S É Q U E N C E 5 L’écriture de soi Nombreux sont ceux,écrivains ou non,qui épr

S É Q U E N C E 5 L’écriture de soi Nombreux sont ceux,écrivains ou non,qui éprouvent le besoin d’écrire à propos d’eux- mêmes. Peut-être vous arrive-t-il,à vous aussi, de vous exprimer ainsi par écrit,dans un jour- nal intime par exemple ? Cette séquence a pour objectif de définir les caractéristiques de l’écriture de soi. Elle étudie les marques de la présence de l’énon- ciateur, le regard qu’il porte sur lui et son passé, la combinaison des différentes formes de discours qu’il utilise. Vous verrez ainsi les fonctions et les enjeux de l’écriture de soi à travers différents genres comme l’autobio- graphie, le journal intime, le roman autobio- graphique. Vous pourrez aussi vous exercer à ce type d’écriture. Retrouver le passé Se connaître Agir sur le lecteur Le texte autobiographique 107 108 Retrouver le passé Deux écrivains contemporains, Simone de Beauvoir (1908-1986) et Nathalie Sarraute (1902-1999), ont évoqué leur enfance dans des autobiographies dont sont tirés les deux extraits qui suivent. Raconter le passé implique d’avoir des souvenirs, des images de l’enfance, voire de la toute petite enfance, comme le montrent ces textes. Dans le premier, la narratrice commence par sa naissance. Dans le second, la narra- trice évoque une maladie d’enfant. Les beaux souvenirs Je suis née à quatre heures du matin, le 9 janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur le boulevard Raspail. Sur les photos de famille prises l’été suivant, on voit de jeunes dames en robes longues, aux chapeaux empanachés de plumes d’autruche, des messieurs coiffés de canotiers et de panamas qui sourient à un bébé : ce sont mes parents, mon grand-père, des oncles, des tantes, et c’est moi. Mon père avait trente ans, ma mère vingt et un, et j’étais leur premier enfant. Je tourne une page de l’album ; maman tient dans ses bras un bébé qui n’est pas moi ; je porte une jupe plissée, un béret, j’ai deux ans et demi, et ma sœur vient de naître. J’en fus, paraît-il, jalouse, mais pendant peu de temps. Aussi loin que je me souvienne, j’étais fière d’être l’aînée : la première. Déguisée en chaperon rouge, portant dans mon panier galette et pot de beurre, je me sentais plus intéressante qu’un nourrisson cloué dans son berceau. J’avais une petite sœur : ce poupon ne m’avait pas. Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, © Éditions Gallimard, 1958. J’ai été malade… une de ces maladies sans gravité, mais contagieuse… était- ce la varicelle ? la rubéole ? Dans ma chambre, un peu assombrie par un grand arbre, avec une porte ouvrant sur celle de maman, je suis couchée dans mon petit lit contre le mur du fond, je reconnais que j’ai beaucoup de fièvre à la présence… ils ne manquent jamais d’être là quand mon corps, ma tête brûlent… des petits bonshommes déversant sans fin des sacs de sable, le sable coule, se répand partout, ils en déversent encore et encore, je ne sais pas pourquoi ces monceaux de sable et l’agitation de ces petits gnomes me font si peur, je veux les arrêter, je veux crier, mais ils ne m’entendent pas, je n’arrive pas à pousser de vrais cris. Quand la fièvre est tombée, je peux m’asseoir dans mon lit… Une femme de chambre envoyée par ma tante fait le ménage, refait mon lit, me lave, me coiffe, me donne à boire, me nourrit… Maman est là aussi, mais je ne la vois qu’assise à la table en train d’écrire sur d’énormes pages blanches qu’elle numérote avec de gros chiffres, qu’elle couvre de sa grande écriture, qu’elle jette par terre à mesure qu’elle les a remplies. Ou alors maman est dans un fauteuil en train de lire… Nathalie SARRAUTE, Enfance, © Éditions Gallimard, 1983. 5 10 15 20 25 Coll. Kharbine-Tapabor. 109 L’autobiographie Les textes autobiographiques sont écrits à la pre- mière personne du singulier :l’auteur est lui-même le narrateur et le personnage principal.Il raconte sa vie et les événements qui l’ont marqué dans un récit qui porte sur le passé. Son ambition est la reconstitution sincère de sa vie personnelle. Retenons SÉQUENCE 5 Lire et comprendre Qui parle ? La situation d’énonciation 1. À quelle personne grammaticale sont écrits les deux textes ? De qui s’agit-il ? Relevez dans chaque texte les marques d’accord qui renvoient à l’énon- ciateur. 