Sur l’auteur D’origine modeste, John Fante, fils d’immigrants italiens, né en 1
Sur l’auteur D’origine modeste, John Fante, fils d’immigrants italiens, né en 1909 à Denver (Colorado), fait très jeune ses premières gammes en écriture. Il montre ses textes à H. L. Mencken qui lui achète dès 1932 sa première nouvelle pour l’American Mercury, le prestigieux magazine qu’il dirige. Commence alors entre les deux hommes une amitié épistolaire qui durera plus de vingt ans. En 1933, son premier roman, La Route de Los Angeles, est refusé par les éditeurs et il lui faudra attendre cinq ans la publication de Bandini. Parallèlement, il fait ses débuts dans les studios de Hollywood où il participe, de 1935 à 1966, à la rédaction de scénarios d’une dizaine de films. Romancier autobiographe, Fante n’a jamais raconté dans ses romans qu’une seule histoire, la sienne. Celle d’un immigré de la deuxième génération, de son père, de sa mère, de ses frères et sœurs et de leurs voisins bavards et catholiques, italiens eux aussi. Il raconte également ses vagabondages à Hollywood, l’argent facile dans lequel on se noie, puis le choix de la pauvreté qui est celui de l’écriture. Tardivement révélé au public avec Pleins de vie, John Fante est mort en 1983. MON CHIEN STUPIDE PAR JOHN FANTE Traduit de l’américain par Brice MATTHIEUSSENT 1018 « Domaine étranger » dirigé par Jean-Claude Zylberstein CHRISTIAN BOURGOIS ÉDITEUR Du même auteur aux Éditions 10/18 BANDINI, n° 1915 DEMANDE À LA POUSSIÈRE, n° 1954 LE VIN DE LA JEUNESSE, n° 1998 ► MON CHIEN STUPIDE, n° 2023 LA ROUTE DE Los ANGELES, n° 2028 RÊVES DE BUNKER HILL, n° 2056 L’ORGIE, n° 2071 PLEINS DE VIE, n° 2089 LES COMPAGNONS DE LA GRAPPE, n° 2111 CORRESPONDANCE (FANTE/MENCKEN), n° 2344 Titre original : West of Rome ©Joyce Fante, 1985. © Christian Bourgois Éditeur, 1987 pour la traduction française. ISBN 2-264-03450-5 Un C’était janvier, il faisait froid et sombre, il pleuvait. J’étais las et déprimé, mes essuie-glaces ne fonctionnaient pas et j’avais la gueule de bois après une longue soirée de beuverie et de discussions avec un réalisateur millionnaire qui voulait me faire écrire le scénario d’un film sur un couple de gangsters « à la manière de Bonny and Clyde, avec de l’esprit et de la classe ». Aucun salaire n’était prévu. « Nous serons associés, cinquante-cinquante. » C’était la troisième proposition de ce genre qu’on me faisait en six mois, un signe des temps très décourageant. Je me traînais à vingt-cinq à l’heure sur la route de la côte, la tête passée par la fenêtre, le visage ruisselant d’eau ; j’écarquillais les yeux pour essayer de suivre la ligne blanche, et le toit en vinyle de ma Porsche 1967 (quatre mensualités impayées, l’organisme de crédit gueulait) a bien failli être arraché par la pluie diluvienne quand j’ai enfin bifurqué vers l’océan. Nous habitions Point Dume, une langue de terre qui avançait dans la mer comme un sein dans un film porno, au nord du croissant de la baie de Santa Monica. Point Dume est une sorte de lotissement dépourvu d’éclairage municipal, une excroissance suburbaine chaotique couverte d’un réseau si dense de rues tortueuses et d’impasses que, j’avais beau y habiter depuis vingt ans, je m’y perdais encore dès qu’il pleuvait ou qu’il y avait du brouillard, et j’errais souvent à l’aveuglette dans des rues situées à moins de deux blocs de chez moi. Comme je l’avais prévu par cette soirée de tempête, je me suis engagé dans Bonsall au lieu de Fernhill, puis j’ai entamé la longue routine désespérée consistant à essayer de trouver ma maison. Je savais qu’à condition de ne pas tomber en panne d’essence, je finirais par rejoindre la route de la côte et la lumière blafarde de la cabine téléphonique de l’arrêt de bus, d’où je pourrais appeler Harriet pour lui demander de venir et de me montrer le chemin de la maison. Dix minutes après, elle est arrivée sur la colline ; les phares du break foraient des puits de lumière dans la tempête, puis ils ont zoomé sur moi et ma voiture garée près de la cabine téléphonique. Elle a klaxonné, sauté du break, puis couru vers moi en imperméable blanc. L ’inquiétude écarquillait ses yeux. « Tu vas avoir besoin de ça. » Elle a brusquement sorti mon calibre 22 de sous son manteau et l’a tendu par la vitre ouverte de la Porsche. « Il y a une chose terrible dans la cour. » « Quoi ? » « Dieu seul le sait. » Je ne voulais pas de ce sacré revolver. J’ai refusé de le prendre. Elle a tapé du pied. « Prends-le, Henry ! Il te sauvera peut-être la vie. » Elle l’a brandi sous mon nez. « Merde, qu’y a- t-il ? » « Je crois que c’est un ours. » « Où ? » « Sur la pelouse. Sous la fenêtre de la cuisine. » « C’est peut-être un des gosses. » « Avec de la fourrure ? » « Quel genre de fourrure ? » « De la fourrure d’ours. » « Il est peut-être mort. » « Ça respire. » J’ai essayé de repousser le revolver vers elle. « Écoute, j’ai pas la moindre envie de descendre un ours endormi avec un calibre 22 ! Je vais me contenter de le réveiller. Et d’appeler le shérif. » J’ai ouvert la porte, mais elle l’a refermée. « Non. Examine-le d’abord. C’est peut-être rien du tout. Peut-être tout simplement un âne. » « Oh, merde. Maintenant, c’est un âne. Ça a de grandes oreilles ? » « Je n’ai pas remarqué. » J’ai soupiré et mis le moteur en route. Elle est retournée vers le break en courant, puis a fait demi- tour. Comme il n’y avait pas de ligne blanche médiane, je suis resté près de ses feux arrière en roulant doucement au milieu des trombes d’eau. Notre maison se dressait sur une acre de terrain, à une centaine de mètres de la falaise et de l’océan qui rugissait en contrebas. C’était ce qu’on appelait un « ranch » en forme de Y , bâti à l’intérieur d’un mur en ciment qui entourait complètement la propriété. Cent cinquante grands pins poussaient le long de ce mur et nous donnaient l’impression d’habiter en pleine forêt. L ’ensemble ressemblait exactement à ce qu’il n’était pas – le domicile d’un écrivain à succès. Mais tout était payé, jusqu’à la dernière pomme d’arrosage, et je mourais d’envie de bazarder tout ça pour quitter le pays. Faudra d’abord que tu me passes sur le corps, me défiait Harriet, si bien que je me distrayais souvent en imaginant ma femme gisant dans une flaque de sang sur le sol de la cuisine tandis que je creusais sa tombe près du corral, après quoi je sautais dans un avion d’Alitalia à destination de Rome avec soixante-dix mille dollars dans mon jean et une nouvelle vie sur la Piazza Navona en compagnie d’une brune pour changer. Elle était pourtant adorable, mon Harriet : vingt-cinq ans qu’elle tenait le coup à mes côtés ; elle m’avait donné trois fils et une fille, dont j’aurais joyeusement échangé n’importe lequel, voire les quatre, contre une Porsche neuve, ou même une MG GT’70. Deux Harriet s’est engagée dans l’allée, puis je me suis arrêté à côté d’elle dans le garage. Nous avons été surpris de découvrir là l’autre voiture, une Packard 1940, une véritable antiquité qui appartenait à Dominic, notre aîné, le premier dingo de la famille. Nous ne l’avions pas vu depuis deux semaines. Son retour par une telle nuit d’orage signifiait qu’il avait soit des ennuis, soit besoin de chemises propres. J’ai ouvert la portière arrière de la Packard. Ça puait la marijuana à l’intérieur. Harriet s’est penchée vers la banquette et, avec une grimace, a saisi une petite culotte bleue, qu’elle a relancée dans la voiture avec un beurk dégoûté. Nous sommes sortis du garage. La maison étincelait comme un parking de voitures d’occasion ; il y avait de la lumière à toutes les fenêtres, jusqu’aux spots de la porte de derrière et du garage étaient allumés, qui inondaient la pelouse détrempée d’une iridescence blême. « Il est toujours là », a dit Harriet d’une voix hésitante en regardant la porte de derrière. Alors je l’ai vu, tas sombre et massif, immobile et hirsute comme un tapis. J’ai dit à Harriet de garder son calme. « Le revolver. » « Je l’ai laissé dans la voiture. » Elle est retournée le chercher, puis l’a placé dans ma main. « Détends-toi, bon Dieu », j’ai dit. Le tas était à une quinzaine de mètres du garage en direction de la porte de derrière, sous le passage protégé de la pluie par un auvent qui dépassait du toit et faisait comme un porche. La main d’Harriet s’est refermée sur un pan de mon manteau. L ’arme dirigée vers la bête, j’ai avancé sur la pointe des pieds, effrayé, en essayant d’accommoder sur la chose brouillée par la pluie. Une image s’est peu à peu formée. C’était un mouton uploads/Litterature/ john-fante-mon-chien-stupide.pdf
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- Publié le Jul 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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