Julia Kristeva La productivité dite texte In: Communications, 11, 1968. Recherc

Julia Kristeva La productivité dite texte In: Communications, 11, 1968. Recherches sémiologiques le vraisemblable. pp. 59-83. Citer ce document / Cite this document : Kristeva Julia. La productivité dite texte. In: Communications, 11, 1968. Recherches sémiologiques le vraisemblable. pp. 59-83. doi : 10.3406/comm.1968.1157 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1968_num_11_1_1157 Julia Kristeva La productivité dite texte « Et, lorsque Copernic était presque seul de son opinion, elle était toujours incomparablement plus vraisemblable que celle de tout le reste du genre humain. Or je ne sais si l'établissement de l'art d'estimer les verisimilitudes ne serait plus utile qu'une bonne partie de nos sciences démonstratives, et j'y ai pensé plus d'une fois. » Leibniz, Nouveaux essais, iv, 2. La « littérature » vraisemblable. « Lire souvent égale être leurré. » Nouvelles Impressions d'Afrique. Ayant pris à la lettre le précepte platonicien (« bannir les poètes de la République »), notre civilisation et sa science s'aveuglent devant une productivité : l'écriture, pour recevoir un effet : l'œuvre. Elles produisent ainsi une notion et son objet qui, extraits du travail producteur, interviennent, au titre d'objet de consommation, dans un circuit d'échange (réel-auteur-œuvre-public). Il s'agit de la notion et de l'objet « littérature * » : travail translinguistique que notre culture2 n'atteint que dans l'après-production (dans la consommation) ; productivité occultée, remplacée par la représentation d'un écran qui double 1' « authentique » et /ou par l'audition d'un discours — objet secondaire par rapport au « réel » et susceptible d'être apprécié, pensé, jugé uniquement dans sa substitution réifiée. C'est à ce niveau d'intelligibilité de la « littérature » comme un discours substitutif que se situe la réception consommative du texte avec son exigence de vraisemblable. Il n'est pas étonnant alors que ce concept, remontant à l'Antiquité grecque, apparaisse en même temps que la « littérature » et la « pensée sur la littérature » (la Poétique), et l'accompagne sans trêve tout au long de l'histoire « littéraire » (le concept d'histoire est d'ailleurs impossible sans la notion de « littérature »). De sorte que le vraisemblable semble faire corps avec la littérature (l'art), s'iden- 1. II faudrait entendre ce mot dans un sens très large : est considéré comme « littérature » la politique, le journalisme, et tout discours dans notre civilisation phonétique. 2. Cf. à propos de la définition de ce concept : A. Kloskowska, Kultura masowa: krylyka i obrona, Varsovie, 1964 : section Rozumenie kultury ; A. Kroeber et C. Kluc- khon, Culture: a critical review of concepts and definitions, Cambridge, (Mass.), Harvard Univ. Press, 1952 (Papers of the Peabody Museum of American Archeology and Ethnology, xlvii, 1). 59 Julia Kristeva tifie à son caractère substitutif, et par ce geste même fait surgir sa complicité avec tous les attributs de notre pensée 1. Dans le même trajet de l'intelligibilité consommative, le savoir, après la réception vulgaire, se voit confronté au vraisemblable dès qu'il touche à la «littérature ». Aujourd'hui, au moment où la théorie de la littérature tend à se construire comme une science consciente de sa démarche, elle se heurte à une contradiction qui la définit comme science, désigne son champ d'exploration, et dans le même temps lui assigne ses limites. Si elle constitue toute parole, la contradiction dont il s'agit est doublement plus sensible au niveau d'un « métalangage » (la science littéraire) qui se donne pour objet un discours reconnu comme fondamentalement secondaire (la littérature, l'art). Cette contradiction, la voici : la Parole étant un signe, sa fonction est de vouloir-dire, donc de fournir un sens qui, soit en renvoyant à un objet, soit en se référant à une norme grammaticale, est une connaissance, un savoir (y compris dans sa méta-rationalité) ; une certaine vérité sous-tend comme un fond constant tout ce qui est énoncé ; le langage est toujours un savoir, le discours est toujours une connaissance pour celui qui prononce ou écoute la parole dans la chaîne communicative. La science littéraire, située elle aussi dans le circuit dire-entendre, et tirant de là son essence et sa visée de vouloir dire, définit son objet — le texte — comme Parole, donc, lui aussi, comme un vouloir- dire-vrai. Ainsi la science littéraire, solidaire de l'attitude vulgaire consommative à l'égard de la production textuelle dans la société d'échange, assimile la production sémiotique à un énoncé, refuse de la connaître dans le processus de sa productivité, et lui inflige la conformité avec un objet véridique (tel est le geste philosophique conventionnel qui présente la littérature comme une expression du réel) ou avec une forme grammaticale