Dissertation, esthétique du cinéma «La lenteur est la meilleure façon d’exprime

Dissertation, esthétique du cinéma «La lenteur est la meilleure façon d’exprimer ma révolte» déclare le réalisateur Tsai Ming Liang en 1 2014, par cette affirmation il confère une dimension séditieuse à la lenteur qui subvertit le quotidien dicté par les logiques néolibérales du monde moderne. On peut envisager une comparaison entre ce qu’offre cette expérience esthétique du cinéma proposée par Tsai Ming Liang et la pratique de la marche comme la conceptualise David Le Breton dans son ouvrage Marcher : Éloge des chemins et de la lenteur où il déclare « Anachronique dans le monde contemporain, qui privilégie la vitesse, l’utilité, le rendement, l’efficacité, la marche est un acte de résistance privilégiant la lenteur, la disponibilité, la conversation, le silence, la curiosité, l’amitié, l’inutile, autant de valeurs résolument opposées aux sensibilités néolibérales qui conditionnent désormais nos vies. Prendre son temps est une subversion du quotidien, de même la longue plongée dans une intériorité qui paraît un abîme pour nombre de contemporains dans une société du look, de l’image, de l’apparence, qui n’habitent plus que la surface. » Qu’est-ce qui permet de justifier cette analogie entre la pratique de la marche selon David Le Breton et l’expérience de la lenteur au cinéma ? La lenteur tout comme la marche dans le 7ème art n’est-elle pas « acte de résistance » ? Dans quelle mesure les propos de David Le Breton ne peuvent-ils pas être remis en cause ? Tout d’abord, l’analogie entre la lenteur au cinéma et la pratique de la marche selon David Le Breton semble tout à fait pertinente, de nombreux exemples corroborent l’idée selon laquelle les deux entités sont des « acte(s) de résistance ». Cependant, il semblerait que la vitesse, elle aussi, ait quelque chose à dire du monde néolibéral et qu’elle soit plus apte que la lenteur à le condamner et à y résister. Toutefois, la lenteur n’est-elle pas la seule esthétique qui permet de ne pas reconduire le spectateur à une posture passive ? En rompant avec l’artifice de la vitesse n’est-elle pas le seul véritable acte de résistance au cinéma ? Si l’on envisage une analogie entre la conception de la marche de David le Breton et l’expérience esthétique de la lenteur au cinéma, on peut affirmer que la lenteur est « un acte de résistance » privilégiant « la disponibilité, la conversation, le silence, la curiosité, l’amitié » qui subvertit les « sensibilités néolibérales ». Dans le film An Elephant Sitting Still, la lenteur revêt ce caractère éminemment politique. Dans le film de Hu Bo, la lenteur est rebelle voire « passive agressive » pour citer l’expression du critique de cinéma Jonathan Romney. Tout d’abord la longueur démesurée du film (3h50) et sa lenteur extrême sonne comme séditieuses face à l’industrie cinématographique contemporaine dominée par les grandes productions américaines comme Marvel (très populaires en Chine) où la lenteur est proscrite et où les plans ne durent rarement plus de cinq secondes : comme objet cinématographique An Elephant Sitting Still se présente d’emblée comme rebelle et marginal dans le paysage cinématographique du fait de sa lenteur, il vient s’opposer « aux sensibilités néolibérales qui conditionnent désormais nos vies ». Enfin, c’est au sein de la diégèse même que Hu Bo insuffle à la lenteur un caractère rebelle. En effet, intradiégétiquement les personnages sont révoltés. Les protagonistes principaux d’An Elephant Sitting Still sont marginaux et rebelles du fait de leur apathie qui les conduit à toujours être dans une posture de mépris et de dégout vis-à-vis du monde qui les entoure. Le décalage de vitesse entre les héros et les autres personnages est tout à fait palpable : ce décalage temporel est notamment renforcé par l’usage du Interview,Tsai Ming-liang : «La lenteur est la meilleure façon d’exprimer ma révolte», Libération, 2014 1 plan focal fixe. Le plan focal fixe usé tout le long du film renforce le hiatus entre les personnages principaux et l’environnement qui les entoure. Ce hiatus montre bien un décalage de vitesse entre les protagonistes (marqués par une marginale mollesse) et l’environnement extérieur (urbain et moderne marqué par la rapidité). Les protagonistes sont semblables à l’éléphant de Manzhouli toujours assis évoqué dans les dialogues. Cet éléphant, animal nonchalant, qui se présente comme inactif (toujours assis), est à l’image des héros qui refusent la vitesse de la modernité par l’inaction et la lenteur. Enfin, cet animal éponyme ne pourrait être autre que les spectateurs eux-mêmes, assis devant l’écran de cinéma, qui rompent pendant