TP10HMCA – Christian Grappe, La relecture des fêtes juives dans le Nouveau Test

TP10HMCA – Christian Grappe, La relecture des fêtes juives dans le Nouveau Testament 106 Chapitre 5 La réinterprétation des fêtes d’automne au miroir des évangiles synoptiques : les récits de la Tranfiguration et de l’entrée de Jésus à Jérusalem Le récit de la Transfiguration fait suite, dans les évangiles synoptiques, à celui de la confession de Pierre à Césarée de Philippe. En son sein, la question de Pierre (Mc 9,5 et //), apparemment hors de propos, peut trouver un éclairage singulier à la lumière de la fête de Sukkot. Sa proposition de « faire des tentes » se comprend en effet fort bien dès lors que l’on prend en compte le fait que les cabanes de la fête des Tabernacles « étaient conçues non seulement comme une réminiscence de la protection divine dans le désert, mais aussi (...) comme une préfiguration des sukkot dans lesquelles les justes habiteraient dans le siècle à venir »1. C’est ce qu’illustre bien Ésaïe 4,5-6 qui récapitule les principaux thèmes associés à l’Exode dans une description de la Jérusalem à venir : Ésaïe 4,5-6 TM Traduction française (TOB) LXX הָ֡והְי א ָ֣רָבוּ ןו֜ ֹיִּצ־רַה ןו ֨ ֹכְמ־לָכּ ֩לַע וְעַל־מִקְר ָ אֶ֗ הָ יֹומָם֙ עָנָ֤ן׀ לָ֑יְלָה לֶהָב ָ֖ה א שֵׁ֥ הַּג֛ ֹנְו ן ֔ ָשָׁעְו חֻפּ ׃הֽ ָ דו ֖ ֹבָכּ־לָכּ־לַע יִ֥כּ וְסֻכּ ָ֛ ה ר ֑ ֹחֵמ ֶ ב לְצֵל־יֹומ ָ֖ם תִּהְיֶ֥ה פ וּמִמָּט ָ ֽר׃ מִזֶּ֖ר ם ֶ רו ֔ ֹתְּסִמְלוּ ֙הֶסְחַמְלוּ Il créera en tout lieu de la montagne de Sion, sur les assemblées, une nuée le jour et la nuit une fumée avec l’éclat d’un feu de flamme. 6 Et au-dessus de tout, la gloire du Seigneur sera un dais, une hutte (sukka) de feuillage, donnant de l’ombre les jours de grande chaleur et servant de refuge et d’abri contre l’orage et la pluie. 5 καὶ ἥξει, καὶ ἔσται πᾶς τόπος τοῦ ὄρους Σιων καὶ πάντα τὰ περικύκλῳ αὐτῆς σκιάσει νεφέλη ἡµέρας καὶ ὡς καπνοῦ καὶ ὡς φωτὸς πυρὸς καιοµένου νυκτός· πάσῃ τῇ δόξῃ σκεπασθήσεται· 6 καὶ ἔσται εἰς σκιὰν ἀπὸ καύµατος καὶ ἐν σκέπῃ καὶ ἐν ἀποκρύφῳ ἀπὸ σκληρότητος καὶ ὑετοῦ. L’utilisation de ce texte pour appuyer la croyance dans le fait que la sukka jouerait le rôle de demeure eschatologique est attestée dans les écrits rabbiniques2. Pareille conception permet d’interpréter la suggestion de Pierre comme une traduction de « sa foi dans l’accomplissement actuel des temps messianiques »3, dont l’apparition était déjà signifiée par celle de Moïse et d’Élie, personnages dont le retour était attendu à l’horizon eschatologique. L’attente du retour d’Élie est attestée dès le Premier Testament en Ml 3,23-24 : « Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que n’arrive le jour de Yahvé, grand et redoutable. Il ramènera (ἀποκαταστήσει) le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que Je ne vienne frapper le pays d’anathème » et en Si 48,10 : « toi qui fus désigné pour des menaces futures pour apaiser la colère avant qu’elle n’éclate, pour ramener le cœur des pères vers les fils et rétablir (καταστῆσαι) les tribus de Jacob ». De son côté, Moïse apparaît comme l’accompagnateur du Messie selon le targum Neofiti d’Ex 12,42 (poème des quatre nuits) : « La quatrième nuit, quand le monde arrivera à sa fin pour être dissous ; les jougs de fer seront brisés et les générations perverses seront anéanties et Moïse montera du milieu du désert ‹ et le Roi Messie viendra d’en haut ›. L’un marchera à la tête du troupeau et l’autre marchera à la tête du troupeau et sa Parole marchera entre les deux et moi et eux marcherons ensemble »4. On trouve par ailleurs, en Deutéronome rabba 3, la tradition suivante : « Johannan ben Zacchaï a dit : Dieu dit à 1 Harald Riesenfeld, Jésus transfiguré. L’arrière-plan évangélique de la Transfiguration de Notre-Seigneur (Acta Seminarii Neotestamentici Upsalensis 16), Lund - Kobenhavn, 1947, p. 188-189. 2 C’est ce que souligne Riesenfeld, Jésus Transfiguré, p. 188, qui cite à l’appui de son propos Genèse rabba 48,10 ; Nombres rabba 14,2 ; Ecclésiaste rabba 11,1, § 1. 3 Jean Daniélou, « Le symbolisme eschatologique de la Fête des Taberenacles », Irénikon 31, 1958, p. 19-40 (ici p. 26). 