LA LECTURE DES ŒUVRES LITTÉRAIRES EN TRADUCTION : QUELQUES PROPOSITIONS Yves Ch
LA LECTURE DES ŒUVRES LITTÉRAIRES EN TRADUCTION : QUELQUES PROPOSITIONS Yves Chevrel Les Belles lettres | « L'information littéraire » 2006/1 Vol. 58 | pages 50 à 57 ISSN 0020-0123 ISBN 2251061215 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-information-litteraire-2006-1-page-50.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Les Belles lettres. © Les Belles lettres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Franche-Comté - - 193.54.75.136 - 21/07/2020 23:59 - © Les Belles lettres Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Franche-Comté - - 193.54.75.136 - 21/07/2020 23:59 - © Les Belles lettres La traduction, qu’il s’agisse du processus lui-même (le passage d’une langue à une autre) ou de l’objet produit (l’ou- vrage, le texte traduit), s’est trouvée maintenue, de façon durable, dans une situation paradoxale : pratiquée depuis des temps très anciens, indispensable d’ailleurs à des sociétés humaines utilisant, à l’époque historique, des langues diffé- rentes, elle a pourtant passé longtemps pour une activité subalterne, abandonnée, le cas échéant, à des médiateurs dont la principale qualité devait être la transparence, voire l’invisibilité. L’Université a volontiers renchéri en affirmant que seul l’original était digne d’étude. Un grand médiateur des littératures étrangères, Valery Larbaud, avait d’ailleurs transposé une formule célèbre de Bossuet, quand, en 1946, il revendiquait l’éminente dignité des traducteurs dans la République des Lettres en plaçant leur activité « sous l’invo- cation de saint Jérôme ». La situation s’est toutefois modifiée depuis une trentaine d’années, en raison de deux phénomènes au moins. Le pre- mier, assez général en Europe et dans les Amériques, est une inflexion, voire une nouvelle orientation dans les recherches sur la traduction – le mot de traductologie a dû être forgé vers 1972 – ; le second, propre à la situation française, est la présence de plus en plus affirmée, dans les programmes des collèges, des lycées, des universités, d’œuvres étrangères qu’il s’agit de lire et d’étudier en traduction. Le premier phé- nomène est illustré par les travaux des universitaires regrou- pés dans « l’école de Tel-Aviv » (Gideon Toury, Itamar Even-Zohar) ou dans « l’école de Leuven » (José Lambert, Lieven D’hulst, Theo Hermans), au Canada par ceux de Jean Delisle, en France par ceux d’Antoine Berman, de Michel Ballard, de Jean-René Ladmiral, et de nombreux autres. La série des « Assises de la traduction littéraire » organisées chaque année en Arles depuis 1984 est un autre exemple de l’intérêt accordé aujourd’hui aux réflexions théoriques sur la pratique de la traduction. Il n’est pas question de proposer ici un résumé des nou- velles orientations, d’ailleurs multiples et qui sont loin de s’accorder entre elles dans le détail ; leur mérite commun est en tout cas de partir de la réalité de la traduction et de son insertion dans un projet lui-même dirigé vers un système d’accueil, et non de partir de l’original pour montrer (et stig- matiser) les insuffisances de l’œuvre traduite. C’est bien l’œuvre traduite qui est au cœur des investigations. Si on accepte ce point de départ, on voit que l’étude d’œuvres traduites n’est plus, a priori, un pis-aller déplo- rable. Le bon sens, semble-t-il, invite d’ailleurs à considérer qu’un homme cultivé n’aura accès à certaines œuvres qu’en traduction, et même que la plus grande partie de la Weltliteratur, entendue ici simplement comme l’ensemble des chefs-d’œuvre reconnus dans les littératures de notre planète, ne lui sera jamais connue que par des traductions. Les programmes des lycées et collèges français, qui ont introduit depuis peu la notion de « classiques étrangers », indiquent clairement que ces classiques sont à lire et à étu- dier en traduction. Or ce fait même, qui constitue effectivement la seconde des deux évolutions signalées plus haut, n’a pas encore reçu, semble-t-il, toute l’attention qu’il mérite, et il invite à poser 50 L’INFORMATION LITTÉRAIRE N°1/2006 – DOCUMENTATION PÉDAGOGIQUE La lecture des œuvres littéraires en traduction : quelques propositions Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Franche-Comté - - 193.54.75.136 - 21/07/2020 23:59 - © Les Belles lettres Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Franche-Comté - - 193.54.75.136 - 21/07/2020 23:59 - © Les Belles lettres une question fondamentale : à quelles conditions est-il pos- sible de (faire) lire, de (faire) étudier une œuvre traduite 1 ? Disposons-nous d’expériences, d’outils