objective (tel est le geste idéologique moderne qui présente la littérature comme une structure linguistique close). La science littéraire avoue ainsi ses limitations : 1) l'impossibilité de considérer une pratique sémiotique autrement que dans ses rapports à une vérité (sémantique ou syntaxique) ; 2) l'amputation (abstraction idéaliste) de la totalité fonctionnante en une de ses parties : en résultat consommé par un certain sujet. La consommation littéraire et la science littéraire passent à côté de la productivité textuelle ; elles n'atteignent qu'un objet modelé d'après leur propre modèle (leur propre programmation sociale et historique) et ne connaissent rien d'autre que la connaissance (elles-mêmes). C'est au point même de cette contradiction — et de cet aveu implicite d'impuissance — que nous rencontrons le concept « scientifique » de vraisemblable comme tentative de récupération d'une pratique translinguistique par la raison logocentrique. La « littérature » elle-même, arrivée à la maturité qui lui permet de s'écrire aussi comme une machine et non plus uniquement de parler comme un miroir, s'affronte à son propre fonctionnement à travers la parole ; le mécanisme de ce fonctionnement, une fois touché, l'oblige de traiter de ce qui n'est pas un problème inhérent à son trajet, mais qui la constitue inévitablement pour le récepteur (le lecteur = l'auditeur), de ce masque indispensable qu'elle prend pour se construire à travers ce masque : du vraisemblable. C'est ce troisième aspect du vraisemblable 1. Les travaux de Jacques Derrida auxquels nous nous référons ici et dans ce qui suit ont montré les bases et les limitations phonétiques de la rationalité connaissanet et de toute notre civilisation définie comme « logocentrique ». cf. L'écriture et la différence, coll. Tel Quel, éd. du Seuil ; La voix et le phénomène, P.U.F. ; De la Grammatologie, coll. Critique, éd. de Minuit. 60 La productivité dite texte que nous révèlent les textes de Raymond Roussel. Le vraisemblable y est traité en deçà et présenté au-delà de lui-même, c'est-à-dire dans le travail avant la « littérature », et pour un fonctionnement dans lequel le vouloir-dire, en devenant un pouvoir-écrire, procède à la démystification du vraisemblable. C'est à ce niveau que nous essayerons de le saisir pour expliciter son idéologie et sa fixation historique, de même que l'idéologie et la fixation historique de ce qui est la « réalité » vraisemblable : 1' « art », la « littérature ». Le vouloir dire et le vraisemblable. Si la fonction de « sens » du discours est une fonction de ressemblance au-dessus de la différence *, d' « identité » et de « présence à soi » comme l'a montré l'admirable lecture de Husserl faite par Derrida, on pourrait dire que le vraisemblable (le discours « littéraire ») est un degré second de la relation symbolique de ressemblance. L'authentique vouloir-dire (husserlien) étant le vouloir-dire-vrai, la vérité serait un discours qui ressemble au réel ; le vraisemblable, sans être vrai, serait le discours qui ressemble au discours qui ressemble au réel. Un « réel » décalé, allant jusqu'à perdre le premier degré de ressemblance (discours-réel) pour se jouer uniquement au second (discours-discours), le vraisemblable n'a qu'une seule caractéristique constante : il veut dire, il est un sens. Au niveau du vraisemblable le sens se présente comme généralisé et oublieux du rapport qui l'avait originairement déterminé : le rapport langage /vérité objective. Le sens du vraisemblable n'a plus d'objet hors discours, il n'est pas concerné par la connexion objet-langage, la problématique du vrai et du faux ne le regarde pas. Le sens vraisemblable fait semblant de se préoccuper de la vérité objective ; ce qui le préoccupe en fait, c'est son rapport à un discours dont le « faire-semblant-d'être-une-vérité-objec- tive » est reconnu, admis, institutionnalisé. Le vraisemblable ne connaît pas ; il ne connaît que le sens qui, pour le vraisemblable, n'a pas besoin d'être vrai pour être authentique. Refuge du sens, le vraisemblable est tout ce qui, sans être non- sens, n'est pas limité au savoir, à l'objectivité. A mi-chemin entre le savoir et le non-savoir, le vrai et le non-sens, le vraisemblable est la zone intermédiaire où se glisse un savoir déguisé, pour maîtriser une pratique d'investigation translinguistique par le « vouloir-s'entendre-parler absolu 2 ». Ayant réservé à la science le domaine de la véridicité, ce savoir absolu dont toute énonciation est irriguée, secrète un domaine d'ambiguïté, un oui-et-non dans lequel la vérité est un souvenir présent (une présence secondaire mais toujours là), fantomatique et originaire : c'est le domaine extra-véridique du sens comme vraisemblable 3. Disons ici, pour préciser uploads/Litterature/ kristeva-la-productivite-dite-texte-vouloir-dire-et-vraisemblable.pdf

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