© Notre Librairie. Revue des littératures du Sud. N° 155 - 156. Identités litté
© Notre Librairie. Revue des littératures du Sud. N° 155 - 156. Identités littéraires. juillet - décembre 2004 Cahier spécial Ahmadou Kourouma : l’héritage © Notre Librairie. Revue des littératures du Sud. N° 155 - 156. Identités littéraires. juillet - décembre 2004 Ahmadou Kourouma : l’héritage 3 Écrire, c’est répondre à un défi Madeleine BORGOMANO I. JALONS 11 Les Soleils des indépendances : la magie du désenchantement Pierre SOUBIAS 17 Monnè, outrages et défis : quelle histoire ! Jean-Claude BLACHÈRE 22 En attendant le vote des bêtes sauvages : à l’école des dictatures Madeleine BORGOMANO 27 Allah, fétiches et dictionnaires : une équation politique au second degré Xavier GARNIER II. CONFLUENCES 34 La différence linguistique : insécurité et créativité Claude CAITUCOLI 39 Entre hommage et abâtardissement : la tradition subvertie Amadou KONÉ 44 Ahmadou Kourouma : engagement et distanciation Boniface MONGO-MBOUSSA 50 Des femmes chez Ahmadou Kourouma Virginie AFFOUÉ KOUASSI 55 Du proverbe au verbe : la nouvelle philosophie des vocables chez Kourouma NIMROD III. TÉMOIGNAGES 63 Les soleils de la scène Koffi KWAHULÉ 68 Colossal Kourouma Abdourahman A. WABERI 71 Ahmadou Kourouma tel qu’en lui-même Arlette CHEMAIN 77 Les « contre-dires » de l’Histoire Entretien inédit avec Tanella BONI 81 Bibliographie © Notre Librairie. Revue des littératures du Sud. N° 155 - 156. Identités littéraires. juillet - décembre 2004 Ahmadou Kourouma : l’héritage C’est son quatrième livre, Allah n’est pas obligé, d’autant plus terrible et bouleversant qu’il emprunte la voix d’un enfant pour décrire les horreurs des « guerres tribales », qui a valu à Ahmadou Kourouma de connaître, à soixante-treize ans, une célébrité internationale. « Le succès arrive trop tard, au soir de ma vie, c’est dommage… », dit-il1. Son premier livre, Les Soleils des indépendances, publié d’abord au Québec en 1968, au terme d’une difficile recherche d’éditeur, avait rapidement fait de lui un classique africain. Cependant, malgré une pièce de théâtre intitulée Le Diseur de vérité2, interdite en Côte-d’Ivoire après une unique représentation en 1974, Les Soleils des indépendances reste durant plus de vingt ans une éblouissante exception et Kourouma est considéré comme l’homme d’un seul livre. Mais en 1990, Monnè, outrages et défis le consacre comme l’un des plus grands écrivains francophones. Pourtant, avec une rare modestie, il attendra l’âge de la retraite pour se sentir « obligé » de se considérer comme un écrivain « puisqu’[il n’a] plus que ça à faire »3. Il est vrai qu’à cette date il a publié deux autres romans à succès, En attendant le vote des bêtes sauvages, en 1998, et Allah n’est pas obligé, en 20004. Plein de projets, il ressentait même une urgence : « Un homme comme moi, du tiers-monde, a beaucoup à dire. Je voudrais écrire sur les conférences nationales, je voudrais écrire sur Sékou Touré, sur Samory. Mais je n’aurai jamais le temps. Je suis vieux, j’ai soixante-quinze ans », disait-il dans une phrase devenue, hélas, prophétique. Kourouma est mort le 11 décembre 2003. Et nous voici tristement contraints à faire de cet homme au grand rire éclatant5 une « oraison funèbre ». Pour ne pas répéter encore une fois une « biographie » ressassée6, ni céder à la tentation de « louanger » à la manière Écrire, c’est répondre à un défi Madeleine Borgomano 1. Joël Calmettes, À mi-mots : Ahmadou Kourouma, mk2tv, documentaire diffusé sur Arte le 4 avril 2003. 2. Chatenay-Malabry, Acoria, 1998. Voir note de lecture portant sur cet ouvrage in Notre Librairie, n° 138-139, septembre 1999-mars 2000. 3. « Je suis toujours un opposant », propos recueillis par Aliette Armel, Magazine littéraire, n° 390, septembre 2000, pp. 98-102. 4. Les prix remportés pas ces deux livres (prix Inter pour En attendant le vote des bêtes sauvages et, surtout, prix Renaudot pour Allah n’est pas obligé) ont beaucoup contribué à élargir le public de l’écrivain. 5. Voir une très belle photo publiée dans Notre Librairie, n° 153, janvier-mars 2004, p. 155. 