TYDSKRIF VIR LETTERKUNDE • 45 (2) • 2008 161 La femme et sa lutte de libération

TYDSKRIF VIR LETTERKUNDE • 45 (2) • 2008 161 La femme et sa lutte de libération dans l’œuvre d’Henri Lopes Patrick Kabeya Mwepu Patrick Kabeya Mwepu né en RDC, Docteur en langue et littérature françaises (Université du Cap), Enseignant des études françaises (Université Rhodes), Auteur de plusieurs articles en littérature africaine francophone. E-mail: p.mwepu@ru.ac.za; pakabeya@yahoo.fr Women and their struggle for emancipation in Lopes’ œuvre Born in Kinshasa, Congo, on 12 September 1937, but a national of Congo (Brazzaville), Henri Lopes is one of those African writers who, were not only educated but also lived in Europe where a certain portion of their literary work was produced. Being a politician and writer, one can easily glean, through Lopes’ works, a complete picture of despotic postcolonial mismanagement of political affairs coupled with a dire dearth of humanism. Literary works such as Tribaliques (Tribaliks, 1971), La nouvelle Romance (The New Romance, 1976), Sans tam-tam (Without Drum, 1977), Le Pleurer-Rire (The Crying-Laughter, 1982) and Sur l’autre rive (On the Other Shore, 1992) depict a particular worldview as well as an understanding of the overarching reality of a young Africa that had just attained political independence. However, while Lopes’ works decry the shortcomings of Africa’s postcolonial ruling class, it is important to note that the author appears to pay equal attention to questions relating to the perception and critical analysis of the status of women in Africa. Notwithstanding his male gender status, in his rather original approach, Lopes lends women a revolutionary voice with which they address and search for solutions to their problems themselves. Key words: African women, mission, struggle for emancipation. Une lecture attentive de l’œuvre d’Henri Lopes conduirait maints lecteurs à revivre non seulement l’expérience vitale d’une certaine Afrique traditionnelle mais encore à constater les défis d’une société en pleine mutation. D’aucuns pourraient également entrevoir des paramètres sociologiques dont l’ampleur aurait contraint l’auteur à la révolte dans son souci de voir sa société se métamorphoser. T el est le cas, en l’occurrence, de la question relative à la femme africaine, à sa vocation, à sa place et à son devenir social. En effet, la question de l’émancipation de la femme a toujours nourri les dis- cussions littéraires de tous les temps.1 Pourtant, Lopes ne s’y prend pas comme cer- tains écrivains qui, fidèles à la tradition, appréhendent cette dialectique de manière partiale et superficielle sans prendre en considération les enjeux réels de la perspec- tive émancipatrice de l’écriture. Barbara Godard rapporte cette faiblesse qu’elle ren- contre chez bon nombre d’écrivains romantiques en ces termes: Rarement a-t-on permis à la sexualité féminine de s’exprimer librement. La situa- tion n’a rien d’étonnant puisque la plupart des histoires d’amour sont racontées du point de vue de l’homme; la femme y joue le rôle de l’autre, de l’objet à conquérir, 12 Mwepu 03.pmd 7/23/2008, 8:06 AM 161 TYDSKRIF VIR LETTERKUNDE • 45 (2) • 2008 162 à courtiser ou à séduire, après quoi le protagoniste se lance vers de nouvelles aventures. Les histoires traditionnelles présentées du point de vue féminin vont généralement dans le même sens, offrant en corollaire la thématique de la femme courtisée et qui résiste jusqu’à ce qu’on lui offre la plus grande récompense: le mariage (Godard 1992 : 85). Cependant pour Lopes, il est temps de nager à contre-courant de l’histoire sans ménag- er aucun effort pour favoriser une certaine révolution dans ce domaine, c’est-à-dire, comme le dit Roland Barthes, « déplacer la parole » (1966 : 44). Ce déplacement de la parole est effectif dans l’œuvre de Lopes dès lors qu’en dépit du fait que l’écrivain est un homme, il recourt pourtant aux techniques de la narration féminine, à une « écri- ture féminine » ou à une « écriture au féminin » qui se situerait dans les méandres de la perception que Borgomano (1989 : 81) présente comme suit: « Si […] le narra- teur est donné comme féminin et si le focalisateur l’est aussi, alors le roman se propose de nous introduire dans un point de vue de femme, de nous faire entendre une voix féminine, plus ou moins directement. » Maints narrateurs dans l’œuvre de Lopes sont des femmes qui racontent d’autres femmes et se racontent. Parfois l’écriture perce, comme on le constatera, le subcon- scient des personnages féminins étant donné que le genre épistolaire qu’utilisent certaines narratrices et / ou focalisatrices le permet. Ce thème de la femme étant pour- tant l’un des plus féconds