L’Effet-Bataille De la littérature d’excès à l’écriture Un texte-lecture NR 291

L’Effet-Bataille De la littérature d’excès à l’écriture Un texte-lecture NR 2911 Michał Krzykawski L’Effet-Bataille De la littérature d’excès à l’écriture Un texte-lecture Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego Katowice 2011 Redaktor serii : Historia Literatur Obcych Magdalena Wandzioch Recenzent Tomasz Swoboda Publikacja będzie dostępna — po wyczerpaniu nakładu — w wersji internetowej: Śląska Biblioteka Cyfrowa www.sbc.org.pl « On ne peut penser et écrire qu’assis » (Gustave Flaubert). — Je te tiens, nihiliste ! Être cul-de-plomb, voilà, par excellence, le péché contre l’esprit ! Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose. Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles 7 REMERCIEMENTS Ce livre n’aurait jamais vu la lumière du jour sans le soutien de mes guides et mes amis. En particulier, je tiens à exprimer toute ma gratitude au Professeur Krzysztof Jarosz, fondateur et chef de la Chaire d’études canadiennes et de traduction littéraire à l’Université de Si- lésie, pour son entière disponibilité, sa bienveillance et la confiance qu’il m’a accordée lors de la rédaction de ce livre et à tous les mo- ments difficiles mais heureux qui se sont produits ces six dernières années. Je suis très honoré de pouvoir travailler avec lui. Mes remerciements vont également au Professeur Adam Dziadek de l’Université de Silésie et au Professeur Wacław Rapak de l’Uni- versité Jagellonne pour leurs lectures très chaleureuses et l’ouverture qu’ils ont témoignée à l’égard de ma thèse de doctorat qui, légère- ment modifiée et complétée, est devenue la base de ce livre. Je tiens également à remercier le Professeur Tomasz Swoboda de l’Université de Gdańsk, évaluateur méticuleux dont les remarques précieuses et commentaires constructifs m’ont permis de nuancer certains frag- ments du texte et ont beaucoup apporté à sa version finale. Un grand merci va à Ewelina Bujnowska et Axel Louvrier qui se sont généreusement mis d’accord pour consacrer leur temps et éner- gie à corriger la première version du texte. Je remercie également la Professeure Ewa Miczka, Directrice de l’Institut des langues romanes et de traduction de l’Université de Silésie, pour son appui et sa com- préhension qui m’ont apporté du réconfort lors de la rédaction de ce livre, de même que mes ami·e·s et collègues de l’Université et de la Chaire d’études canadiennes et de traduction littéraire pour leur enthousiasme et leur dévouement intellectuel très inspirant. 9 INTRODUCTION Il faudrait donc parler de Georges Bataille par le prisme d’un mot-valise qui, malgré la tornade théorique des années 1960 et 1970, continue de façonner le discours historico-littéraire pour ce qui est des recherches en littérature française en France. Ledit mot-valise, on l’aura compris, est un grand écrivain. Dire qu’un auteur est un grand écrivain doit émaner d’une évi- dence qui, à la rigueur, pourrait se passer de tout commentaire. Une telle affirmation, déclinée de mille et une manières dans les manuels d’histoire littéraire qui, dans la plupart des cas, nous donnent à tous la première impression qu’on se fait de la littérature, nous précède avant que la moindre lecture ne soit entamée. C’est la lecture première qui conditionne une première lecture, et qui peut conditionner toutes les lectures suivantes. Faite une fois pour toutes et en absence de tout lecteur, elle sert de soupape de sûreté pour celui qui s’est aventuré dans les méandres du texte exerçant sur lui ses pouvoirs de séduction. Nous savons que la séduction, comme le remarque Baudrillard, est une stratégie du diable, et qu’elle « veille à détruire l’ordre de Dieu. [...] C’est pourquoi toutes les disciplines qui ont pour axiome la co- hérence et la finalité de leur discours, ne peuvent que l’exorcicer »1. La séduction détourne du vrai et une lecture faite sous son empreinte fait sombrer dans l’erreur. Cependant, à supposer qu’une lecture, sur- tout une lecture académique, soit une recherche de vérité, pourquoi lire si tout est déjà lu, pourquoi lire après la lecture première qu’on prend pour une vérité révélée ? N’est-ce pas, pour évoquer l’esprit de contradiction de Nietzsche, une « béate satisfaction et la sérénité de l’homme théorique » et « une défense subtile contre la vérité »2 ? Au fond, si la lecture première vient de l’apprentissage, une lecture, si elle se veut vraie, doit ressortir du désapprentissage. À s’en tenir au 1 J. Baudrillard : De la séduction. Paris, Galilée, 1979, p. 10. 2 F. Nietzsche : La Naissance de la tragédie. Traduit de l’allemand par G. Bian- quis. Paris, Gallimard, 1949, p. 168—169. 