Le texte ci-dessous a été publié dans la revue Les Carnets du Cediscor. Il peut

Le texte ci-dessous a été publié dans la revue Les Carnets du Cediscor. Il peut être cité avec les références suivantes : KRIEG-PLANQUE Alice (2009), « A propos des “noms propres d’événement”. Evénementialité et discursivité », dans Les Carnets du Cediscor, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, n°11, pp. 77-90. Seule la mise en page (sauts de page) diffère légèrement de l’article originellement publié sur papier. Ce texte sera mis en ligne sur le portail Revues.org en mars 2011 (http://cediscor.revues.org/729), ainsi que l’ensemble des articles de ce numéro des Carnets du Cediscor qui était consacré à « Le nom propre en discours » (coordonné par Michelle Lecolle, Marie-Anne Paveau et Sandrine Reboul). Résumé de l’article : D’abord, on dresse une rapide synthèse des modes sous lesquels ont été abordés les rapports entre événement et faits langagiers (« événement de discours », « événement de parole », « événement linguistique »…). Ensuite, on s’attache à saisir certaines des questions posées par l’idée de « nom propre d’événement ». Sans épuiser le sujet, on appréhende la portée et l’utilité d’une telle notion, en particulier pour l’étude de corpus médiatiques. Dans le cadre d’une mise en discours du monde par les médias d’information où la notion d’« événement » est toujours centrale et où sont à l’œuvre l’élaboration de séries et la recherche de prototypicités, la possibilité de construire des classes d’événements apparaît comme une ressource digne d’être analysée. À la croisée de la linguistique, de l’analyse du discours et de l’étude des pratiques d’écriture journalistique, nous nous intéressons ainsi à des discours ayant recours par exemple à l’antonomase (comme dans « un Tchernobyl chimique » à propos d’une pollution en Chine), à des énoncés sortaux (comme dans « une sorte de purification ethnique » au sujet du sort réservé aux Toucouleurs en Mauritanie), ou encore à ce que nous appelons des énoncés déclinants (tels que « “opération mains propres” à la sauce indienne » ou « “nettoyage ethnique” façon Belfast »). Mots-clés : nom propre d’événement, catégorie dénominative, discours médiatique, pratiques journalistiques, événementialité, analyse du discours À propos des “noms propres d’événement” Événementialité et discursivité Alice Krieg-Planque Université Paris 12 - Paris-Est Créteil Céditec (EA 3119) Nous nous intéressons ici à la notion de nom propre d’événement, en particulier telle qu’elle s’illustre dans les discours médiatiques. Le minimum que l’on puisse dire du nom propre d’événement est qu’il constitue une dénomination, au sens de G. Kleiber. En effet, suivant la réflexion proposée par celui-ci (1981 et 1984, également 1995 et 1996), le nom propre d’événement suppose l’institution d’une association référentielle durable entre un objet et un signe, par opposition à la désignation, qui repose sur une association occasionnelle entre une séquence linguistique et un élément de la réalité. Ceci étant posé, il importera encore de spécifier ce que la notion d’événement apporte à la notion de nom propre d’événement, ce que nous ferons dans un second temps de cet article. Une troisième partie sera consacrée à l’étude 78 de certains des enjeux de la notion dans les discours médiatiques. Dans le cadre d’une mise en discours du monde par les médias d’information où la notion d’événement est toujours centrale, et où sont à l’œuvre l’élaboration de séries et la recherche de prototypicités, la possibilité de construire des classes d’événements apparaît en effet comme une ressource digne d’être analysée. 1. « Faits langagiers » et « événement » : des rencontres notionnelles productives Cette première partie s’attache à souligner combien la notion d’événement et différentes notions renvoyant à des faits langagiers (langage, langue, discours, parole…) ont créé des rencontres productives. En effet, les propositions foisonnent, et une même expression peut recouvrir des notions distinctes selon les auteurs. Cette rapide synthèse des modes sous lesquels ont été abordés les rapports entre événement et faits langagiers vaut préambule et n’entend nullement constituer un exposé exhaustif. L’événement est couramment mis en rapport avec la notion d’énonciation : É. Benveniste ([1967] 1974) a ainsi souligné que toute parole est un événement parce qu’elle ne se reproduit jamais deux fois à l’identique. Il est suivi sur cette voie par des linguistes et chercheurs aussi divers par ailleurs que A. Compagnon (1979 : 89), O. Ducrot (1982 : 68 ; 1984 :179), ou J.