permettant d’esquis- ser une méthodologie fiable ? Les nouvelles recherches en traductologie apportent-elles des éléments utilisables ? Le présent article essaiera d’avancer quelques propositions. Une remarque liminaire concerne l’adjectif littéraires du titre : il signifie simplement qu’il ne sera question que d’œuvres qualifiées de littéraires par la tradition universi- taire, mais sans que cela engage une prise de position sur la définition de la littérarité, même si le fait même de traduire peut contribuer, d’une certaine façon, à « déclasser » une œuvre. Le terme œuvres (et non textes) a été choisi pour plusieurs raisons : 1) laisser hors champ ce qui est du domaine de la version, entendue ici comme la traduction d’un fragment (dont le modèle est l’exercice scolaire qui porte ce nom) ; 2) renvoyer à une hypothèse, qui consti- tuera un fil directeur, suivant laquelle une traduction litté- raire concerne une œuvre, une production de l’esprit qui forme un « tout [holon] » au sens d’Aristote quand il défi- nit la tragédie (Poétique, 1450b), et n’est pas le calque d’une langue ; 3) enfin, insister aussi sur le fait que, traduit ou non, ce qui est lu prend place dans un objet à trois dimensions, livre ou revue, avec des références autres que purement textuelles : format, typographie, illustrations, discours d’accompagnement 2, ce qui exclut les modalités contemporaines de consultation sur support électronique (qui posent de nouveaux problèmes qu’il n’est pas possible d’aborder ici). S’agissant du terme lecture, il a le sens courant : le déchiffrement de signes et la compréhension de l’ensemble fond-forme qu’ils constituent ; dans un contexte scolaire et universitaire (qui est le sien ici), il signifie également le fait d’étudier une œuvre mise au programme ; il faut alors envi- sager, dans ce contexte, deux modes de lecture, au moins. Le premier, celui qui a peut-être été le plus, et le plus long- temps pratiqué, consiste à expliquer, au sens ancien de « déplier », à retrouver l’élan créateur qui a donné nais- sance à l’œuvre (ou à un extrait de celle-ci), et dont l’abou- tissement est la pratique, souvent considérée comme typiquement française, de l’explication de texte ; le second consiste à découvrir, à reconnaître l’altérité, la distance de l’œuvre. On remarque que le premier mode, tout d’empa- thie, conduit volontiers à une lecture d’admiration, tandis que l’autre induit une attitude plus critique. C’est ce second mode qui sera privilégié dans ce qui suit. Faut-il enfin gloser le terme traduction ? Le mot apparaît au 16e siècle, et c’est bien au sens de passage d’un ouvrage dans une langue différente de celle où il a été écrit que le mot est pris dans le présent article. Il n’est toutefois peut-être pas entièrement hors de propos d’observer que des actes de tra- duction intralinguistique sont souvent décelables pour des œuvres originairement écrites en français ; modernisation de l’orthographe, ajout de certains signes de ponctuation, com- position des paragraphes, disposition des dialogues : autant de points sur lesquels nos habitudes actuelles diffèrent de pratiques plus anciennes. La lecture d’une œuvre qui n’est pas tellement éloignée de nous, La Nouvelle Héloïse, dans l’édition de la « Bibliothèque de la Pléiade » établie par Henri Coulet et Bernard Guyon, atteste des difficultés que provoque l’absence d’une telle actualisation. Les éditeurs en sont conscients, qui déclarent que le lecteur ne devra pas s’étonner de rencontrer des majuscules à des noms communs ; des points au lieu de points d’interrogation à la fin de phrases interrogatives directes ; inversement, des points d’interrogation au lieu de points à la fin de propositions inter- rogatives indirectes ; […] des points-virgules séparant une prin- cipale de sa subordonnée […]. Le lecteur ne devra pas s’éton- ner non plus s’il rencontre aussi bien « désir » que « desir », « vu » que « vû » […]. Ils justifient leur attitude en précisant que ces « incohé- rences sont bien de Rousseau ». Mais les mêmes ont déclaré, un peu plus haut, qu’ils avaient cru indispensable d’apporter des modifications au texte de l’édition originale (ajout de virgules dans des énumérations, de majuscules aux noms propres…) et corrigé des coquilles évidentes 3. Cette pra- tique, qu’on pourrait qualifier de mixte, souligne en uploads/Litterature/ la-lecture-des-oeuvres-litte-aires-en-traduction-quelques-propositions-yves-chevrel.pdf
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- Publié le Apv 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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