Leiris: Poétique et Ethnopoétique Author(s): Michel Beaujour Source: MLN, Vol.

Leiris: Poétique et Ethnopoétique Author(s): Michel Beaujour Source: MLN, Vol. 105, No. 4, French Issue (Sep., 1990), pp. 646-655 Published by: The Johns Hopkins University Press Stable URL: http://www.jstor.org/stable/2905231 . Accessed: 28/06/2014 18:28 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . The Johns Hopkins University Press is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to MLN. http://www.jstor.org This content downloaded from 46.243.173.129 on Sat, 28 Jun 2014 18:28:46 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Leiris: Poetique et ethnopoetique Michel Beaujour Les fragments de "poetique" abondent dans l'oeuvre litteraire de Leiris, dont l'autocommentaire prolif6rant et desole a retenu l'at- tention de tous les critiques. C'est la' une des facons dont cet oeuvre, au demeurant si etranger 'a la frenesie, participe, etjusqu'a' l'hyperbole, de la grande inquietude moderne. Soucieux de justi- fier les gestes artistiques qu'il multipliait sous pretexte de ruptures et d'avant-garde, le modernisme tenta, par l'eclat de ses mani- festes, de pallier l'effondrement de l'harmonieux discours ideolo- gique dit "esthetique" qui, 'a peine ne au dix-huitieme siecle, avait ete demantele par la "revolution romantique." En depit de toutes les tentatives de replatrer l'esthetique 'a grand renfort d 'esote- risme, de magie, de gnose et de mission sociale, les ruines n'en furent jamais relevees 'a la satisfaction generale. C'est alors que prolif6rerent les "arts poetiques"; les manifestes dadaistes et surrealistes s'en distinguent par un trait inoui: ils sub- stituaient 'a l'oeuvre un geste de revolte contre la culture et la so- ciete. Les poetiques de Leiris, metadiscours inseres dans son oeuvre, s'efforcent de surmonter la contradiction qui existe de- sormais entre revolte et oeuvre, tout en deplorant l'impossibilite d'y parvenir: les travaux ethnographiques de Leiris tournent ega- lement autour de ce dilemme mais ils l'occultent par fidelite au principe d'objectivite scientifique proclame par l'ecole francaise de sociologie, imperatif auquel l'ethnologue en Leiris souscrit entiere- ment. MLN, 105, (1990): 646-655 C 1990 by The Johns Hopkins University Press This content downloaded from 46.243.173.129 on Sat, 28 Jun 2014 18:28:46 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions M L N 647 Les poetiques, eparses dans l'oeuvre litteraire de Leiris, relevent donc de deux grands types: les ideales et les effectives. Les pre- mieres evoquent un age d'or oui le poete pouvait encore croire au systeme de correspondances entre le microcosme et le macro- cosme, et oui les sympathies magiques, formulees egalement par l'alchimie et la cabale, conf6raient au verbe une efficacite pratique lui permettant d'agir sur l'univers, structure lui-meme comme un langage. C'est une telle croyance, ou du moins le desir de croire en un tel systeme, qui avait encore motive l'entreprise de Mallarme, l'alchimie du verbe rimbaldienne et le surrealisme dans sa veine occultiste. Mais le fait est que, vers 1926, Leiris cessa de croire 'a la magie verbale, et que cette perte risqua d'entrainer la cessation de son activite poetique, jugee illusoire et inapte 'a changer le monde. L'espece de manifeste negatif, ou adieu 'a la poesie, que constitue l'essai de 1926, intitule fallacieusement "La Vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud," annonce donc que Leiris a perdu foi dans le pouvoir de la poesie: le poete revolte avait seulement oublie qu'en agitant les mots, en "construisant parfois un nouveau monde a son image," il ne changeait rien 'a l'univers materiel "dans la mul- tiple splendeur de son ordure," et que "son systeme reste soumis a la convention du langage (l'une des plus ecrasantes de toutes)."'l On notera que cette revolte avortee etait profondement entachee de narcissisme puisqu'elle se limitait 'a permettre au poete de se- creter verbalement un "monde 'a son image," realisant ainsi, mais illusoirement et au prix d'une reduction solipsistique, l'adequation mimetique entre macrocosme et microcosme qu'avait postulee l'hermetisme de la Renaissance, auquel Leiris s'etait fort interesse, comme en temoigne son etude sur La Monade hie'roglyphique de John Dee.2 Ainsi, celui qui avait dote le surrealisme de la notion neo-platonicienne de fureur (furor poeticus) se detacha-t-il contre son gre et sous la pression d'un siecle oui "la Science regne en maltre" ("Monade," 15), de la philosophie occulte de la Renais- sance ou s'enracinait l'utopie d'une poesie efficace. Mais Leiris est de ceux qui, voulant croire vraiment ou pas du tout, n'oublient pas les bienfaits de la foi perdue. Bien des annees plus tard, il se de- 1 "La Vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud" (ClartW, 56me ann&e, n.s., #2); repris dans Brisees (Paris: Mercure de France, 1966), 12-14. Cet essai prend pour pretexte le livre de Jean-Marie Carr6 du meme titre (Paris: Plon, 1926). 