-C. Anscombre (1995 : 186), mais aussi à l’extérieur de la discipline par M. Foucault (1969 :134) ou A. Farge (1997 : 36), qui, tous, soulignent que toute énonciation est unique du fait de la singularité des conditions d’énonciation d’un énoncé. Toujours dans le domaine de l’énonciation mais sur des faits plus circonscrits, I. Fenoglio (1997 ; 1999 ; 2001 ; 2004) envisage à travers la notion d’événement d’énonciation « des phénomènes de parole tels lapsus, constructions de malentendu, silences, ruptures diverses du trajet énonciatif » (Fenoglio 1997 : 39). En pragmatique et en études conversationnelles, événement conversationnel peut désigner à peu près ce qui est par ailleurs plus couramment appelé acte de langage. C’est ainsi que le compliment (Marandin 1987) ou l’invitation (Quéré 1987) ont pu être appréhendés comme des événements conversationnels. Dans le domaine métalinguistique, F. Mazière désigne par événement linguistique un événement survenant dans le savoir scientifique sur la langue, comme l’est la publication du 79 Dictionnaire de l’Académie en 1694, ou encore la définition du nom abstrait dans ce même dictionnaire (Mazière 1996 ; Collinot et Mazière 1997). Travaillant conjointement l’événement linguistique et l’événement discursif, J. Guilhaumou propose que ces notions soient l’objet d’un protocole d’accord entre historiens du discours et historiens de la linguistique, sur la base d’un modèle empiriste des sciences du langage (Guilhaumou 2006 ; 1996 ; Guilhaumou et Maldidier 1986a ; 1986b ; 1994 ; cf. également les propositions conjointes de Branca-Rosoff, Collinot, Guilhaumou, Mazière 1995). Dans le cadre d’une recherche sur la notion de formule, nous avons pour notre part proposé la notion d’événement de discours, entendant qu’« une séquence est constituée en événement de discours lorsqu’elle est réflexivement 1 notoire, temporellement marquée, et dotée d’une pertinence dans le cadre de son surgissement et, partant, provoque des réactions (en pensée, en parole, en action…) » (Krieg-Planque 2003 : 309). La formule « purification ethnique », par exemple, à laquelle nous avons consacré une étude, a ainsi pu être caractérisée comme un événement de discours (Krieg-Planque 2003 : 309-325). Les usages de la notion d’événement en rapport avec des notions qui relèvent des sciences du langage s’avèrent ainsi extrêmement riches (si l’on veut envisager la situation positivement), ou particulièrement hétéroclites (si l’on regarde plus négativement le paysage). À l’intérieur de ce vaste univers, nous proposons de restreindre à présent notre étude à la seule notion de nom propre d’événement. 2. Le « nom propre d’événement » : une notion à circonscrire Après avoir défini ce que nous entendons par événement, nous insisterons sur le fait qu’un nom propre d’événement est avant tout à identifier comme tel – c’est-à-dire à interpréter – en contexte. 2.1. Une définition de l’« événement » Selon une définition déjà proposée dans un travail antérieur (Krieg 1996 : 114-115 ; Krieg- Planque 2003 : 409-410), nous estimons qu’un événement est une occurrence (c’est-à-dire ce 1 Le caractère réflexif, dans ce contexte, suppose un commentaire métadiscursif. 80 qui advient dans le monde phénoménal) perçue comme signifiante dans un certain cadre. Expliquons-nous. L’occurrence implique une inscription dans une temporalité qui détermine un « avant » et un « après » cette occurrence. Le cadre, ou système d’attentes donné, détermine le fait que l’occurrence acquiert (ou non) ce que nous avons proposé d’appeler sa remarquabilité, aux deux sens de visibilité (l’occurrence est perçue) et d’exemplarité (l’occurrence est perçue comme signifiante), et, par conséquent, est promue (ou non) au rang d’événement. De surcroît, comme l’écrit par exemple M. Fishman (1980 : 54), l’événement ne peut l’être que pour quelqu’un. Si l’on s’intéresse à l’événement médiatique, comme c’est le cas ici, cette personne ou instance est le journaliste. Or celui-ci suppose que son rôle est de rendre compte auprès d’un certain public de ce qui se passe dans l’espace public. Le journaliste va donc promouvoir en événement une occurrence (critère de temporalité) qu’il perçoit (critère de visibilité) et qui lui semble symptomatique (critère d’exemplarité) de ce qui se passe dans l’espace public. Enfin, comme nous le soulignons dans un travail récent (Krieg-Planque 2006b), la mise en discours de l’événement converge à un moment donné vers une certaine description : il existe une mise sous une description de l’événement. La notion de description est ici empruntée en particulier à L. Quéré (1994 et 1999 ; cf. aussi Cefaï 1996), pour qui un événement n’existe que s’il est « individualisé » (on pourrait dire également identifié) « sous une description », c’est-à-dire s’il lui est affecté une dénomination qui rattache cet événement à une catégorie d’événements « d’une certaine sorte » (Quéré 1994 : 14 ; cf. aussi Krieg-Planque 2003 : 415). La description sous laquelle l’événement est saisi – autrement dit la dénomination qu’il reçoit – donne à l’événement sa naturalité (son caractère d’évidence) et induit des représentations de nature uploads/Litterature/ krieg-planque-2009-cediscor11.pdf

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