quelques heures avec la rapidité du monde moderne. L’éléphant toujours assis, ce serait les amateurs du cinéma contemplatif ou « slow cinema » (pour citer Michel Ciment) qui résistent à l’ère de la vitesse qu’est l’ère numérique. Ainsi, l’exemple de Hu Bo, nous permet d’étoffer l’analogie entre la marche selon David le Breton et la lenteur au cinéma : chez le réalisateur, le choix de la lenteur se présente indéniablement comme un acte de résistance. Avancer avec David le Breton que l’esthétique de la lenteur permet une « longue plongée dans une intériorité qui paraît un abîme pour nombre de contemporains dans une société du look, de l’image, de l’apparence, qui n’habitent plus que la surface. » c’est suggérer que la lenteur dans le cinéma permet au spectateur d’explorer la psychologie des personnes filmés, de mieux les comprendre et les appréhender. Béla Tarr déclare à ce titre « Les gens pensent que lenteur équivaut à ennui, mais la longueur des plans vise d'abord à conduire le spectateur vers un certain état d'âme. » Or, dans le cinéma de Wang Bing, on 2 voit bien que la lenteur a une dimension exploratoire : c’est par la lenteur que le spectateur saisit l’expérience de la personne filmée, c’est cette lenteur qui permet de dépasser « l’apparence », « l’image » et la « surface » pour saisir l’état d’âme dont parle Tarr. C’est par la lenteur et la longueur de ses plans séquence que Wang Bing parvient dans À l’ouest des Rails à exprimer la dureté de la condition ouvrière en Chine. C’est notamment le plan séquence de dos qui réalisent pleinement cette fonction exploratoire dans le documentaire de Wang Bing : les lents et longs plans de dos dans À l’ouest des rails permettent de signifier la frustration des ouvriers face au monde (qui filmés de dos, font sans cesse face aux choses qui les entourent). Ces travellings-avant, par leur lenteur, frustrent le spectateur. Dès lors, la durée épuisante du documentaire (9h11 minutes) semble faire coïncider le sort des personnages et celui du spectateur. À l’ouest des rails pour dire l’épuisement des travailleurs épuise directement le spectateur par une longueur et une lenteur démesurée. En outre, l'esthétique de la lenteur du documentaire qui permet une « longue plongée dans une intériorité qui paraît un abîme » donne un contenu métaphorique à la posture dorsale : le dos devient un espace physique où se matérialise l'état psychologique du personnage filmé. La fatigue et le découragement qui s'emparent des ouvriers sont entièrement signifiés par les mouvements de dos, dos qui s'affaissent et s’avachissent à mesure que l’effort les accablent. En outre, si la lenteur semble saisir « l’intériorité » des personnages filmés, elle le fait de façon humble et pudique. On pourrait avancer que la lenteur, en laissant l’être filmé se manifester dans les images parvient à saisir sans fixer. Elle instaure une ambiguïté par la dilatation temporelle et suspend une signification qui se devinerait trop facilement sur le visage de la personne filmée. Chez Wang Bing, la lenteur saisit minutieusement l’expérience de l’ouvrier sans jamais l’objectiver. Ainsi, l’analogie entre ce qu’offre la pratique de la marche selon David le Breton et l’expérience esthétique de la lenteur au cinéma semble tout à fait pertinente. La marche comme le slow cinema se présentent tout deux comme des « acte(s) de résistance » qui permettent une « longue plongée dans une intériorité ». Toutefois, certain points de cette analogie ne sont-ils pas discutables ? La lenteur comme la Béla Tarr présente « An Elephant Sitting Still », Youtube 2 marche ne peuvent-elles pas devenir dans certaines situations synonymes d’aliénation ? L’esthétique de la vitesse, plus à même de saisir les formes fugaces du monde du capitalisme effréné, ne peut-elle pas être plus adéquate que l’esthétique de la lenteur pour critiquer les « sensibilités néolibérales » ? Si l’on corrobore l’analogie entre la marche et la lenteur dans le cinéma, on avance avec David le Breton que la lenteur se présente comme une « subversion du quotidien ». Or, l’esthétique de la lenteur n’est-elle pas la forme la plus privilégiée pour justement dire le quotidien et l’aliénation à ce quotidien ? La réalisatrice, Chantal Akerman use de l’esthétique de la lenteur pour dire l’aliénation dans son célèbre film Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles. En effet, ce film qui a pour sujet le quotidien à horaire fixe d'une Bruxelloise, mère veuve d’un adolescent, use de la lenteur pour dire le legs qui condamne la femme dans la société. Le film montre les tâches quotidiennes, uploads/Litterature/ la-marche-cinema.pdf

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