IV L'ÉVANGILE DE MARC A ÉTÉ ÉCRIT EN LATIN PAR PAUL-LOUIS COUCHOUD SAINT Ephrem
IV L'ÉVANGILE DE MARC A ÉTÉ ÉCRIT EN LATIN PAR PAUL-LOUIS COUCHOUD SAINT Ephrem1 dit que l'évangile de Marc a été composé en latin. Cette affirmation n'est liée à aucun intérêt doctrinal. Elle n'est contredite, à ma connaissance, par au- cun témoignage ancien. En tête de beaucoup de manuscrits des évangiles se trouve une notice qui fait savoir que l'évangile de Marc a été écrit en latin (ῥωµαιστί) 2. En suscription à la vulgate syriaque (Peschitto), à la version syriaque héracléenne et à plusieurs manuscrits grecs 3 on lit que l'évangile de Marc « a été écrit en latin, à Rome : ἐγράφη ῥωµαιστὶ ἐν Ῥώµῃ ». Je me propose de rechercher si ces renseignements sur la langue originale de l'évangile de Marc sont exacts. L'origine romaine de cet évangile est admise par la plu- 1. Evang. concord. expositio., éd. Moesinger, p. 286. 2. H. von Soden. Die Schriften des Neuen Testaments, 2e éd. Göttingen I, p. 297 [51]. . 3. Entre autres deux manuscrits de la Bibliothèque Barberine de Rome (actuellement à la Bibliothèque du Vatican : 160 (Sod. ε 213) et 161 (ε 1005), d'après H.-B. Swete, The Gospel according to St Mark, 3e éd., Lon- don, 1920, p. XLI. : radikalkritik.de – Berlin [86] part des critiques 1. Or, si à Rome le grec était familier à beaucoup de gens de toutes les classes, le latin était cepen- dant la langue la plus généralement parlée. Normalement un ouvrage composé à Rome et destiné en premier lieu, à des gens de Rome devait être en latin. Il est vrai que les plus anciens documents de l'Eglise romaine qui soient venus jusqu'à nous, la lettre de Clément, le Pasteur d'Hermas, les apologies de Justin sont en grec. Mais la lettre de Clément est adressée à des Grecs. Hermas était selon toute apparence, un esclave grec. Le grec était la langue maternelle de Justin et les empereurs auxquels il s'adressait avaient une chancellerie grecque. Il n'est pas prouvé par ces exemples que le grec fut la langue exclusive, ni même principale, des groupes chrétiens de Rome. L'original de Marc est-il grec ou latin ? Seul l'examen du texte peut en décider. Et il n'y suffit pas d'un coup d’oeil. En 1914, H. C. Hoskier, surpris des divergences anormales des textes grecs, émit l'hypothèse que l'évangile avait été écrit à la fois en deux langues. L'auteur en aurait donné simultanément deux éditions, une latine et une grecque 2. Cette hypothese n'est qu'un compromis. A supposer qu'une traduction eût été faite dès la première heure, ce que rien n'assure, il n'en resterait pas moins qu'un des deux textes était l'original, l'autre la traduction. Il s'agit de comparer entre elles les plus anciennes formes latines et les plus anciennes formes grecques de Marc qui nous soient parvenues. 1. Voir en particulier B -J. Bacon, Is Mark a Roman Gospel? (Harvard Theol. Studies). 1919. 2. H. C. Hoskier Codex B and its Allies, London, 1914, Part. I, p. 126, 172. — M. Robert Stahl a le premier attiré mon attention sur la possi- bilité d'un original latin de Marc. radikalkritik.de – Berlin [87] Parmi les latines, les plus anciennes sans conteste, sont celles qu'on désigne par les lettres k et e. k Codex Bobiensis (Ive ou ve siècle) à la Bibliothèque Natio- nale de Turin. Il contient la seconde moitié de Marc (VIII à XVI) sauf quelques lacunes dans le chapitre VIII. Edition J. Wordsworth et W. Sanday (Old-latin biblical Texts no II) Oxford, 1886. Nouvelle collation par C.H. Turner et F. C Burkitt (Journal of theological studies, octobre 1903). P, Turin, 1913. e Codex Palatinus (ve siècle) au Palais épiscopal de Trente. Il contient Marc I, 21-Vl, 9 (quelques lacunes) et de courts frag- ments des chapitres VII-XIII. Edition. C. Tischendorf. Evange- lium palatinum ineditum, Leipzig, 1847. Etudié par H.-G.Vogels. Evangelium palatinum, Münster,1926. Ces deux manuscrits donnent pratiquement le même texte. On l'appelle « africain » parce que c'est celui dont se servait saint Cyprien au milieu du IIIesiècle1 et bien que son origine africaine ne soit pas autrement prouvée. C'est le seul qu'il soit utile de comparer au texte grec. Les autres anciennes versions latines ont pu retenir quelques éléments du texte « africain » mais elles ont été manifes- tement conformées au grec. Pour elles, la question:d'anté- riorité ne se pose pas. Le texte latin qui sera examiné est celui de e pour Marc I , 21-VI, 9, celui de k pour Marc VIII, 9-XVI, 8. Il ne sera pas fait état des parties de l'évangile qui manquent dans ces deux manuscrits. Parmi les formes grecques, les plus