et des plus exploités de Lopes, mais encore le plus glissant dans sa subtilité, nous proposons de l’analyser tour à tour sous le signe de l’éducation, de la vocation, du travail ainsi que de différents rapports sociaux tels qu’ils sont vécus par la femme africaine. En dernier ressort, l’analyse portera sur la ndoumba, une catégo- rie spéciale des femmes, ainsi que sur la rupture comme implication logique de l’échec des efforts fournis, un déclic, parmi tant d’autres, pour une libération consciente et durable. Instruction ou féminité ? L’œuvre de Lopes accorde une importance particulière à l’éducation et à l’enseignement. Le lecteur avisé remarquera que Sans tam-tam (1977) présente comme toile de fond l’instruction à laquelle l’auteur, par le biais de Gatsé, le personnage principal de cette œuvre, accorde une importance toute particulière. Rappelons que l’institution scolaire, telle qu’elle existe actuellement, est un phénomène récent dans certaines parties de l’Afrique. Au point où ce continent se trouve Lopes pense que l’école reste une voie obligée pour favoriser le développement socio-économique des africains. Pourtant, une certaine couche de la population semble être privée pratique- ment de ce privilège : il s’agit des femmes. En effet, l’instruction scolaire a été consid- érée en Afrique comme l’apanage exclusif de l’homme. La société s’est contentée à une 12 Mwepu 03.pmd 7/23/2008, 8:06 AM 162 TYDSKRIF VIR LETTERKUNDE • 45 (2) • 2008 163 certaine époque, et les traces perdurent encore de nos jours, de n’instruire que le garçon en écartant délibérément la fille. L ’œuvre de Lopes met en relief cet aspect traditionnel de la vie africaine en plaçant les propos les plus conservateurs du monde dans la bouche d’un législateur moderne ; l’honorable Ngouakou-Ngouakou, le pro- tagoniste de la nouvelle « Monsieur le député » du recueil des nouvelles Tribaliques, s’adresse à sa fille et à son épouse en ces termes: « – N’oublie pas que tu es une femme. Le premier travail d’une femme c’est le travail domestique […] – Et vous croyez que c’est avec le Bac qu’elle retiendra son mari à la maison? » (Lopes 1971 : 60) « Retenir son mari à la maison » est une orientation sociologique dévoilant la finalité de l’éducation d’une fille. Sa vocation première étant le mariage, même le futur époux considère la fréquentation de l’école comme un sacrilège « qui ôte à la femme sa féminité » (Lopes 1976 : 16). Et c’est la même opinion qu’on lit dans les propos de la mère d’Awa Keita qui pense que « la place d’une jeune fille, d’une future femme est au foyer et non à l’école dont la fréquentation peut porter ombrage à la moralité » (Keita 1976 : 28). La conséquence logique en est que la femme devient incapable de s’affirmer vis-à- vis de l’homme; son intellect ne pouvant pas s’élever au-dessus du niveau requis par l’homme, parent ou mari, elle est placée devant les devoirs à accomplir et devient incapable de reconnaître ses droits et de les revendiquer. Le personnage de Mbâ pense que les femmes dont l’éducation est sacrifiée doivent, par conséquent, « se résigner à travailler, souffrir avant l’âge, et laisser les ndumbas aller disserter de l’émancipation de la femme africaine » (Lopes 1971 : 17). La libération de la femme, selon Lopes, est indissociable de son instruction sco- laire. Le personnage de Ngouakou-Ngouakou le reconnaît également, bien que ses actes trahissent ses discours, et pense qu’« il est temps aussi que cessent définitive- ment les préjugés qui font que certains pères, refusent encore de faire continuer des études à leurs filles et que grâce aux études les femmes se libéreront elles-mêmes de la tyrannie masculine » (Lopes 1971 : 55). La finalité de l’école telle qu’elle est définie par ce personnage de l’œuvre Lopes rejoint celle qui a été définie par Bâ qui estimait que la tâche de l’instruction pour une femme était non seulement d’« élever sa vision du monde et de cultiver sa personnalité mais aussi de renforcer ses qualités en fructi- fiant en elle les valeurs de la morale universelle » (Bâ 1980 : 27–8). Parfois Lopes met sur scène des personnages féminins beaucoup plus perspicaces que les hommes qui semblent sombrer dans la médiocrité de leur époque. Dans Le Lys et le Flamboyant, par exemple, Kolélé est dépeinte comme étant plus intelligente que Tomboka qui ne sem- ble pas faire preuve de discernement dans le discours qu’il adresse au peuple (Lopes 1997 : 372) ; le personnage de Wali, épouse maltraitée de Bienvenu dans La nouvelle romance, a compris l’importance de l’école et n’hésite pas à l’exprimer dans uploads/Litterature/ la-femme-et-sa-lutte-de-liberation-dans-loeuvre-d-x27-henry-lopes.pdf

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