée ou non à l’épisode que j’ai raconté. Fera seulement exception la lettre de Dionys Mascolo qu’on trouvera plus loin : elle aussi m’a semblé devoir être considérée comme un document qui s’engageait dans le travail prévu pour le Cahier. Elle était la seule. Je me contente de présenter ces deux docu- ments. Je les situe, mais je ne propose ni de les replacer dans leurs contextes respectifs (tant celui des époques qu’ils évoquent que celui des dates de leurs rédactions), ni de les analyser. Je n’examine pas le rapport de Blan- chot avec sa propre histoire et avec son œuvre. Beaucoup a déjà été fait pour l’examen de ces deux registres, en particulier par les ouvrages BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 14 BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 14 23/02/11 15:14 23/02/11 15:14 15 cités mais aussi par d’autres travaux. On pourrait déjà étudier la courte histoire des manières d’envisager la question politique chez Blanchot et chez un certain nombre d’autres qui ont connu des trajectoires analo- gues ; elle sera prolongée, je n’en doute pas, mais pour le moment il ne s’agit que de pièces au dossier. Si je ne veux donc pas proposer une ana- lyse historique de cette lettre, ni du point de vue de l’histoire générale (cette histoire de la défaite de la France dans un confl it par lequel s’inaugurait la phase la plus manifeste d’un bouleversement irréversible de l’Europe et du monde), ni du point de vue de l’histoire per- sonnelle (Maurice Blanchot, qui et comment il fut alors), ni enfi n du point de vue de la rédaction même de la lettre (que dit-elle au juste ? comment le dit-elle ? que ne dit-elle pas ?), c’est avant tout parce qu’il n’appar- tient pas à un seul de tenter une telle analyse. Il y faut un vaste travail d’ensemble que seule la distance du temps permettra. Oui, il faut certainement encore du temps pour que nous puissions aborder l’une et l’autre histoire sans être trop soumis aux fi ltres des attentes immé- BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 15 BS-78076-NE-Blanchot-9-fin.indd 15 23/02/11 15:14 23/02/11 15:14 16 diates, aux exigences naïves (de pureté, de profession de foi « de gauche », etc.). Mais aussi, comme en toute question d’histoire, il uploads/Litterature/ jean-luc-nancy-maurice-blanchot-passion-politique-extrait.pdf

  • 42
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager