Годишњак Филозофског факултета у Новом Саду, Књига XLI-3 (2016) Annual Review o

Годишњак Филозофског факултета у Новом Саду, Књига XLI-3 (2016) Annual Review of the Faculty of Philosophy, Novi Sad, Volume XLI-3 (2016) Tamara Valčić Bulić* Faculté de Philosophie et Lettres, Université de Novi Sad UDK 821.133.1(6):327.39 doi: 10.19090/gff.2016.3.567-586 Originalni naučni rad DE LA NÉGRITUDE À LA LITTÉRATURE-MONDE : DES MOUVEMENTS IDENTITAIRES À UNE COMMUNAUTÉ (LITTÉRAIRE) DÉNATIONALISÉE Un long chemin a été parcouru dans l’univers de la francophonie depuis l’apparition des mouvements de la « négritude » dans les années 30, puis de ceux d’« antillanité », de « créolité », une quarantaine d’années plus tard. L’objectif principal de la création de ces concepts, que nous passerons en revue dans notre article, est sans aucun doute l’affirmation de son identité propre et par conséquent, dans l’univers des littératures en langue française, l’opposition à la domination de la littérature franco-française. Aujourd’hui, à l’heure d’une « francophonie transculturelle » on parle de « mondialité » et de diversité culturelle. C’est notamment la notion de « littérature monde » qui a eu sa consécration officielle en 2007 lors de la publication d’un manifeste signé par 44 écrivains francophones qui réclamaient la suppression du centre et de la périphérie, le décloisonnement des frontières de l’imaginaire et « une littérature-monde en langue française consciemment affirmée ». Il s’agira ici d’essayer de dresser un état des lieux du chemin parcouru, de s’interroger ensuite sur les raisons de l’émergence de la notion de « littérature monde » et enfin de noter pourquoi l’apparition et la promotion de cette notion ont provoqué parfois de vives controverses. Mots clés : négritude, antillanité, créolité, francophonie, littérature-monde Il y a dix ans, le 15 mars 2007, un groupe d’écrivains, appelé depuis groupe ‘des 44’, signait un manifeste intitulé « Pour la littérature-monde en français » publié dans Le Monde des livres. Ces auteurs y exposaient un concept littéraire, nouveau selon eux et annonçaient une véritable « révolution copernicienne » dans les lettres francophones. Deux mois plus tard, le manifeste a été suivi d’un livre contenant les articles de vingt-sept des quarante-quatre signataires. Les deux ont donné lieu à des prises de position pour ou contre les idées présentées. Se demander quel est le chemin parcouru depuis la naissance des littératures francophones profondément imprégnées de discours identitaires, analyser quelques notions clés parmi lesquelles la notion * Tamara Valčić Bulić, tamara.valcic.bulic@ff.uns.ac.rs 568 Tamara Valčić Bulić de la « francophonie » a une place centrale, étudier enfin succinctement les principales idées exposées dans le manifeste ‘Pour la littérature-monde en français’ et se demander si elles ont eu un réel impact, c’est l’objectif que nous nous sommes fixé ici. C’est au XXe siècle que l’espace littéraire mondial s’est considérablement élargi. C’est un fait qui ne peut étonner vu l’ampleur de la décolonisation et le nombre de littératures nationales qui au cours du siècle ont pris leur naissance ou leur envol. Dans le cas des anciennes colonies de la France – mais aussi des régions restées dans le cadre de la France1, telles la Martinique et quelques autres – ces littératures allaient se développer d’abord dans la langue de la nation colonisatrice, bien que cette dernière ait souvent été perçue comme ennemie. Cependant, la langue autrefois imposée devenait un moyen essentiel pour communiquer avec d’autres cultures et d’abord avec la culture dominante, sans que cela empêche l’essor des revendications identitaires. Ces revendications se concrétiseront à travers des mouvements politiques et artistiques auxquels se rattachent certains concepts-phares qui apparaissent chacun à son tour entre les années 30 et la fin du XXe siècle. À travers l’évocation de ces concepts, rappelons les principaux maillons de l’émancipation culturelle et artistique des peuples colonisés par la France. Dans les années 302, Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor et Léon Gontran Damas créent un mouvement, intitulé « négritude »3. C’est un néologisme délibérément choisi pour revaloriser de cette manière le concept dévalorisant de « nègre » utilisé par les colonisateurs. En effet, le concept de négritude renvoie explicitement à une race et à un continent et par conséquent à la conscience d’un état, des traditions et des coutumes antérieures au système colonial et indépendantes de lui. Pour Césaire, « La Négritude est la simple reconnaissance d’un fait, qui implique une acceptation, une prise en charge de son destin de Noir, de son histoire et de sa culture. » (in Chevrier 1984, 44). Le mot et le concept, comme Césaire le dira bien plus tard dans son Discours de la 1 Plus précisément, il y a en 1946 un changement important de statut : de colonie, ces régions deviennent des départements d’outre-mer (DOM). 2 Il est précédé dans les années 20 par le mouvement de Harlem renaissance dans les pays anglophones, connu aussi comme New Negro ou Renaissance nègre. Rappelons également la vogue de l’art ‘nègre’ dans les pays européens – et en France tout particulièrement. (Chevrier 1984, 36). 3 Ce terme apparaît pour la première fois dans le premier numéro de la revue L’Etudiant noir en 1935. Notons qu’il est aujourd’hui utilisé avec ou sans la majuscule, en fonction du choix idéologique des utilisateurs du concept. DE LA NÉGRITUDE À LA LITTÉRATURE-MONDE : DES MOUVEMENTS … 569 Négritude, naissent d’un nouvel humanisme, d’un « sursaut de dignité », d’« une forme de révolte […] contre le système de la culture tel qu’il s’était constitué » (https://www.humanite.fr/node/391910). Selon Léon-Gontran Damas enfin, la négritude est « Le mouvement tendant à rattacher les noirs de nationalité et de statut français, à leur histoire, leurs traditions et aux langues exprimant leurs âmes. » (http://rootsmagazine.fr/2016/10/19/leon-gontran-damas-lun-des- peres-de-la-negritude/) La naissance du mouvement de « Négritude » est donc une réaction à l’oppression culturelle exercée par le système colonial français qui n’est plus considéré comme culturellement supérieur ; c’est aussi un acte de réappropriation, de prise de conscience de sa propre identité de noir; c’est enfin un refus d’assimilation culturelle. Il est facile de se rendre compte du double caractère du mouvement de la Négritude : il s’agit non seulement d’un courant de pensée et d’un mouvement social et politique, mais également d’un courant artistique et plus largement culturel4. Cependant, en tant qu’antithèse d’un discours blanc et discours profondément anticolonial5, le mouvement de la Négritude a souvent été interprété – et par certains noirs eux-mêmes – comme un mouvement essentialiste et nationaliste, qui néglige entièrement les différences géographiques et culturelles : Mais en même temps, ce discours basé sur un monde noir mythique niait complètement les phénomènes de culture et de géographie. Il donnait l’impression que tous les nègres étaient des nègres, sans distinction, que le nègre africain, le nègre de Harlem et le nègre des Antilles étaient un seul et 4 Écoutons Senghor décrire avec précision les conditions dans lesquelles le mouvement de la Négritude est né : « Nous étions alors plongés avec quelques autres étudiants noirs dans une sorte de désespoir panique. L’horizon était bouché. Nulle réforme en perspective, et les colonisateurs légitimaient notre dépendance politique et économique par la théorie de la table rase. Nous n’avions, estimaient-ils, rien inventé, rien créé, ni sculpté, ni peint, ni chanté. Des danseurs ! Et encore… Pour asseoir une révolution efficace, il nous fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt, ceux de l’assimilation, et affirmer notre être, c’est-à-dire notre Négritude. » http://www.rfi.fr/afrique/20130626-aime-cesaire-centenaire-mouvement-negritude 5 Il n’est pas possible d’évoquer ici ni les dissensions nées au sein du mouvement lui- même ni les critiques adressées par d’autres intellectuels. Rappelons tout de même le mot de Sartre dans Orphée noir, sa célèbre préface à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (1948) de Senghor : c’est le « racisme antiraciste » [qui] est le seul chemin qui puisse mener à l’abolition des différences de race. » (Sartre in Senghor 1948, XIV). 570 Tamara Valčić Bulić même personnage : le Nègre avec un grand N. (P. Chamoiseau in Perret, 2001, 44) Cette réduction du destin des noirs à leurs origines africaines, cette « idéalisation du passé mythique pré-colonial » (Chevrier 1984, 45) est une des raisons pour lesquelles des voix commencent à s’élever contre la vision trop conservatrice et archaïque de la négritude : c’est le cas justement d’un auteur antillais, Édouard Glissant (1928 – 2011) qui soutient dans une sorte de manifeste intitulé Le Discours antillais (1981) que les Antillais ne peuvent se réduire à leurs racines africaines, qu’ils doivent prendre conscience aussi bien de leur histoire que de leur culture, différente de celle des Noirs africains et revendiquer ainsi leur origine hybride. Jean Bernabé, auteur antillais à l’époque de la jeune génération, présente le concept d’antillanité de la manière suivante : Plus concept que véritable mouvement littéraire, l’antillanité, rejetant les illusions générées par les arrière-mondes (Europe, Afrique), accomplit le projet de domicilier l’écriture antillaise dans le champ naturel de son éclosion. (Barnabé in Perret 2001, 45) Glissant de son côté se refuse à admettre d’avoir développé une théorie et encore plus d’être un quelconque chef de file ; il soutient au contraire qu’il avait simplement voulu proposer « une optique nouvelle pour l’exercice littéraire » et mettre en valeur « une attitude uploads/Litterature/ tvb-francophonie-et-litterature-monde-sans-page-de-titre 1 .pdf

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