05/07/2021 La France d’Antonio Gramsci - « Surhomme », « bas romantisme », fasc
05/07/2021 La France d’Antonio Gramsci - « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français - E… https://books.openedition.org/enseditions/17094?lang=fr 1/52 ENS Éditions La France d’Antonio Gramsci | Romain Descendre, Jean- Claude Zancarini « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français Romain Descendre p. 113-152 05/07/2021 La France d’Antonio Gramsci - « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français - E… https://books.openedition.org/enseditions/17094?lang=fr 2/52 1 2 Texte intégral Merci à Francesca Antonini, Fabio Frosini et Jean- Claude Zancarini pour leurs relectures précieuses de ce texte. Surhumain, trop surhumain Origines peuple [popolaresche] du « surhomme ». On le trouve dans le bas romantisme du roman-feuilleton : chez Dumas père – Comte de Monte-Cristo, Athos, Joseph Balsamo – par exemple. Eh bien : de nombreux soi-disant nietzschéens ne sont que des… dumasiens qui, plus tard, ont « justifié » par quelques rudiments nietzschéens l’état d’esprit qu’avait créé en eux la lecture du Comte de Monte- Cristo.1 Dans les Cahiers de prison, Antonio Gramsci affirme à plusieurs reprises que l’idée du surhomme ne trouve pas tant son origine dans les textes philosophiques de Nietzsche, auxquels les tenants du « surhumain » aiment à se référer, que dans le roman-feuilleton français du milieu du xixe siècle. La première formulation de ce jugement est une annotation rapidement portée sur la page de garde postérieure du cahier 8, datant probablement du début de l’année 1932. Elle ne sera développée que plus tard, entre 1932 et 1933, dans plusieurs notes du cahier 14 (l’un des derniers cahiers de notes miscellanées) et du cahier 16 (le cahier thématique dans lequel Gramsci rassemble ses notes consacrées aux « Questions de culture »). Voici cette première formulation : Même s’il est probable que Gramsci fasse notamment allusion à Gabriele D’Annunzio, derrière l’expression « de nombreux soi-disant nietzschéens » il est aisé de reconnaître bien des intellectuels fascistes, au premier rang desquels Mussolini lui-même. Les rédactions successives de cette note évoquent d’ailleurs certains d’entre eux, que Gramsci avait personnellement connus : notamment Mario Gioda, alias « L’ami de Vautrin », qui fut l’un des fondateurs des Faisceaux italiens de combat en 1919, puis secrétaire politique du fascio de Turin et enfin député fasciste (avant 05/07/2021 La France d’Antonio Gramsci - « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français - E… https://books.openedition.org/enseditions/17094?lang=fr 3/52 3 4 de mourir juste après les élections d’avril 1924), ou Vincenzo Morello, alias « Rastignac », sénateur fasciste dès 19232. Bien qu’elle soit développée en tant que telle uniquement dans cette phase tardive de la rédaction des Cahiers, cette question du surhomme, ainsi que son lien avec le « romantisme », n’est pourtant pas nouvelle dans les écrits de Gramsci. Le « romantisme de roman-feuilleton » en tant que tel joue lui aussi un rôle important dans son analyse de l’idéologie fasciste. La tendance à faire de cette partie de la littérature française un instrument de l’analyse politique est un phénomène de longue durée : non seulement avant les Cahiers de prison, mais avant même l’arrivée de Mussolini au pouvoir, au moment où Gramsci voit l’émergence de ce que l’historiographie appellera plus tard le « fascisme des origines », il la relie à une idéologie et culture politique du xixe et du début du xxe siècle. Il s’agit de sources politiques et culturelles propres à la version « petite-bourgeoise » du socialisme, qui durant la guerre sont, aux yeux de Gramsci, particulièrement bien représentées dans les milieux des interventionnistes de gauche : l’ensemble de ces syndicalistes révolutionnaires, réformistes et anarchistes qui allaient ensuite se retrouver dans le fascisme. Cette ligne interprétative, qui met en évidence des « origines » du fascisme dans un sens qui annonce déjà celui d’une historiographie bien plus tardive (on se contentera de nommer ici George L. Mosse et Emilio Gentile), fait en particulier de la littérature populaire la source d’une mythologie du surhomme qui, après avoir été largement diffusée dans la culture d’avant-guerre, allait jouer un rôle important dans la naissance du « césarisme » fasciste3. J’entends reconstruire ici la genèse et l’évolution de ces jugements associés à l’usage de catégories indissociablement littéraires et politiques. Loin de se contenter d’une simple analyse politique de la littérature et de son histoire, Gramsci fait de la littérature un révélateur du rapport entre les intellectuels (c’est-à-dire les dirigeants) et les masses. Il en retire des critères qui servent en particulier à définir une volonté collective, à la