10 Introduction discours religieux, toute lecture qui se veut une recherche est toujours hérétique. Elle se fait avec irrespect aux grands écrivains dont l’image nous a été inculquée par la lecture première. Il se peut que parler de Bataille comme d’un grand écrivain soit encore une provocation. Cependant, l’entrée de l’auteur d’Histoire de l’œil, en 2004, à la Pléiade peut justifier une telle combinaison. La consécration s’est faite : Bataille est d’ores et déjà une étoile au firmament des plus grands écrivains que la littérature française ait jamais connus. « Son œuvre grandira »3, écrivait Foucault dans une courte présentation qui annotait le premier volume des Œuvres complètes de Bataille, édité chez Gallimard en 1970. Une prophétie qui s’est accomplie ? Fort possible, mais aussi un propos qui doit déboucher sur une question vitale pour ce qui est de l’état actuel des études batailliennes : comment mesure-t-on la grandeur de Georges Bataille aujourd’hui ? Si la grandeur d’un écrivain s’imprègne du nombre d’exégèses qu’on lui consacre tel le papier buvard de l’en- cre, tout porte à croire que la pléiadation de Bataille n’est que le couronnement des travaux de ses inlassables exégètes. Qu’on ne s’y trompe pas ! Georges Bataille, bien qu’il fasse figure d’auteur margi- nal à l’université française, trop philosophe pour les littéraires, trop littéraire pour les philosophes et, enfin, trop pornographe pour les uns comme pour les autres, est un écrivain très étudié. À en croire les rédacteurs (dont Michel Surya, biographe de Bataille) du 17e numéro de la revue Lignes, intitulé Nouvelles lectures de Bataille, qui contient des travaux des jeunes chercheurs du monde entier, c’est déjà la quatrième génération de lecteurs et d’interprètes qui lisent Bataille. Rappelons-nous les trois précédentes : la première constituée par ses amis dont Blanchot ou Duras ; la deuxième qui, grâce à des travaux de Derrida, Foucault et Tel Quel, a reconnu pour la première fois l’importance de la pensée bataillienne ; enfin, la troisième dont la lecture a mené l’auteur de Madame Edwarda au sacre de la Pléiade. Il est donc curieux qu’en parlant de Bataille lors des colloques qui réunissent des spécialistes en littérature française, on s’expose toujours à des extravagances non voulues, comme si parler de lui n’avait que deux fonctions : scandaliser par des recours à l’érotisme débridé que représentent ses textes ou être relégué au rang de « curiosité de la journée ». Or, dès que les romans et récits de Bataille ont fait leur entrée à la Pléiade, les limites de l’extra- vagance se sont remarquablement déplacées. À tel point qu’il est désormais tout à fait normal de parler de Bataille tandis qu’il est 3 M. Foucault : « Présentation ». In : G. Bataille : Œuvres complètes. Vol. I. Paris, Gallimard, 1970, p. 5. Citations de l’édition des douze volumes des Œuvres complètes signées désormais OC, volume, numéro de la page. 11 Introduction plutôt extravagant de ne voir en lui qu’une brebis galeuse de la littérature française. À supposer qu’une édition en Pléiade soit une affaire de prestige, mais aussi un signe de reconnaissance de la grandeur, il faudrait prendre Bataille pour un écrivain du même rang que Flaubert. Après tout, toutes les étoiles dans la constellation ne sont-elles pas cen- sées briller d’un même éclat ? Cependant, pour évoquer la citation en exergue de Nietzsche, Bataille ne pense ni écrit comme Flaubert. Il ne pense ni écrit jamais assis. Il échappe. Il rit, d’un rire puéril et endiablé à la fois, de celui qui prétend tenir un propos exhaustif sur lui, qui se veut un spécialiste en la matière : « Le mépris de la posi- tion individuelle et l’extrême mobilité de la pensée ouverte à tous les mouvements antérieurs et ultérieurs, liés dès l’abord à la réponse, mieux, consubstantiels à la réponse, l’insatisfaction et l’inachèvement de la pensée »4. Si bien que la présente étude n’est pas une étude sur Georges Bataille. Elle ne se veut pas une exégèse, car elle s’accorde le droit d’errer entre deux sens du mot : elle erre en s’écartant de LA vérité de la lecture première pour se hasarder à la vérité que Bataille (dé)- place dans l’ouverture incessante (« Maintenir [...] une ouverture aux développements qui suivront »5) ; elle part errer à l’aventure avec tout l’imprévu qu’elle suscite pour se risquer à une entreprise qui a toutes les chances d’échouer (« Exprimer une pensée mobile, sans en chercher l’état définitif »6). Bataille disait qu’« une philosophie n’est jamais une maison mais un chantier »7. Rien ne m’autorise à en faire un édifice. Mais quelle écriture, sans mimer celle de Georges Bataille, serait capable uploads/Litterature/ l-x27-effet-bataille.pdf

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