New Test. Stud. vol. 39,1993, pp. 209-226 LA MORT D'ANANIAS ET SAPHIRA (AC 5.1-
New Test. Stud. vol. 39,1993, pp. 209-226 LA MORT D'ANANIAS ET SAPHIRA (AC 5.1-11) DANS LA STRATEGIE NARRATIVE DE LUC DANIEL MAEGUERAT (9 avenue Davel, CH-1004 Lausanne, Switzerland) 1. LE PROBLEME 1.1 L'histoire du jugement de Dieu sur Ananias et Saphira (Ac 5.1—11) compte parmi les episodes les plus pathetiques du livre des Actes. L'art lucanien de la dramatisation atteint ici un sommet. La fin tragique d'Ananias foudroye par la parole denonciatrice de Pierre, son enterrement hatif, puis la venue de Saphira ignorante du drame, son mensonge public suivi de sa mort annoncee sur un ton d'humour noir (5.9b): l'effet pragmatique cherche par le nar- rateur est programme par le scenario; il s'inscrit aussi dans le texte lui-meme: 'un grand effroi saisit ceux qui l'entendaient' (5.5, 11). L'histoire est destinee a provoquer la crainte. Le recit, dans la fresque idyllique de la premiere communaute chretienne que deploient les chapitres 2 a 5, surgit comme un coup de force narratif; quelle est l'intention de l'auteur des Actes? Car la violence exercee sur le lecteur est aussi theologique: comment jus- tifier la disproportion tragique entre le delit d'Ananias et Saphira et la sanction qui les frappe? Comment expliquer que soit absente l'offre typiquement lucanienne de la (xetdvoia? L'ecclesiologie luca- nienne supporte-t-elle cette vision dualiste d'une communaute de purs dont le pecheur est exclu par la mort? De la part de l'auteur des Actes, dont on sait le penchant a atte- nuer les conflits internes a l'Eglise (6.1-6; 15.7-35), l'emergence brutale de cette crise surprend. La punition du mage Elymas (13.6-12), qui constitue l'analogie a notre recit dans le cadre de la modelisation de Paul sur Pierre, se conclut moins tragiquement par son aveuglement. Le recit d'Ac 5 se presente done a la fois comme une rupture dans la presentation de l'age d'or de la chre- tiente (Ac 2-5) et comme un corps etranger dans la theologie de Luc. 1.2 La recherche s'est empressee d'attribuer la substance du recit a une source, a l'exception du verset 4. Depuis Haenchen, les versets 7-11 sont le plus souvent consideres comme une extension use, available at https:/www.cambridge.org/core/terms. https://doi.org/10.1017/S0028688500022815 Downloaded from https:/www.cambridge.org/core. University of Basel Library, on 11 Jul 2017 at 09:27:55, subject to the Cambridge Core terms of 210 DANIEL MARGUERAT du recit primitif due au redacteur;1 mais cette hypothese ne s'impose pas, car comme le montrent les paraboles, la redondance releve aussi de la rhetorique populaire; si le recit recueilli par Luc envisageait deja le couple, la redaction des v. 7—11, ou se repete avec Saphira le scenario de culpabilite et de mort, a ete par contre soignee par Luc dans le but d'assurer au recit une gradation dramatique. La comparaison des versets 2 et 8, 3 et 9a, 4 et 9b, 5a et 10a, 5b et II 2 montre que le redacteur a menage, de la premiere partie (v. 1-6) a la seconde (v. 7-11), une aggravation du scenario culminant dans l'effroi qui saisit 'toute ViKKXr\aia' (5.11). Ce recours methodologique a la dialectique tradition/redaction ne resoud pas l'embarras theologique dans lequel nous sommes places, puisque Luc non seulement consent a accueillir ce recit dans son ceuvre, mais en accentue apparemment l'effet dramatique! On sait que dans la reception d'une tradition, une theologie narrative recourt a deux procedes: d'une part l'intervention dans le texte (nous viendrons plus tard a la glose interpretative du v. 4), d'autre part la mise en contexte. Nous suivrons cette seconde voie, peu exploree jusqu'ici a propos d'Ac 5, pour mettre a jour l'intention qui gouverne le recit lucanien. Dans quelle strategie narrative prend place Ac 5.1-11, et quels indices de comprehension l'auteur a-t-il deposes dans sa narration a l'intention du lecteur? Dit autrement: comment Luc a-t-il, dans l'organisation de son texte, programme la comprehension d'Ac 5.1-11? 2. LES CINQ LECTURES DXJ TEXTE 2.1 L'exegese, jusqu'ici, a plutot recherche en dehors du texte des Actes le canon hermeneutique de notre recit. La lecture des Peres est guidee par une quete dogmatique (elaboration d'une theologie trinitaire), ethique (rejet de la cupidite) ou institutionnelle (exal- tation du pouvoir de Pierre).3 L'exegese moderne a deploye cinq types de lecture, chacune recourant a un canon hermeneutique externe. 1 E. Haenchen, Die Apostelgeschichte (KEK; 14e eU; Gottingen: Vandenhoeck und Ruprecht, 1968) 198. Avis oppose: G. Schneider, Die Apostelgeschichte (HThKNT 5,1; Freiburg: Herder, 1980) 371; R. Pesch, Die Apostelgeschichte (Apg 1-12) (EKK 5,1; Ziirich- Einsiedeln: Benziger/Neukirchen: Neukirchener, 1986) 196. Ananias ne prend pas la parole (2), alors que Saphira ment publiquement (8); Ananias est accuse1 de mentir a l'Esprit (3), Saphira de le tenter (9a); Pierre n'annonce pas la mort d'Ananias (4), mais celle de Saphira (9b); le mari 6cou.te, tombe et expire (5a), la femme tombe 'aussitot' et expire (10a); la rumeur s'6tend en 11 a 'toute l'Eglise'. 