formation de laquelle contribuent des intellectuels qui expriment les masses (qui ont donc un caractère « national-populaire ») et 05/07/2021 La France d’Antonio Gramsci - « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français - E… https://books.openedition.org/enseditions/17094?lang=fr 4/52 5 6 Parce que sont malheureusement très nombreux ceux qui admirent en bloc, sans effectuer les distinctions nécessaires. Tant que l’on trouve parmi eux un Friedrich Nietzsche, admettons ; il était réellement convaincu que telle était la vraie vie, celle que menaient César ou Néron, bien entendu, non celle de l’homme du peuple, mais je ne peux concevoir comment tant d’autres, qui dans les faits ne sont absolument pas des héros ou des surhommes, se laissent porter à l’exaltation d’une civilisation au sein de laquelle ils n’auraient été que des déchets.5 n’ont rien de commun avec des figures héroïques isolées qui, tout en étant « charismatiques », ne savent ou ne peuvent pas exprimer les besoins authentiques des masses, et développent justement pour cette raison un « surhumanisme » exagéré. Ce processus analytique ne naît pas dans les Cahiers de prison mais apparaît dès les premiers textes de Gramsci. La critique d’une vision de l’histoire focalisée sur les « héros » ou les « surhommes » est en effet l’un des thèmes que l’on trouve le plus précocement dans ses écrits. En 1911, dans une rédaction de sa dernière année de lycée, il choisit de commenter un sujet constitué de quelques vers de Carducci louant l’« âme humaine » des Anciens, en critiquant la tendance à héroïser des figures singulières choisies comme représentatives de peuples dont les vies, les misères et les injustices sont en définitive ignorées4. L’ensemble de ce jugement et cette référence à Nietzsche témoignent d’une conscience très claire de l’actualité du thème du surhomme nietzschéen dans le monde culturel et politique italien de ces années-là, un thème qui est même un véritable cliché politico-littéraire. Il suffit de penser à D’Annunzio – qui était alors dans sa période la plus « surhumaniste », marquée notamment par Le Vergini delle rocce ou Più che l’amore, une tragédie construite autour de la figure de Corrado Brando, ce modèle de surhomme d’annunzien que Gramsci évoquera encore vingt ans plus tard dans les Cahiers –, mais aussi au mythe de l’« homme- Dieu » porté par la revue Il Leonardo de Papini et Prezzolini, ou encore à plusieurs textes du socialiste Mussolini, tel l’article de 1908 « La philosophie de la force »6 ou les 05/07/2021 La France d’Antonio Gramsci - « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français - E… https://books.openedition.org/enseditions/17094?lang=fr 5/52 7 nouvelles qu’il écrit l’année suivante à Trente7. Il s’agit en somme d’un motif présent dans l’ensemble de la culture politico-littéraire contemporaine que Gramsci suit de très près – celle dont témoignent à la fois le fichier qu’il constitue durant ses années d’études et les volumes et exemplaires de revue formant sa première bibliothèque récemment retrouvée8 –, mais dont il critique très tôt l’individualisme exaspéré. Dès la guerre de Libye, et plus encore durant la Grande Guerre, la propagande nationaliste et interventionniste renforce cette idéologie du surhomme alors transposée sur la figure du héros militaire : cette rhétorique est continuellement prise pour cible dans les articles que Gramsci publie à partir de la fin de l’année 1915 sur la page turinoise du quotidien socialiste Avanti! et dans l’hebdomadaire Il Grido del popolo. Inversement, il souligne volontiers les mérites de ceux qui ne répondent pas à ces sirènes et qui se refusent à héroïser la guerre et ses acteurs, même quand ils sont d’un bord politique ou philosophique opposé9. Plus généralement, Gramsci considère que le thème du surhomme est un vice rhétorique symptomatique des imaginations les plus médiocres : en février 1917 il dénonce cette « caricature du surhomme dont on abuse et que le commun des écrivains, n’étant pas des génies eux-mêmes, ne réussissent à recréer que sous forme de caricature »10. Prolongeant un motif que l’on a vu apparaître dès 1911, il met ainsi en évidence l’incommensurabilité entre les auteurs et les figures de surhommes qu’ils exaltent. Enfin, il est très significatif qu’à l’époque où Gramsci se met à étudier Marx de près et à pleinement s’approprier sa pensée (entre la fin de 1917 et le printemps 1918), il définisse sa conception de l’histoire en opposition directe au « culte des héros » (appelé aussi « uploads/Litterature/ la-france-d-x27-antonio-gramsci-surhomme-bas-romantisme-fascisme-antonio-gramsci-et-le-roman-populaire-francais-ens-editions.pdf
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- Publié le Apv 15, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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