LA MISE EN ABYME DANS LES ARTS Odile Allimann et Emilie Revaz Mise en garde Cet

LA MISE EN ABYME DANS LES ARTS Odile Allimann et Emilie Revaz Mise en garde Cet ouvrage est composé à la façon de miscellanées. Il n’a pas d’ordre, il n’a pas de sens. Attrapez-le à la page de votre choix, tournez-le dans l’un des deux sens que vous souhaitez. Cher lecteur, soyez prévenu : en choisissant d’ouvrir ce livre, vous acceptez de jouer le jeu. Énoncé théorique de master École Polytechnique Fédérale de Lausanne Section architecture Odile Allimann et Emilie Revaz Sous la direction du professeur Nicola Braghieri Janvier 2015 ABYME, nom masculin : Du latin abyssus et du grec ancien αβυσσος (àbussos), de α privatif et de byssos («fond de la mer»), abyme signifie donc «sans fond». Orthographié aujourd’hui «abîme», il prend alors plusieurs acceptions. Au sens premier, c’est un gouffre profond, un précipice, une cavité dont les limites sont insondables. De manière figurative, il signifie ce qui est extrême, le plus haut degré concevable, le mystère, l’infini ou même le néant. En religion, il symbolise donc l’Enfer. Spécifiquement, en héraldique, dans l’expression « en abyme », ce mot représente une pièce placé au centre de l’écu qui ne touche rien d’autre, et qui est en fait une réplique de l’écu miniaturisé. Nota Bene : Nous avons décidé pour la rédaction de cet ouvrage de respecter l’orthographe qu’André Gide a utilisée lorsqu’il a parlé le premier de « mise en abyme ». «Plus je sonde l’abyme, hélas! plus je m’y perds.» Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques Mise en bouche Deux miroirs. Placés l’un en face de l’autre, ils se dupliquent et échangent leur reflet à l’infini. Nous avons tous déjà eu un premier contact avec une mise en abyme. Que ce soit par ce jeu de deux miroirs ou que ce soit par une image qui contient une réplique exacte d’elle- même en miniature, et sur cette miniature, l’image se répète maintes fois jusqu’à devenir imperceptible. Peut-être même avons-nous déjà lu un roman dont l’histoire raconte une autre histoire semblable à celle que nous sommes en train de lire. Mais n’allons pas trop loin. Ce premier contact vous a-t-il laissé insensible? Probablement pas. Ce phénomène a sûrement dû vous interpeller car il est fascinant de voir qu’un objet peut à la fois revendiquer sa propre existence et se contenir lui-même. Le meilleur moyen de comprendre ce qu’est une mise en abyme est de l’imaginer comme un miroir, comme une glace placée dans une oeuvre et qui permet d’en révéler ses facettes. C’est un outils rhétorique, qui offre la possibilité à l’oeuvre de dévoiler une partie d’elle-même, de révéler un secret sur sa conception, d’ajouter une dimension de conscience à l’oeuvre d’art. On retrouve l’utilisation de ce procédé dans la plupart des arts comme la littérature, la peinture ou le cinéma, où il a été théorisé et explicité. Cet ouvrage propose de révéler la présence de mise en abyme ainsi que d’en montrer les mécanismes à travers les arts. Il s’agit donc dans cette partie de comprendre en quoi elle consiste, afin de pouvoir l’appliquer à l’architecture. Bien sûr, il ne s’agit ici que de quelques pièces choisies parmi les très nombreuses oeuvres dans lesquelles ce concept est présent, le but principal étant de pouvoir mener à terme le parallèle avec l’architecture dans l’autre partie de cet ouvrage. La mise en abyme est une mise en conscience et en lumière des coulisses de l’oeuvre. Comme dans toute mise en scène qui se respecte, il existe plusieurs niveaux de mécanismes de l’ombre à révéler, qui peuvent être lus selon une gradation. La premier niveau est la conscience du miroir, d’un reflet de l’oeuvre à l’intérieur d’elle-même, passage obligatoire avant de chercher à en comprendre d’avantage. Ensuite intervient la conscience de l’auteur, du créateur en tant que personne qui a façonné l’oeuvre. Celui-ci est capturé par un miroir-piège à l’intérieur de son ouvrage, il y laisse sa trace, son empreinte. Puis logiquement, le troisième niveau est la conscience d’un spectateur, d’une personne à qui s’adresse l’objet. Les rapports entre auteur et lecteur prennent alors une grande importance. La communication entre les deux devient plus directe et plus évidente. Le quatrième niveau consiste à révéler le jeu qui peut alors prendre forme entre les deux protagonistes de la mise en abyme et bien sûr, comme pour tout jeu, d’en expliciter les règles et le rôle de chacun. Finalement, le dernier niveau de conscience est l’idée de se perdre dans ce jeu et dans l’oeuvre, afin de mieux se retrouver ensuite. C’est à ce niveau que