Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1998

Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1998 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 13 jan. 2022 14:18 Études littéraires L’ironie du « Pleurer-Rire » chez Henri Lopès Cyriaque L. Lawson-Hellu Poétiques du recueil Volume 30, numéro 2, hiver 1998 URI : https://id.erudit.org/iderudit/501207ar DOI : https://doi.org/10.7202/501207ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des littératures de l'Université Laval ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Lawson-Hellu, C. L. (1998). L’ironie du « Pleurer-Rire » chez Henri Lopès. Études littéraires, 30(2), 123–140. https://doi.org/10.7202/501207ar Résumé de l'article En faisant intervenir les théories pragmatiques de l'ironie, l'article interroge les modalités de constitution de l'élément ironique dans le Pleurer-Rire, roman contemporain de l'écrivain congolais Henri Lopès. Il s'agit ici de mettre en évidence le symbolisme discursif de l'ironie dans l'écriture de Lopès, en analysant le rapport du roman à son contexte socio-discursif de production et d'intelligibilité - le " Pleurer-Rire " du roman africain post-colonial - et ses modalités formelles d'intégration de l'élément ironique. Au terme de cette analyse, nous avons pu formuler un certain nombre d'hypothèses quant au symbolisme discursif du recours à l'ironie chez Lopès, hypothèses qui, au demeurant, en appellent non seulement au rapport de l'écrivain au pouvoir politique duquel il participe et qu'il met en écriture, mais encore à son rapport à l'institution littéraire négro-africaine francophone : d'une part, une stratégie défensive qui prend la forme de l'autocensure, d'autre part une stratégie offensive qui tend à relativiser le discours sur les spécificités de la littérature négro-africaine post-coloniale. L'IRONIE DU « PLEURER-RIRE » CHEZ HENRI LOPÈS Cyriaque L. Lawson-Hellu Non, Tonton n'existe pas, ne peut exister, en ces jours, en ce continent. C'est le fruit d'une imagination macabre qui frise la démence : c'est de la bande dessinée ! [...] Le Pleurer-Rire est une offense au bon goût. (le Pleurer-Rire) • Pourquoi avoir retenu comme titre « l'Ironie du "Pleurer-Rire" chez Henri Lopès » plutôt qu'un « l'Ironie du Pleurer- Rire d'Henri Lopès » qui semble aller plus de soi ? La nuance, de toute évidence, excède le simple transfert syntaxico- sémantique. Si le second « Pleurer-Rire » renvoie en effet au roman proprement dit, il en est bien autrement du premier qui renvoie surtout à un état de la littérature négro-africaine d'expression française, principalement au renouveau esthétique observé dans le roman des années 1970- 1980. Cette nuance indique aussi l'orien- tation que nous donnons à l'analyse du fonctionnement ironique dans le roman d'Henri Lopès. Il s'agit ainsi de situer au préalable le roman dans son contexte socio- discursif de production et d'intelligibilité, pour une meilleure saisie du rôle essentiel qu'y joue l'ironie, en quelque sorte d'évo- quer brièvement le « pleurer-rire » du ro- man africain. Il s'agit ensuite d'y analyser les modalités d'intervention de l'élément ironique, sur le double plan formel ou lin- guistique et narratif, pour, en fin d'analyse, formuler quelques hypothèses sur le sym- bolisme discursif de l'ironie dans l'écriture d'Henri Lopès, écrivain congolais contem- porain. Sans sacrifier à l'identité du texte, l'étude fait intervenir pour l'essentiel les théories pragmatiques de l'ironie. L'ère du « Pleurer-Rire » Déjà par son titre, le roman, paru en 1982, annonçait l'entreprise assez particu- Études Littéraires Volume 30 N° 2 Hiver 1998 ETUDES LITTERAIRES VOLUME 30 N" 2 HIVER 1998 Hère de l'écrivain congolais qui allie à une désillusion amère sur la réalité socio- politique africaine un humour des plus co- casses. En somme, en poursuivant l'hydre qui secoue tout le continent, le roman par- ticipe non seulement d'une tradition criti- que — sociale et politique ] — qui remonte aux premiers textes de la littérature noire, mais surtout du renouvellement esthétique des deux décennies qui ont suivi les indé- pendances et qui ont vu revenir sur le con- tinent le règne de l'arbitraire avec les régi- mes militaro-politiques. Dans cette nouvelle forme de colonisation interne, la critique sociale et politique se modernise, avec une volonté marquée, de la part des écrivains, de traduire dans les formes narratives les mêmes angoisses que celles exprimées dans les textes 2 : la démultiplication des voix narratives chez un Valentin-Yves Mudimbe, où, par exemple, écrit Fernando Lambert, le lecteur est moins entraîné par les événe- ments qui se déroulent qu'il n'évolue dans une « intériorité où les personnages se voient, se regardent