ALEXIS SPIRE et KATIA WEIDENFELD L’impunité fiscale Quand l’État brade sa souve
ALEXIS SPIRE et KATIA WEIDENFELD L’impunité fiscale Quand l’État brade sa souveraineté 2015 Présentation Dans un contexte de disette budgétaire, plusieurs scandales ont amené la fraude fiscale sur le devant de la scène médiatique. Pourtant, si les gouvernements affichent leur détermination face à cette délinquance, en pratique, rares sont ceux qui passent devant un juge pour de tels actes. Les grandes entreprises et les contribuables fortunés s’en sortent le plus souvent avec des amendes. Les organisateurs des montages frauduleux à grande ou petite échelle ne sont, eux, jamais inquiétés. Ceux qui se retrouvent devant les tribunaux sont les moins aguerris aux procédures de l’administration : gérants de paille, petits entrepreneurs ou simples contribuables qui, par ignorance ou conviction, refusent le jeu du dialogue avec le fisc. Comment expliquer cette impunité ? Pourquoi la fraude fiscale n’est- elle pas traitée en France comme un délit à part entière ? À partir d’une enquête au long cours dans les coulisses de l’administration et dans les arcanes des tribunaux, ce livre démonte les mécanismes qui font tourner la machine judiciaire… à vide. Mettre fin à cette tolérance permettrait pourtant de lever une contradiction témoignant d’un renoncement partiel de l’État à sa souveraineté : on ne peut affirmer la centralité de l’impôt dans le contrat social tout en maintenant dans l’impunité ceux qui s’en exonèrent volontairement. Pour en savoir plus… Les auteur-e-s Alexis Spire est sociologue, directeur de recherches au CNRS. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages remarqués, dont Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration (Raisons d’agir, 2008) et Faibles et puissants face à l’impôt (Raison d’agir, 2012). Katia Weidenfeld est historienne du droit et juriste, directrice d’études à l’École nationale des chartes. Elle est notamment l’auteur de À l’ombre des niches fiscales (Economica, 2011). Collection COLLECTION DIRIGÉE PAR LAURENT JEANPIERRE ET CHRISTIAN LAVAL L’horizon des possibles ? L’horizon des possibles, parce que la critique sociale ne peut plus se contenter de pamphlets spéculatifs, même brillants, ni d’explications du réel, même subtiles. Elle exige l’articulation des théories et des observations, des enquêtes et de leurs enjeux, des idées nouvelles et des pratiques actuelles. L’horizon des possibles, parce qu’il est nécessaire, pour affronter le présent, de surmonter les cloisonnements qui séparent doctrines, disciplines et traditions de pensée. Cette collection ne sera donc ni l’expression privilégiée d’une école scientifique ni l’espace exclusif d’un courant politique. L’horizon des possibles, parce que le dévoilement et la dénonciation ne suffisent plus à mobiliser les esprits et les corps. Il faut aussi apprendre à voir la réalité du point de vue de ses possibilités. Chercheurs et théoriciens ont décrit le monde de différentes manières ; il faut désormais en inventorier les possibles afin d’aider à le transformer. Et relier ces possibles de pensée à des possibles de luttes. DANS LA MÊME COLLECTION Jérôme BASCHET, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes Patrick CINGOLANI, Révolutions précaires. Essai sur l’avenir de l’émancipation Gérard DUMÉNIL et Dominique LÉVY, La Grande Bifurcation. En finir avec le néolibéralisme Immanuel WALLERSTEIN, Randall COLLINS, Michael MANN, Georgi DERLUGUIAN et Craig CALHOUN, Le capitalisme a-t-il un avenir ? Copyright Éditions La Découverte, Paris, 2015. ISBN numérique : 978-2-7071-8898-4 ISBN papier : 978-2-7071-8245-6 En couverture (conception graphique) : theatre-operations.com Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. S’informer Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit de vous abonner gratuitement à notre lettre d’information bimensuelle par courriel, à partir de notre site www.editionsladecouverte.fr, où vous retrouverez l’ensemble de notre catalogue. Table Page de titre CHAPITRE 1 - Une tolérance à la fraude fiscale ancrée dans l’histoire Le refus de l’impôt, un délit diversement sanctionné La fraude à l’impôt : atteinte au bien commun ou aux intérêts du fisc ? Le mauvais contribuable, « déserteur civique » ? Les sanctions pénales : des tigres de papier Excuser les erreurs et sanctionner les fraudes CHAPITRE 2 - Des prévenus triés sur le volet Où l’on voit que les puissants échappent aux juges L’improbable pénalisation des fraudes patrimoniales Où l’on voit que les faibles sont poursuivis Des organisateurs de la fraude hors d’atteinte CHAPITRE 3 - Du contrôle au procès La machine à trier les infractions De nouveaux outils sans nouveaux moyens CHAPITRE 4 - Une justice passive