4 Traduction R. Le Déaut, Targum du Pentateuque. Traduction des deux recensions palestiniennes complètes avec introduction, parallèles, notes et index par R. Le Déaut avec la collaboration de J. Robert. Tome II. Exode et Lévitique (SC 256), Paris, Cerf, 1979, p.96-98. TP10HMCA – Christian Grappe, La relecture des fêtes juives dans le Nouveau Testament 107 Moïse : “Quand J’enverrai le prophète Élie, vous devrez tous deux venir ensemble” ». Un autre texte mérite encore d’être cité, le Targum Neofiti de Lévitique 23,42-43. Il applique, cette fois à rebours, l’image de la gloire de Yahvé à la geste exodale : Targum Neofiti de Lévitique 23,42-43 Pendant sept jours vous demeurerez dans des huttes ; tous les indigènes en Israël demeureront dans des huttes, afin que vos générations sachent que J’ai fait demeurer les enfants d’Israël dans les nuées de la gloire de ma Shekinah, sous l’image de huttes, au temps où Je les fis sortir, libérés, du pays d’Égypte5. Il illustre le rapprochement qui avait été effectué, dans le judaïsme, entre sukkot et nuée glorieuse6. Dans cette perspective, le mouvement du récit de la Transfiguration apparaît plus clairement : « le projet de Pierre de construire des tentes est rendu dérisoire par l’arrivée de la nuée qui représente elle-même la Tente tant attendue »7. L’apôtre paraît convaincu que la fin est arrivée et propose donc, en toute logique, de s’installer dans cet état dans la durée en construisant des tentes et en signifiant ainsi cet avènement de l’eschaton. Mais il est pris de vitesse par la nuée elle- même et la suite du récit va montrer, dans les évangiles synoptiques, qu’il ne s’agit pas de s’isoler sur la montagne, mais au contraire de regagner le monde et de mettre le cap sur Jérusalem où Jésus va devoir affronter la Passion. Cela étant, il est parfaitement imaginable que la Transfiguration ait fait l’objet – peut-être en lien avec la confession de Pierre à Césarée, nous le suggérerons plus loin – d’une tradition particulière et ait été narrée pour elle-même et pour montrer comment, en Jésus, l’attente liée traditionnellement à la fête des Tentes s’est trouvée en quelque sorte réalisée de manière proleptique. Dans cette mesure, le lien qu’a établi Marc entre le logion qu’il a placé en 9,1 et le récit de la Transfiguration s’éclaire. Marc 9,1 (texte grec) Marc 9,1 (traduction littérale) Καὶ ἔλεγεν αὐτοῖς· ἀµὴν λέγω ὑµῖν ὅτι εἰσίν τινες ὧδε τῶν ἑστηκότων οἵτινες οὐ µὴ γεύσωνται θανάτου ἕως ἂν ἴδωσιν τὴν βασιλείαν τοῦ θεοῦ ἐληλυθυῖαν ἐν δυνάµει. Il leur dit encore : Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne goûteront pas la mort, qu’ils n'aient vu le royaume de Dieu venu avec puissance. La tradition pouvait faire apparaître, de fait, que Pierre, Jacques et Jean avaient vu de leurs propres yeux le Royaume de Dieu venu avec puissance, sur la montagne, en compagnie de Jésus transfiguré et de Moïse et Élie. Marc aurait ainsi repris un logion de Jésus qui commençait à faire difficulté en raison du retard de la parousie et l’aurait en quelque sorte « neutralisé » par le récit de la Transfiguration qui pouvait illustrer que cette parole avait trouvé une réalisation anticipée. Cela étant, son travail rédactionnel ne s’est pas limité à cela, le récit de la Transfiguration n’étant plus considéré en lui-même, sans doute, redisons-le, en lien avec celui de la confession de Pierre à Césarée, mais intégré dans une trame narrative plus large qui indique qu’il ne convient en aucun cas d’opérer un « arrêt sur image » en voulant, comme le suggère la proposition de Pierre s’arrêter sur la montagne et loin du monde, mais au contraire reprendre la route et le chemin qui conduisent à Jérusalem et à la Passion. On notera par ailleurs que, dans la perspective envisagée d’un lien de la tradition relative à la Transfiguration avec la fête des Tentes, la mention initiale des six jours pourrait prendre tout son 5 Targum Lévitique 23,42-43 (Neofiti 1) (traduction R. Le Déaut). Les italiques signalent des termes propres au targum. Ils représentent, en l’occurrence, autant d’ajouts par rapport au texte biblique. 6 Roger Le Déaut, « Actes 7,48 et Matthieu 17,4 (par.) à la lumière du targum palestinien », Recherches de Sciences Religieuses 52, 1964, p. 85-90, rappelle que « R. Aqiba (mort en 135) entend le nom de lieu Sukkot d’Ex 13,20 au sens de « nuée de gloire », citant même à ce propos És 4,5 et 35,10 (Mekhilta sur l’Exode 13,20) ». 7 Christin Grappe, D’un Temple à l’autre. Pierre et l’Église primitive de Jérusalem (ÉHPhR 71), Paris, PUF, 1992, p. 166-167. TP10HMCA – Christian Grappe, La relecture des fêtes juives dans le Nouveau Testament 108 sens et avoir établi (toujours dans la tradition) uploads/Litterature/ fe-tes-cg06-c-cours-6.pdf

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