2. Sur quelle partie de l’axe du temps porte chaque texte ? Pourquoi ? Essayez de préciser la situation d’énonciation qui caractérise chacun des deux textes. ■Énonciation et énoncés ➤p. 260 3. Utilisez vos réponses précédentes pour justifier le titre de chacune des œuvres.Comparez les ren- seignements que vous donne chacun d’eux. L’évocation du souvenir 4. Quel procédé Simone de Beauvoir choisit-elle pour présenter sa famille ? Pourquoi ? 5. Relevez et classez les détails qui donnent à l’évocation du passé un caractère précis dans cha- cun des textes. 6. Quel est le temps dominant dans le texte de Nathalie Sarraute ? Quelle valeur donne-t-il à l’évo- cation du souvenir ? 7. Dans les deux textes,quels éléments montrent néanmoins un certain flou dans le souvenir ? En quoi cela correspond-il au propre même de l’au- tobiographie ? Quel effet produisent ces hésita- tions ? 8.Comment Simone de Beauvoir compense-t-elle cela ? La perception et les sentiments de l’enfance 9. Comment la fièvre se manifeste-t-elle dans le texte de Nathalie Sarraute? Pourquoi a-t-elle choisi cette image ? 10. Comment la syntaxe de la phrase imite-t-elle le déferlement de la fièvre ? Quel changement remarquez-vous dans le deuxième paragraphe ? 11. Quels sont les sentiments exprimés par Simone de Beauvoir ? 12. « Maman tient dans ses bras un bébé qui n’est pas moi » (l.7-8) : remplacez l’expression COD par un nom commun.Pourquoi avoir utilisé une péri- phrase ? ■Les figures de style ➤p. 376 13. Expliquez la dernière phrase du texte de Simone de Beauvoir. Lire et maîtriser la langue La formation des mots Cherchez dans un dictionnaire la formation du mot autobiographie. Quel est le sens de chaque élément ? Quelle différence de sens faites-vous entre autobiographie et biographie ? Cherchez d’autres mots formés avec chacun des éléments et donnez leur sens. ■Histoire et formation des mots ➤p. 370 Lire et écrire Se présenter par écrit Rédigez une présentation de vous sur le modèle du texte de Simone de Beauvoir : Je suis né(e) à…, le…, dans… Sur les photos de famille… on voit… Mon père avait… ma mère…, et j’étais leur… enfant. Je tourne une page de l’al- bum… je porte… Aussi loin que je me souvienne… 110 Jules Vallès, romancier et journaliste de la fin du XIXe siècle (1832-1885), raconte dans L’Enfant, Le Bachelier, et L’Insurgé l’histoire de Jacques Vingtras, enfant maltraité dans sa famille. Il transpose ainsi dans une trame romanesque ses propres souvenirs d’enfance. Un nez bien clarifié « Plus fort, mon enfant ! » C’est ma mère qui parle, elle a bien de la douceur aujourd’hui ! « Plus fort » est dit comme par une sœur d’hôpital à un malade dont on tient le front brûlant : « plus fort ! là ! du courage ! C’est bien ! » Je retombe exténué sur un fauteuil, les bras pendants et mous comme un lapin mort ; j’ai même, comme le lapin assassiné, une goutte de sang au bout du museau : puis, tout autour, la peau est rougeâtre et lisse comme une pelure d’oignon, lisse, lisse !… Si j’avais quelques petits poils qui faisaient les fous, ils sont partis, noyés, tant il m’a passé d’eau dans les narines depuis ce matin ! C’est qu’aujourd’hui on compose en récitation classique et débit, et ma mère veut que j’aie le prix. Pour cela, il faut non seulement savoir, mais bien dire ; et un nez vigoureusement clarifié permet d’avoir la voix claire. On m’a clarifié le nez. Ma mère l’a pris et l’a mis dans l’eau ; il est resté là longtemps, longtemps ! oh ! les minutes étaient des siècles. Enfin elle l’a retiré bien proprement et m’a dit : « Renifle, mon enfant ! renifle ! » Je ne pouvais plus. « Fais un effort, Jacques ! » Je l’ai fait. Seringue molle, mon nez a tiré et craché l’eau pendant une demi-heure, peut-être plus, et il me semble qu’on m’a vidé et que ma tête tient à mon cou comme un ballon rose à un fil ; le vent la balance. J’y porte la main. « Où est- elle ? – Ah ! la voilà ! » Il n’y a que le nez qui compte ; il me cuit comme tout et il flambe comme un bouchon de carafe. Je m’y attache, je le prends par le bout, moi-même, et je me conduis comme cela, sans me brusquer, jusqu’à mon pupitre, où je repasse ma leçon. Quelquefois le but est manqué, mon nez dégoutte dans tous les sens, il en tombe des perles d’eau comme d’un torchon pendu, et je dis : « Baban. » Retrouver le passé uploads/Litterature/ l-x27-ecriture-de-soi.pdf

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