Un contentieux marginal pour la justice pénale Ni classement ni instruction Une enquête préliminaire a minima Un parquet dépendant du fisc Une justice remobilisée ? CHAPITRE 5 - Des peines invisibles L’audience de la deuxième chance Des peines de prison virtuelles Des « gérants de paille » déplumés La culpabilité, une sanction suffisante L’impunité des dominants, une fatalité ? CHAPITRE 6 - Dévoiler et punir Mieux sélectionner les personnes poursuivies Dynamiser l’enquête judiciaire Restituer un sens aux sanctions pénales CONCLUSION ANNEXES INTRODUCTION Cour d’appel de Paris, jeudi 18 septembre 2014, 14 h 30, chambre financière. Les prévenus, deux quinquagénaires néerlandais souriants, en costume, sont accompagnés de deux avocats et de deux stagiaires. Le Palais de justice ne leur est pas inconnu. En 2005, ils ont, une première fois, écopé d’une peine de trois mois de prison avec sursis pour fraude à la TVA. Mais ils ont continué à prendre des libertés avec les règles, en matière d’impôt sur les sociétés, cette fois. Nouveau contrôle, nouveau redressement, nouvelle plainte pour une fraude d’environ un million d’euros, commise entre 2004 et 2005. Après diverses péripéties et de renvois en sursis, le tribunal correctionnel les condamne finalement en 2011, l’un à douze mois et l’autre à dix mois de prison ferme. Une peine inhabituellement sévère en cette matière. Mais ils font appel et évitent ainsi toute conséquence immédiate. Quand la cour d’appel s’apprête enfin à juger le dossier, dix ans se sont écoulés depuis les faits. Pendant ce temps, les prévenus ont continué, sans encombre, à gérer des sociétés de conseil financier, l’un depuis Monaco où il réside, l’autre depuis les Pays-Bas. Durant l’audience, un long débat s’engage sur les irrégularités relevées par l’administration des impôts. En revanche, pas un mot sur les rôles respectifs des deux hommes, sur leur situation personnelle, sur leur patrimoine (sans doute conséquent) ou sur la conscience qu’ils pouvaient avoir de la fraude. Pas une attention non plus pour les conseils qu’ils auraient pu recevoir ou pour ce que sont devenues les centaines de milliers d’euros envoyés en Hollande. L’audience pénale bégaye. « Rien de neuf sous le soleil », résume l’avocat du fisc. Puis, en moins d’une minute, le magistrat du parquet dresse le tableau de la fraude et, sans dire un mot des délinquants, requiert un an de prison ferme contre chacun d’eux. Après la plaidoirie de la défense, la greffière invite les parties à revenir le 25 octobre pour entendre la décision. Dans la salle des Pas-Perdus, les prévenus ont gardé leur air jovial. L’un des avocats glisse à son client : « Au 25 octobre, donc. » Et celui-ci de répondre, décontracté : « Non, désolé, je ne suis pas libre ce jour-là, je suis invité à un cocktail à La Haye. Mais on se tient au courant, on s’appelle. » La cour confirmera exactement les peines prononcées en première instance par le tribunal. Les prévenus, qui gagnent un répit en se pourvoyant en cassation, pourront de toute façon bénéficier d’aménagements de peine et éviter ainsi la prison. La justice passe. Cette affaire est symptomatique de la difficulté des tribunaux à sanctionner effectivement le délit de fraude fiscale. Pourtant, l’enjeu est de taille. Les sommes en cause donnent le vertige. Entre 60 et 80 milliards d’euros par an sont soustraits au budget de la France. Et le phénomène dépasse largement l’Hexagone. L’Europe se prive ainsi chaque année d’environ 1 000 milliards d’euros. Aux États-Unis, les services fiscaux évaluent le manque à gagner à 16 % des impôts fédéraux (soit environ 330 milliards de dollars par an). Contrairement à une vulgate largement répandue, la fraude fiscale n’est pas une réaction inévitable à la lourdeur des impôts : aucune corrélation avec les taux de prélèvements obligatoires ne peut être établie. De même, les États qui pratiquent un prélèvement à la source ne sont pas plus épargnés que ceux qui ont adopté ou conservé un système de paiement a posteriori1. À l’heure où les gouvernements exigent de leur population des efforts drastiques pour réduire dette et déficit, les sommes astronomiques ainsi détournées des caisses de l’État alimentent un sentiment d’injustice. L’ampleur de la fraude est d’autant plus durement ressentie que les coupables bénéficient d’une large impunité. En France, plusieurs affaires très médiatisées en ont été l’illustration ces dernières années. En 2009, le ministre de l’Économie, Éric Woerth, annonce uploads/Litterature/l-x27-impunite-fiscale-by-alexis-spire-katia-weidenfeld.pdf
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- Publié le Aoû 28, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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