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Vous avez imprimé cette page depuis L'Obs. L'Obs, actualité du jour en direct — http://nouvelobs.com L'incroyable cas Wolfson Deleuze et Pontalis, Le Clézio ou Paul Auster se sont passionnés pour ce livre d'un schizophrène new­yorkais. A juste titre. C'est l'histoire d'un vrai livre. D'un de ces livres qui vous secouent et vous laisseront vibrants jusqu'à la fin de vos jours. Et qui méritait bien ce «dossier», que son éditeur J.­B. Pontalis introduit avec sa claire et sûre intelligence. Le manuscrit est arrivé par la poste chez Gallimard en 1963. Titre: «Le Schizo et les Langues». Auteur: Louis Wolfson, schizophrène new­yorkais, mais le livre est en français. Queneau juge le manuscrit d'«un intérêt exceptionnel». Pontalis raconte que certains passages ont fait beaucoup rire le père de Zazie ­ étonnant. Paulhan, lui, fait la grimace: il faut «revoir tout ce manuscrit» (il rappelle en cela son prédécesseur Jacques Rivière demandant à Artaud de récrire ses textes). «Ses cris me déchiraient la fibre» Louis Wolfson: «Dernière année universitaire que je n'ai pas terminée (1951‐1952).» (DR) De quoi s'agit­il? D'un psychotique qui hait sa langue maternelle, au sens propre: celle de sa mère; qui étudie plusieurs langues étrangères, dont le français; qui met au point un système linguistique à la fois simple et complexe consistant à substituer aux mots de la langue honnie des mots étrangers de graphie et de sens approchants. Ainsi, quand sa mère glapit, exprès, qu'elle a perdu ses lunettes, le mot where est particulièrement douloureux (ses cris me déchiraient la fibre», dit l'ivrogne assassin de Baudelaire). Wolfson cherche un équivalent, et à la suite d'un de ses vertigineux exposés où voisinent la parfaite rigueur et le délire complet, il trouve l'allemand woher, «d'où». Quand il entend where, il pense woher, et ne souffre pas. Et puis mille récits comme une rencontre avec une prostituée, le récit le plus cruel qu'on pourra jamais lire, ou des crises de boulimie absolument atroces, des galeries de portraits (sa mère, son beau­père, les flics qui l'internent à l'hôpital psychiatrique) auprès desquels les Daumier les plus vaches paraissent affectueux. Et tout cela conscient, et logique. Et tout cela fou. Et tout cela d'une douleur ironique hallucinante, froide, sans aucun sentiment, aucune plainte. Et tout cela écrit dans un français légèrement distordu, pas normal, ne ressemblant à rien, où l'on échoue à démêler l'influence américaine, l'invention, le talent, la folie: «Depuis qu'il avait plus de dix ans qu'elle», par exemple. Parallèlement, si l'on peut dire, «l'étudiant des langues schizophrénique» ne veut rien avaler, de peur de faire entrer en lui «les oeufs ou même les larves» qui sont sur ses lèvres. «Beauté seulement clinique» Enfin, ce manuscrit, auprès duquel tout ce que Paulhan a pu publier n'est justement «que de la littérature», et qui n'était ni une étude, ni un roman, ni un document, mais en quelque sorte un livre idéal puisque susceptible de vous accompagner toute votre vie, sans appartenir à aucun genre, ce qui inquiète tout le monde, remue suffisamment Queneau pour qu'il le confie à Sartre et à Beauvoir. C'est dans «les Temps modernes» que Pontalis en publie d'abord un De Foucault à Le Clézio A la suite de Deleuze, beaucoup écriront sur Wolfson. Etonnante bibliographie dont ce dossier rend compte, avec des articles d'auteurs qui vont d'Alferi à Foucault, de Cusset à Dorra, et surtout de Le Clézio à Auster, qui signent l'un et l'autre des textes étincelants. Ajoutons que le travail éditorial de ce dossier, ouvert et réalisé par Thomas Simonnet, est au­ delà de tout éloge: fac­similés, bibliographie complète, introduction, notes... Si ce livre peut amener à se plonger, à se noyer dans Wolfson, ce qu'il faut absolument faire, c'est à lui qu'il le devra. J.Dr. tiers. Deleuze le remarque et parle dans un article de «beauté seulement clinique», ce qui n'est pas réducteur à la somme des deux termes. Pontalis, qui vient de créer chez Gallimard sa collection «Connaissance de l'inconscient», veut l'y publier. Il demande une préface au linguiste Jakobson, qui n'a même pas la bonne idée d'accepter. Deleuze le remplacera avantageusement avec un texte magistral. Et puis c'est un interminable échange de lettres entre Pontalis et Wolfson, qui s'inquiète de tout, discute tout, et s'est mis en tête de récrire le texte dans une orthographe réformée, tout en excipant de sa folie pour justifier cette exigence. Et puis entre Wolfson et Dyonis Mascolo, qui doit établir un contrat avec Wolfson, ce qui n'est pas une mince affaire. «Où allons­ nous?», se demande Mascolo, qui n'a jamais posé question plus juste. «Va­t­il me rendre fou?», se demande de son côté Pontalis, qui avoue à la fin de son texte d'ouverture à ce dossier s'être ensuite désintéressé de Wolfson pour un motif «peu clair». Il suppose que la voix de Wolfson lui était d'une certaine manière insupportable, comme l'était celle de sa mère à Wolfson lui­ même, et que lui aussi s'est bouché les oreilles pour ne pas l'entendre. Le livre est publié en 1970, en orthographe normale. Jacques Drillon «Dossier Wolfson», L'Arbalète­Gallimard, 190 p., 15,90 euros. «Le Schizo et les Langues», par Louis Wolfson, Gallimard, 268 p., 29,50 euros. A lire aussi: Louis Wolfson? Au fou ! Revenir à la Une de BibliObs Source: "le Nouvel Observateur" du 23 avril 2009. uploads/Litterature/ l-incroyable-cas-wolfson-le-nouvel-observateur-jacques-drillon-23-04-2009-pdf.pdf

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