vivre » (Lambert, p. 49) ; ou l'adéquation tragique entre la langue et le monde chaotique, schizoph- rénique, des colonels-présidents chez un Sony Lab'Ou Tansi, par exemple. Le roman de celui-ci illustre assez bien cette nouvelle forme d'écriture qui mêle imaginaire déli- rant, fable et mythe eschatologique. Le ro- man se fait le « crier-écrire du Pleurer-Rire », conclura Jacques Chevrier 3, en reprenant le titre du roman de Lopès. Effectivement, le Pleurer-Rire s'inscrit dans cette mouvance esthétique où la vio- lence sociale est élevée au niveau de la lan- gue, et où le texte, alliant allégorie, para- bole, métaphore, symbolisme, parodie et exagération, s'éloigne de renonciation réa- liste, épique d'antan, au profit d'une écri- ture « heurtée, violente, tantôt baroque et polyphonique, tantôt surréaliste » (Chevrier, 1989, p. H). L'ironie apportera heureuse- ment le « rire » dans cet univers du « pleu- rer », pour compenser l'angoisse et la dé- tresse, « présentant comme possible sinon normal ce qui est le plus invraisemblable » (Lambert, p. 50). L'oxymore du « Pleurer- Rire » se prête bien à ce paradoxe de la litté- rature africaine post-coloniale 4 qui met du « rire » dans la représentation du drame socio-politique. Dans le roman proprement dit, il est question d'une « pause existentielle » qui donne au Maître d'hôtel (le narrateur) d'un chef d'État d'Afrique (Tonton Hannibal- Ideloy Bwakamabé Na Sakkadé), sans pré- cision de nationalité, l'occasion de pein- dre le visage et la couleur de la Dictature, les frasques et les bouffonneries d'un sol- dat anonyme rescapé de la grande guerre, devenu « Général » ou « Maréchal-Président » par la force des choses. Par la truculence des tableaux défilent en une procession infinie les coups d'éclat sans timbre d'un peuple et de son Chef, les parties de bras de fer entre la conjoncture économique générale, la misère sociale et l'opulence de 1 Voir Lambert, p. 47. 2 Voir Semujanga, 1992, p. 44. 3 Voir Chevrier, 1987, notamment l'introduction de la troisième partie intitulée « L'Afrique des Pleu- rer-Rire », p. 364-365. 4 Voir à ce propos Kane. Les analyses du critique intègrent également les romans des premières générations. 124 L'IRONIE DU « PLEURER-RIRE » CHEZ HENRI LOPÈS la classe politique, entre les libertés muse- lées et les stratégies de conservation de la « Magistrature Suprême ». Le Pleurer-Rire se signale aussi par une originalité struc- turelle qui construit autour de son texte principal une mosaïque de voix — sa di- mension polyphonique —, une multipli- cité de textes-satellites organisés en un tout signifiant et pragmatique, où se re- laient l'histoire de l'ancien cuisinier du Relais, devenu maître d'hôtel, « Maître » tout court, du nouveau maître du Pays, ses aventures amoureuses, ses rencontres et sa correspondance avec la classe intel- lectuelle en exil. Œuvre forte et dense, complexe et lucide, le Pleurer-Rire fonde son originalité sur sa structure polyphonique, son rythme varié et sa charge d'iro- nie et d'humour qui justifie son titre. Mêlant grâce et trivialité, fiction et réalité, citations et parodies, il tente de renouveler l'écriture romanesque qui devient, ici, le lieu où diverses formes de langage s'engendrent les unes les autres, se répondent, s'en- trecroisent, s'éclairent, ou se heurtent et enfin s'en- chaînent dans un mouvement continu (Lopès, com- mentaire en page-couverture au verso). Notre analyse de l'ironie du Pleurer-Rire tient compte de cette double spécificité du texte. Il s'agira d'interroger, à la lumière de théories linguistiques et pragmatiques de l'ironie (Catherine Kerbrat-Orecchioni et Alain Berrendonner, principalement), les modalités de constitution de l'élément iro- nique dans le roman, sa dimension linguis- tique, ainsi que ses modalités narratives, son incidence sur le discours romanesque. Entre le trope et l'argumentation Deux valeurs fondamentales caractéri- sent ou opposent les définitions pragmati- 5 Voir Semujanga, 1996, p. 65. 6 Voir le chapitre V portant sur « L'ironie mes » dans Berrendonner. ques de l'ironie : une valeur tropologique à propension offensive, et une valeur argu- mentative proprement défensive. Ces deux valeurs, moins antagoniques que complé- mentaires, se fondent sur le même principe du dysfonctionnement que l'ironie produit dans la « cohérence » discursive instinctive, sur son rôle fondamental dans la subversion des discours sociaux 5. Dans son acceptation tropologique, l'ironie constitue, d'après Catherine Kerbrat-Orecchioni, « [u]ne sorte de trope sémantico-pragmatique [...] qui chevauche les uploads/Litterature/ l-x27-ironie-du-pleurer-rire-chez-henri-lopes-cyriaque-l-lawson-hellu.pdf

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