2 "La Monade hieroglyphique," compte rendu de la traduction par Grillot de Givry, (Paris: Bibliotheque Chacornac, 1925), dans La Rkvolution surrealiste, 3eme annee (1927), #9-10, repris dans Brise'es, 15-19. This content downloaded from 46.243.173.129 on Sat, 28 Jun 2014 18:28:46 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 648 MICHEL BEAUJOUR crira encore comme "un amateur de mythes," et par un tour ca- racteristique du scepticisme qui n'exclut pas tout espoir de croyance: "Celui qui, desenchante, parle ici pour essayer de s'en- chanter encore."3 Ulterieurement, l'Afrique devint provisoirement le lieu oui Leiris espera rencontrer des conditions favorables 'a la restauration de l'efficacite poetique, 'a la participation avec des gens dont la culture echappait encore au pouvoir reducteur et demystificateur de la Science. Toute la poignante ironie du recit initiatique que con- stitue L'Afriquefantome tient 'a ce que Leiris n'y parvient pas a com- munier avec l'Afrique, precisement parce qu'a' etudier des inities et des possedes, il se transforme lui-meme en ethnographe. S'il est bientot possede, etjusqu'au fond de ses reves, c'est par la methode scientifique, qui exclut tout 'a fait la participation. Loin d'etre delivre de la "Science" par l'Afrique, Leiris y apprend au contraire 'a re- diger et 'a classer des fiches: plus tard, il comprendra que cette demarche peut fonder une poetique prosaique et efficace, ana- logue 'a celle dont l'oeuvre de Raymond Roussel lui offrait la pra- tique et la theorie. A l'inverse de la poetique magique, evoquant une illusion perdue, la poetique pratique de Leiris decrit les procedes qu'il a effectivement mis en oeuvre pour ecrire la majorite de ses oeuvres, de Simulacre 'a La Regle du jeu. Puisque cette poetique a ete l'objet de nombreuses etudes, il suffit de rappeler que Leiris n'a cesse d'osciller entre le travail desenchante de l'invention et le desir, toujours reconduit, de depasser sa desillusion 'a force d'artifice. Cette double postulation, poursuite alternee de la proie et de l'ombre, on la trouve egalement inscrite dans les travaux ethno- graphiques de Leiris: le titre de son ouvrage le mieux connu, La Possession et ses aspects the'atraux chez les Ethiopiens de Gondar,4 en te- moigne. Car si Leiris se donne pour "un ethnographe qui a cherche en vain des lecons chez les peuples lointains,"5 cela ne sig- nifie pas pour autant qu'il n'a rien trouve en Afrique. Au con- traire, il a trouve des pratiques qui, en ce qui concerne la magie verbale et l'acces au sacre, ne valaient ni plus ni moins que ses 3 Michel Leiris, Images de marque (Cognac: Le temps qu'il fait, 1989), non pagine. Voir egalement "Musique en texte et musique antitexte" in Langage tangage ou ce que les mots me disent (Paris: Gallimard, 1985), 73-189 et surtout 103-06. 4 Michel Leiris, La Possession et ses aspects thedtraux chez les Ethiopiens de Gondar (Co- gnac: Le temps qu'il fait, 1989 [Plon, 1958]). 5 Images de marque, op. cit. This content downloaded from 46.243.173.129 on Sat, 28 Jun 2014 18:28:46 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions M L N 649 propres pratiques d'ecrivain. Revenant, dans Langage tangage sur les curieuses explications de mots auxquelles il se livre depuis Glos- saire, jy serre mes gloses, Leiris ne manque pas, 'a propos de ces "echantillons" d'une "langue bouleversee, convenant au tradi- tionnel monde a l'envers," de noter que cette langue est analogue 'a une "langue initiatique," a "une langue de l'autre cote, de cet autre cote plus qu'incommensurable pour qui ne croit pas 'a une vie se- conde puisque aucunement mesurable et d'ailleurs nulle part situ- able" (Langage tangage, 108-09). Bref, 'a une distance de plusieurs decennies, l'ouvrage oui Leiris analysera La Langue secrete des Dogons de Sanga qui est utilisee dans les ceremonies funeraires et surtout dans le Sigui, grand rite celebre tous les soixante ans, lui parait desormais relever de la poetique de son oeuvre litteraire autant que de l'ethnographie, en depit de sa volonte de separer ses deux "metiers."6 C'est pourquoi il parait legitime d'examiner les rapports qui se tissent entre poetique et ethnopoetique dans les ecrits de Leiris. Le mot et le concept d'ethnopoetique n'avaient pas cours lorsque Leiris uploads/Litterature/ pontalis-b-leiris-poetique-e-ethnopoetique.pdf

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