Revue des études slaves Les relations diplomatiques entre Byzance et la Russie

Revue des études slaves Les relations diplomatiques entre Byzance et la Russie de 860 à 1043 Monsieur Jean-Pierre Arrignon Citer ce document / Cite this document : Arrignon Jean-Pierre. Les relations diplomatiques entre Byzance et la Russie de 860 à 1043. In: Revue des études slaves, tome 55, fascicule 1, 1983. Communications de la délégation française au IXe Congrès international des slavistes (Kiev, 7-14 septembre 1983) pp. 129-137. doi : 10.3406/slave.1983.5310 http://www.persee.fr/doc/slave_0080-2557_1983_num_55_1_5310 Document généré le 08/09/2015 J'l LES RELATIONS DIPLOMATIQUES ENTRE BYZANCE ET LA RUSSIE DE 860 À 1043 PAR JEAN-PIERRE ARRIGNON En 860, au moment où les Russes — oi Pcôç — entrent pour la première fois en contact avec l'Empire byzantin1 , celui-ci vient de triompher de la crise iconoclaste, de résister avec succès aux prétentions romaines, d'entreprendre une œuvre mission naire grandiose, enfin de définir ce que Paul Lemerle appelle le « classicisme byzant in », c'est-à-dire « au sein du christianisme byzantin, d'une part une civilisation, d'autre part une éthique »2 . Il est tout à fait fondamental, à notre avis, de garder à l'esprit ce développement de la civilisation byzantine à partir du milieu du IXe siècle pour comprendre la nature des rapports que l'Empire va établir avec le jeune État russe en formation. C'est dans cette perspective que nous avons placé cette réflexion qui s'appuie sur des sources depuis longtemps déjà analysées3 . Nous nous limiterons par conséquent à l'examen des principales phases qui marquent l'entrée de la Russie dans Voikou- ménè byzantine entre 860 et 1043. 1 . Nous avons écarté délibérément de notre étude le cas des Russes qui firent partie de l'ambassade envoyée en Occident par l'empereur Théophile et reque à Ingelheim par Louis le Pieux, le 18 mai 839. Ces Russes qui désiraient rentrer chez eux et qui profitèrent de cette mis sion pour regagner leur patrie parce que la route directe était alors coupée, ne constituent, à notre avis, en aucun cas des ambassadeurs du « premier État russe », comme l'affirme A. N. Sa- xarov, Дипломатия древней Руси, 1980, p. 3646. 2. P. Lemerle, le Premier Humanisme byzantin, notes et remarques sur enseignement et culture à Byzance des origines au Xe siècle, Paris, 1971, p. 204 (Bibliothèque byzantine, Êtudes,6). 3. Afin de ne pas allonger de faqon fastidieuse la bibliographie, nous renvoyons le lecteur pour la bibliographie soviétique à E. E. Lipšic, « Русь и Византия », Советская историогра фия Киевской Руси, 1978, р. 200-209, qu'il convient toutefois de compléter par l'ouvrage de A. N. Saxarov, op. cit., p. 316-353 ; pour la bibliographie en langues occidentales à D. Obolen- sky, The Byzantine Commonwealth, Eastern Europe 500-1453, London, 1971, p. 395-399 (History of civilization) ; J. Shepard, « Some problems of Russo-Byzantine relation с 860- c. 1050, The Slavic and East European review, 52 (1974), p. 7-30 ; M. Hellmann, K. Zernack, G. Schramm, Handbuch der Geschichte Russlands, Bd. I : Von der Kiever Reichsbildung bis zum Moskauer Zartum, 4/5, Das Reich von Kiev, Stuttgart, 1979, p. 300-302 et 322-323. Rev. Étud. slaves, Paris. LV/1. 1983, p. 129-137. 130 J.-P. ARRIGNON C'est donc au début du mois de juin 860 que les Russes firent irruption sous les murs de Constantinople, au moment précis où l'empereur venait de quitter la ville pour défendre la frontière orientale de l'Empire. Photios, alors patriarche de Constantinople, prononça deux homélies qui constituent un témoignage irrem plaçable sur ces événements1 . Enfin, quelques années plus tard, il évoqua les suites de cette attaque dans sa célèbre lettre encyclique aux patriarches orientaux, du printemps 867, pour constater que cette nation, jadis si cruelle, avait non seulement adopté la foi chrétienne, mais était devenue « sujette et alliée » des Romains2 . Dans ses deux sermons, Photios compare l'attaque russe à un « orage soudain3 » , à un « coup de tonnerre venu du ciel4 » qui surprend Constantinople en l'absence de son empereur et de son armée5. Cette soudaine irruption et la cruauté dont firent preuve les assaillants6 , font précisément l'originalité de l'expédition qui s'ap parente à un « raid viking7 ». H. Ahrweiler a montré que les Russes, pour bénéficier de l'effet de surprise, n'ont pu mener ce raid qu'à partir du Nord-Est de l'actuelle Crimée, qu'on appelait alors Tauride-Khazarie, où commence dès 861 la mission de Constantin -Cyrille qui aboutit à la conversion de cette tribu ainsi qu'à son intégra tion dans Voikouménè byzantine en qualité ďhypékooi kai proxénoi de l'Empire8 . D. Obolensky a attiré l'attention sur l'origine classique de ces deux termes9 , mais il nous semble important d'examiner avec précision leur emploi. Le premier, hypé- kooi est habituellement traduit par sujet. Chez Hérodote, les Perses « sont réduits à être les sujets des Mèdes » après la victoire militaire remportée par Déiokès10, Xénophon, dans la Cyropédie, met ce terme dans la bouche de Cyaxare parlant de « ses sujets11», et dans les Helléniques, Agésilas propose à Pharnabaze de rompre avec le roi en lui soumettant des compagnons d'esclavage pour en faire « ses vas saux12 ». Mais l'emploi le plus fréquent et le plus intéressant de ce terme se trouve chez Thucydide, au livre 7 de son Histoire du Péloponnèse, lorsqu'il dresse le cata logue des alliés qui soutenaient les uns la Sicile, les autres Athènes. Parmi ces derniers, il distingue : les sujets d'empire — oi илукооі —, les alliés autonomes — oi ô'àirà і-ищіахіля aùrowjuoi —, enfin, les mercenaires — о1џиавоеоро1 — ; les pre miers sont divisés en deux groupes : ceux qui sont soumis au tribut - rcô v Ьттщоыр каі yópov ітотєХпр — et qui étaient présents aux côtés des Athéniens en qualité 1 . Les deux homélies qui concernent les Russes ont été éditées par A. Nauck, Lexicon Vindobonense, S.-Pb., 1867, p. 201-232 et sont rééditées par C. Muller, Fragmenta historicum graecorum, V, Paris, 1883, p. 162-173. Nous les citerons d'après la traduction et le comment aire qu'en a fait C. Mango, The homélies of Photius, patriarch o f Constantinople, English trans lation and commentary , Cambridge, Mass., 1958, p. 74-110. 2. Cette lettre a été éditée dans la Patrologie grecque, t. 102, col. 735-737. 3. C. Mango, op. cit., p. 82. 4. Ibid., p. 96. 5. Ibid., p. 89-90. 6. Ibid., p. 98-99. 7. H. Ahrweiler, « les Relations entre les Byzantins et les Russes au IXe siècle », in Bul letin d'information et de coordination de l'Association internationale des études byzantines, 5, Athènes - Paris, 1971 , p. 67, repris dans Byzance : les pays et les territoires, London, Variorum Reprints, 1976, VII (Studies, 42). 8. Ibid., p. 44-70. 9. D. Obolensky, « The principles and methods of Byzantine diplomacy », in Actes du XIIe Congrès international des études byzantines, Ochrid, 1961, Beograd, 1963, p. 57. 10. Hérodote, Histoires, livre 1-102, Clio, texte établi et traduit par Ph.-E. Legrand, Paris, 1964, p. 129 (Coll. des Universités de France). 11. Xénophon, Cyropédie, t. II, livre V (5), texte établi et traduit par M. Bizos, Paris, 1973, p. 129 (Coll. des Universités de France). 12. Id., Helléniques, t. II, livre IV (36), texte établi et traduit par Hatzfeld, Paris, 1965, p. 13 (Coll. des Universités de France). BYZANCE ET LA RUSSIE 131 de « sujets d'empire et sous la contrainte » — v-nrjKooi б'бртєя каі ävaynr} —, ceux qui ne sont pas tributaires — où i/jopco тцкооі — mais « astreints aux navires » — vavoï vnrJKOOL — * . Ainsi, pour Thucydide, le terme hypékooi définit un statut politique précis qui affecte les membres de la Confédération de Délos. Ceux-ci sont vis-à-vis d'Athènes dans un statut de dépendance impliquant un service qui peut être exigé sous la contrainte. L'emploi de ce vocable par Photios nous semble extrêmement important. Le patriarche, qui connaissait probablement les œuvres de Thucydide2, a voulu souligner la similitude de la dépendance dans laquelle se trouvaient les membres de la Confédération de Délos par rapport à Athènes, et celle des Russes par rapport à Constantinople. Des uns comme des autres, le service pouvait être exigé, éven tuellement sous la contrainte — араукг) — ; or, pour que celle-ci puisse s'exercer, il faut admettre que les Russes rescapés du raid de 860 avaient été installés dans une région sous administration romaine — їжо rr\v 'PœiMïurfv iroXiTe'uw — 3 : la Cherso- nèse Taurique. La Proxénie, institution des cités grecques antiques, a fait de son côté l'objet d'une étude méticuleuse4, qui montre que le terme, tel qu'il était en usage à Olympie ou à Delphes, doit être entendu dans le sens de répondants, d'intermédiaires. Le rapprochement de ces deux vocables, sous la plume de Photios, pour désigner les rapports politiques qui se sont établis entre l'Empire byzantin et les Russes après l'expédition de juin 860 n'est pas fortuit, mais procède du souci de précision d'un homme instruit des affaires diplomatiques5 et ayant toujours montré un goût très vif pour la lexicographie6 . Nous pouvons par conséquent en déduire les conclusions suivantes : 1) Les Russes qui attaquent Constantinople le 18 uploads/Litterature/ les-relations-diplomatiques-entre-byzance-et-la-russie-de-860-a-1043.pdf

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