6. Madeleine Borgomano, « Mort d’un diseur de vérité », Notre Librairie, n° 153, janvier-mars 2004, p. 154, et par le même auteur, « Un Malinké est mort », Québec français, n° 133, printemps 2004, p. 26. des griots, j’ai choisi de laisser Kourouma parler de lui-même, à travers ses livres. Ces romans, où « tout est vrai », n’ont rien de directement autobiographique. Mais on y entend parfois, transposés, déplacés, condensés par le travail de l’écriture, quelques échos plus personnels. Derrière Maclédio, Kourouma Déjà le nom de Kourouma annonce l’appartenance à la noblesse des guerriers-chasseurs malinkés. Une identité magnifiée, dans Monnè, par les chants des griots, et encore revendiquée par Birahima : « Les Malinkés, c’est ma race à moi. »7 Mais le jeune narrateur est volontiers iconoclaste. « Les Malinkés sont des gens bien qui ont écouté les paroles du Coran »8, mais aussi « des salopards de racistes »9 et « des combinards fieffés qui mangent à toutes les sauces »10. Le nom de Togobala, petit village du nord de l’actuelle Côte- d’Ivoire, lieu de naissance de Kourouma11, seul toponyme à échapper au masquage systématique, remède contre la censure, apparaît d’un bout à l’autre de l’œuvre : c’est la patrie du vieux Fama et du très jeune Birahima. Ne serait-ce pas aussi sa propre nostalgie que Kourouma laisse entendre derrière celle de Fama ? « Ah ! nostalgie de la terre natale de Fama ! Son ciel profond et lointain, son sol aride, mais solide, les jours toujours secs. »12 Et ne serait-ce pas sa propre enfance qu’évoque Birahima ? « Avant ça, j’étais un bilakoro au village de Togobala […] Je courais dans les rigoles, j’allais aux champs, je chassais les souris et les oiseaux dans la brousse. Un vrai enfant nègre noir africain broussard. »13 La première rupture avec cette heureuse insouciance, on en trouve l’écho dans En attendant le vote des bêtes sauvages, quand le sora récite la vie de Maclédio, éminence grise du dictateur Koyaga : « Il y a beaucoup de moi dans le personnage de Maclédio »14, déclare en effet Kourouma : « Au septième anniversaire du garçon, les parents [...] enquêtèrent sur les membres du clan résidant à l’est. Il n’existait qu’un seul natif du village demeurant à l’est : Koro, l’infirmier Koro. […] Entre une esclave et une cousine, on fit marcher les cent quatre- vingt-cinq kilomètres à l’enfant pour rejoindre son oncle à Bindji. »15 C’est bien « la mort de la petite enfance »16. Kourouma ne reverra sa mère qu’à l’âge de vingt-sept ans ! © Notre Librairie. Revue des littératures du Sud. N° 155 - 156. Identités littéraires. juillet - décembre 2004 Ahmadou Kourouma : l’héritage 7. Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, 2000, p. 10. 8. Ibidem p. 23. 9. Ibid. p. 64. 10. Ibid. p. 92. 11. A. Kourouma y est né en 1927. 12. A. Kourouma, Les Soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1970, p. 19. 13. Op. cit. Allah n’est pas obligé, p.13. 14. Entretien avec Yves Chemla, Notre Librairie, n° 136, janvier-avril 1999, p. 26-29. 15. A. Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, 1998, p.119. 16. Titre d’un chapitre de Amkoullel l’enfant peul, Amadou Hampâte Bâ, Arles, Actes Sud, 1991, p. 149. « Il y a beaucoup de moi dans le personnage de Maclédio. » L’appartenance à la noblesse des guerriers- chasseurs malinkés. Autre probable souvenir d’enfance : l’entrée imprévue à l’école française, première étape d’un parcours qui amènera Kourouma à l’écriture : « Suprême des honneurs pouvant être faits à un négrillon de l’époque coloniale, Maclédio fut un soir présenté à l’administrateur blanc de Bindji qui commanda à l’instituteur de lui attribuer dès le lendemain une place sur le banc de l’école rurale. »17 Maclédio, du moins jusqu’à son allégeance à Koyaga, présente bien des traits de son auteur. Comme lui, c’est un rebelle. Leur premier défi leur vaut d’être arrêtés, torturés et « envoyés avec le statut d’indigène dans les régiments des tirailleurs sénégalais »18. Tous deux refusent « de réprimer les Nègres du Rassemblement démocratique africain qui vociféraient des slogans communistes et se révoltaient contre les travaux forcés »19. Mais Maclédio déserte et Kourouma est envoyé en Indochine (comme Koyaga) « guerroyer contre la liberté des peuples colonisés »20. Les divergences s’accentuent au fil des aventures délirantes de Maclédio. Kourouma fait en France des études supérieures de mathématiques et exerce la profession d’actuaire. Maclédio, au terme d’une extraordinaire errance, échoue quatre fois au baccalauréat « à cause de l’anglais et des mathématiques »21. Cependant, il leur reste en commun d’être des exilés et des errants : Maclédio, poursuivi par son destin, dans une fuite éperdue, et Kourouma, comme expatrié, traversent et habitent le Cameroun, le Ghana, la Guinée, l’Algérie, le Togo. Amoureux des livres et passionnés par les civilisations africaines, ils écrivent l’un et l’autre. La « thèse » qu’entame Maclédio ne parvient jamais à sa fin ; il se contente « de plagier des pages entières »22. Mais tous deux accordent une extrême importance à l’écriture et au style. Tous deux uploads/Litterature/ ahmadou-kourouma 1 .pdf
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- Publié le Aoû 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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