anciennes paraissent être celles que donnent les manuscrits B, D et W : 1. Ce qui a été démontré par W. SANDAY (Old-latin biblical texts, n° ΙΙ p. XLII – XLVII) et par H. VON SODEN, Das lateinische Nene Testament in Afrika zur Zeit Cyprians. Leipsig, 1909, p. 106-220. radikalkritik.de – Berlin [88] B Codex Vaticanus (ive siècle) à la Bibliothèque du Vatican, Edition Vercellone et Cozza, Rome 1868. Edition phototypique Codices e Vaticanis selecti, IV, Nouum Testamentum, Milan, 1914. D Codex Bezae gréco-latin (ve ou vie siècle) à la Bibliothèque de l'Université de Cambridge. Edition phototypique Codex Bezae Cantabrigensis., Tome II, Cambridge 1899. W Manuscrit de Washington (ve siècle) à la Bibliothèque de Washington. Collation de H. A. SANDERS The Washington manus- cript of the four Gospels (University of Michigan Studies IX) New- York 1912. Edition phototypique 1913. Les textes fournis par ces trois manuscrits présentent dans Marc des divergences bien plus nombreuses et accen- tuées que dans les autres évangiles. Ils donnent l'impres- sion de trois versions différentes qui auraient été plus ou moins corrigées l'une sur l'autre 1. D'autres manuscrits grecs présentent des leçons signifi- catives. Je ne retiendrai ici que les deux suivantes : Θ Evangiles de Koridehtι (VIIe ou IXe siècle) à Tiflis. Edition de G. BEERMANN et C. R. GREGORY, Leipzig 1913. Ψ Codex Laurensis VIIIe ou IXe siècle) au Mont Athos (Laura). Edition de K. LAKE Texts from Mount Athos (Studia biblica et ecclesiastica, vol. V, part II), Oxford 1902. De deux versions mises en regard, l'une latine l'autre grecque, il peut sembler facile de décider où est l'original, où est la traduction. En fait c'est assez délicat. Le grec et le latin se calquent fort bien l'un sur l'autre. Il faut une pesée minutieuse de quelques passages choisis et un dénom- brement des caractéristiques générales. Une remarque est à faire au début. « Le copiste de k , dit justement M. PERNOT 2, était d’une crasse ignorance ; il ne 1. Les onze derniers chapitres de W ont été corrigés de plus près que les cinq premiers. 2 Un prétendu original latin de l’évangile de Mark, (Rev. de l'hist. des relig., janvier 1927) radikalkritik.de – Berlin [89] comprenait sans doute que fort peu le latin qu'il avait sous les yeux et il était, comme scribe, tout à fait inexpérimenté. » Il fait à chaque ligne des fautes incroyables. Il écrit uerum in quo oritur pour uermis non moritur, regnus pour petrus, feribas pour scribas, nuptis pour uultis, filia pour folia, nomen pour non enim ou pour pater, et sum pour tuum, in tribus pour inscriptio, inprobitas pour haerebit ad, illi monet pour illo omnes, si mulier pour similiter, etc. Mon but n'est pas de refaire l'édition critique de k qui a été donnée par HANS VON SODEN (Das lateinische Neue Testament in Afrika zur Zeit Cyprians. Leipsig 1909, S. 429-449). J'ai donc suivi en général le texte établi critiquement par SODEN. J'ai signalé seulement les corrections que je propo- sais moi-même. Ainsi dans mon premier exemple j'ai donné seruis suis au lieu de discipulis suis, domus au lieu de domui, utrum au lieu de uerum, gallorum cantu au lieu de gallorum gallo, corrections de SODEN que personne ne contestera. Et j'ai indiqué que je lis dixit, anstelle von dixi que donne le manuscrit. I. LA PARABOLE DU PORTIER. A la fin du chapitre XIII, le latin donne une petite para- bole dont le sens, en grec, est oblitéré : XIII, 34 37 quomodo homo peregrinans reliquit domum et dedit seruis suis potestatem, uniuscuiusque opus suum, et ostiario praecepit ut uigilet, sic uigilate quia nescitis quando dominus domus uenit, utrum uespera an nocte media an gallorum cantu an mane, ne ueniens subito inueniat uos dormientes; quod autem uni dixit, omnibus uobis dico. B1 ὡς ἄνθρωπος ἀπόδηµος ἀφεὶς τὴν οἰκίαν ἑαυτοῦ καὶ δοὺς τοῖς δούλοις ἑαυτοῦ τὴν ἐξουσίαν, ἑκαστῷ τὸ ἔργον αὐτοῦ, καὶ τῷ θυρωρῷ 1. Les varlantes de D et de W ne touchent pas au sens. radikalkritik.de – Berlin [90] ἐνετείλατο ἵνα γρηγορῇ· γρηγορεῖτε οὖν· οὐκ οἴδατε γὰρ πὸτε ὁ κύριος τῆς οἰκίας ἔρχεται, ἢ ὀψὲ ἢ µεσονύκτιον ἢ ἀλεκτοροφωνίας ἢ πρωΐ· µὴ ἐλθὼν ἐξαίφνης εὕρη ὑµᾶς καθεύδοντας. ὃ δὲ ὑµῖν λέγω, πᾶσιν λέγω. γρηγορεῖτε. Le latin a deux mots qui ne sont pas représentés en grec: sic et uni. En latin la parabole est limpide. Le sens en est déter-, miné par la corrélation uploads/Litterature/ l-x27-evangile-de-marc-a-ete-ecrit-en-latin-par-paul-louis-couchoud.pdf
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- Publié le Jui 23, 2022
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