3 Pour une histoire de ^interpretation, voir la these de P. B. Brown, The Meaning and Function of Acts 5:1-11 in the Purpose of Luke-Acts (Boston University, 1969) 51-92. use, available at https:/www.cambridge.org/core/terms. https://doi.org/10.1017/S0028688500022815 Downloaded from https:/www.cambridge.org/core. University of Basel Library, on 11 Jul 2017 at 09:27:55, subject to the Cambridge Core terms of LA MORT D'ANANIAS ET SAPHIRA (AC 5.1-11) 211 a) Une lecture etiologique voit dans l'histoire du jugement de Dieu sur Ananias et Saphira la reponse legendaire donnee au souci des premiers Chretiens devant le sort des defunts avant la parousie; le modele interpretatif est 1 Th 4.13-17.4 b) Une lecture qumranienne voit ici la punition d'une fraude disciplinaire dans la cession des biens a la communaute (5.3-4); le modele interpretatif est cherche en 1 QS 6.24-5; CD 14.20-1.5 c) Une lecture typologique discerne dans ce drame le vol d'un bien sacre, modelise sur la fraude d'Akan (Jos 7).6 d) Une lecture institutionnelle attribue a ce texte la fonction de legitimer l'exercice d'un droit sacral d'excommunication, a la facon de 1 Co 5.13 et Mt 18.15-17.7 e) Pour la lecture historico-salutaire, le delit d'Ananias et Sa- phira n'est pas moral, mais theologique: il fait obstacle a l'action de l'Esprit dans la conduite de l'histoire du salut (Ac 1.8).8 2.2 A la difference de ces lectures, j'adopterai un critere inter- pretatif intrinseque a la narration, en recherchant le point de vue construit par l'auteur dans l'organisation de la narration. 3. LA STRUCTURE NARRATIVE D'AC 2-5 3.1 La premiere sequence qui se revele a la lecture est Ac 4.32- 5.11. Cet ensemble se constitue d'un sommaire 4.32-5, centre sur la communion des biens dans la communaute jerusalemite, auquel 4 These formulae par Ph.-H. Menoud, 'La mort d'Ananias et de Saphira (Actes 5.1-11)', Melanges M. Goguel, Aux sources de la tradition chr4tienne (Neuchatel: Delachaux et Niestle', 1950), 146-54. M.-E. Boismard et A. Lamouille la dependent a nouveau: Les Actes des deuxApotres tome 2 (EtB NS 13; Paris: Gabalda, 1990) 165. J. Schmitt, 'Contributions a l'e'tude de la discipline pe'nitentielle dans l'Eglise primitive a la lumiere des textes de Qumran', Les manuscrits de la Mer Morte, Colloque de Stras- bourg 1955 (Paris, 1957) 93-109; E. Trocme', Le 'Livre des Actes' et l'histoire (Paris: PUF, 1957) 197—9. Sur le modele qumranien, B. J. Capper postule une juridiction d'entre'e dans la communaute', dont 5.4a illustrerait les deux phases: le noviciat exige une declaration de cession des biens a la communaute', que vient concr6tiser le rituel d'entre'e: 'The Inter- pretation of Acts 5.4', JSNT19 (1983)117-31. Cette lecture, la plus re^pandue, est deTendue avec determination par B. Prete, 'Anania e Safiira (At 5,1-11). Componenti litterarie e dottrinali', RivBib 36 (1988) 463-86, surtout 480- 1. Ch. Perrot, 'Ananie et Saphire. Le jugement eccle'sial et la justice divine', L'annie canonique 25 (1981) 109-24; G. Schille, Die Apostelgeschichte des Lukas (ThHNT 5; Berlin: Evang. Verlagsanstalt, 1983) 151. G. Ludemann admet ce sens pour la tradition: Das fru'he Christentum nach den Traditionen der Apostelgeschichte (Gbttingen: Vanden- hoeck und Ruprecht, 1987) 71. Selon S. Meurer, Ac 5 conteste a l'Eglise l'usage d'une justice punitive pour la r^server a Dieu: Das Recht im Dienst der Versohnung und des Friedens (AThANT 63; Zurich: TVZ, 1972) 83-92. 8 Voir surtout P. B. Brown, The Meaning and Function of Acts 5.1-11, 200-14. use, available at https:/www.cambridge.org/core/terms. https://doi.org/10.1017/S0028688500022815 Downloaded from https:/www.cambridge.org/core. University of Basel Library, on 11 Jul 2017 at 09:27:55, subject to the Cambridge Core terms of 2 1 2 DANIEL MARGUERAT s'articulent deux scenes: l'exemple de Joseph appele Barnabas (4.36—7), qui vend un champ et en apporte le produit aux apotres, puis l'exemple d'Ananias et Saphira (5.1-11), qui vendent egale- ment un bien mais detournent une part du prix avant de le deposer aux pieds des apotres. Le sommaire et les deux scenes sont soudes par un meme vocabulaire economique;9 la redaction lucanienne du sommaire doit etre responsable de cette harmonisation termino- logique. Le resultat est qu'apres le sommaire, qui presente (a l'imparfait de duree) le principe du partage des biens chez les premiers Chretiens, les deux scenes (redigees a l'aoriste) con- cretisent chacune une application du principe de partage. Apres la vision panoramique du sommaire, le champ de vision se restreint done a une concretisation exemplaire (Barnabas), puis a un uploads/Litterature/ la-mort-d-x27-ananias-et-saphira-ac-5-1-11-dans-la-strategie-narrative-de-luc.pdf
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- Publié le Dec 22, 2021
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