l’imaginaire des protagonistes serait le plus sollicité. C’est à ce niveau également qu’une abyme onirique se dévoilerait, comme apothéose de la mise en abyme, menant au vertige, à l’infini. Lecteur, si vous décidez de suivre l’ordre des pages, c’est en suivant cette gradation que vous entrerez dans le monde de la mise en abyme dans les arts. Ainsi se succèderont Mise en reflet, Mise en présence, Mise en scène, Mise en jeu et Mise en rêve. Bien sûr, si cet ordre n’est pas celui que vous avez choisi, il n’appartient qu’à vous de tourner la page à tout instant, de choisir un chapitre au hasard ou de suivre le thème qui vous inspirera confiance. Car au fil des pages, vous allez découvrir cinq thèmes qui proposent un autre ordre de lecture, une autre façon de faire des liens entre architecture et arts : échelles, limites, illusions, intra-muros et langage de la construction. Et s’il s’avère que ce sont les exemples architecturaux de mise en abyme qui vous intéressent en cet instant précis - ou à tout moment de votre lecture - rien de plus simple. Il vous suffit alors de faire effectuer à l’ouvrage que vous tenez entre vos mains, une rotation de 180°, soit un demi-tour, et vous serez entré dans l’autre partie, la partie architecturale. Au fond, la mise en abyme est un langage invisible, perceptible seulement par celui qui décidera d’y être sensible. Lecteur, il n’appartient donc plus qu’à vous de jouer le jeu. « DE MÊME QUE LES MISES EN ABYME AU NIVEAU DE LA FICTION S’ATTAQUENT, NOUS L’AVONS REMARQUÉ, AU TEMPS DE LA FICTION, LES MISES EN ABYME TEX­ TUELLES CONTESTENT DANS SON PRINCIPE CETTE CHRONOLOGIE DU LIVRE, L’ORDRE SUCCESSIF DES FEUILLETS. IL SERAIT DONC SOUHAITABLE QU’UN LIVRE ISSU DE CE PRINCIPE SUPPRIMÂT DE L’ANGLE DE SES PAGES LES CHIFFRES COUTUMIERS DE LA PA­ GINATION. S’IL ÉTAIT CONSÉQUENT, CE LIVRE SINGU­ LIER DEVRAIT AUSSI PROSCRIRE L’ORIENTATION QUE DÉTERMINE LA PRÉSENCE D’UNE PREMIÈRE PAGE DE COUVERTURE FRAPPÉE D’UN TITRE. IL POURRAIT ALORS ENVISAGER QU’UN DEUXIÈME TITRE, SUR L’AUTRE FACE DE SA COUVERTURE, VIENNE BALAN­ CER LE PREMIER. ET, COMME IL ARRIVE À SON TEXTE DE SE DÉDOUBLER, CE DEUXIÈME TITRE POURRAIT ÊTRE LA RÉPLIQUE DU PREMIER. » Jean Ricardou, Problèmes du nouveau roman Premier niveau : Mise en reflet Cher lecteur, le premier niveau de la mise en abyme dans les arts est un processus simplement récursif. On peut l’identifier à un miroir, une glace. C’est un procédé qui, une fois présent dans une oeuvre, permet d’en refléter un ou plusieurs aspects. Il peut également refléter un objet extérieur à l’oeuvre, pour autant que celui-ci ait un rapport avec elle. En effet, pour qu’il s’agisse de mise en abyme, tout élément révélé doit être en lien avec le cadre dans lequel il s’insère. C’est seulement à cette condition qu’elle devient un véritable outils rhétorique, source d’un message secret à l’attention du spectateur. Il s’agit donc d’un langage qui permet de prendre conscience d’une dimension supérieure à celle basique de l’oeuvre elle- même. La mise en abyme, par son principe de réflexion, permet de s’interroger sur l’art, son rôle, sa conception. Elle montre l’envers d’un décor, permet de voir au-delà du cadre en déplaçant les limites traditionnelles de l’oeuvre. Car derrière chaque objet artistique se cache de nombreux secrets. Une partie de ceux-ci sont donc placés, par la mise en abyme, à portée de main du lecteur. Il est difficile de parler de miroir sans parler du mythe de Narcisse. En effet, c’est après être tombé amoureux de son propre reflet à la surface d’une source que Narcisse va se laisser dépérir tout en observant son image de longs jours durant. Cela le mènera à sa propre mort, à cause de cette passion qu’il ne peut assouvir. Image et réalité s’influencent réciproquement, chacune révélant une partie de l’autre. Dans les différents exemples artistiques qui suivent, les oeuvres seront donc parfois contenues en plus petit à l’intérieur d’elle-même, après avoir été déformées, transformées en fonction du souhait des auteurs. Les oeuvres pourront également contenir en elles-mêmes des reflets d’un monde plus large, initiant alors un dialogue avec lui par ces petits reflets soigneusement déposés. Dans chacun des exemples, le miroir sera présent dans l’art, non pas sous sa forme conventionnelle de vitre argentée, mais sous des formes plus subtiles et variées que vous n’allez pas tarder à apercevoir. Arts et échelles 1. Giotto di Bondone - Triptyque Stefaneschi Italie, 1315-1320 Bien que le concept n’ait pas uploads/Litterature/ la-mise-en-abyme-dans-les-arts.pdf

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