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HAL Id: hal-00447783 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00447783 Submitted on 15 Feb 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La notion de force dans ”Faust I” de Goethe Bénédicte Abraham To cite this version: Bénédicte Abraham. La notion de force dans ”Faust I” de Goethe. Epistémocritique, épistémocritique : littérature et savoirs, 2009, epistemocritique.org. hal-00447783 1 La notion de force dans Faust I de Goethe - Bénédicte Abraham - Certains mots suscitent l’engouement d’une société à une époque déterminée, ils surgissent et connaissent un succès sémantique avant de disparaître au terme d’une période parfois éphémère ; bref, il existe une mode des mots. Il en est ainsi des termes de « force » et d’ « énergie » qui connurent en Allemagne, à la charnière des 18ème et 19ème siècles, une fortune sans précédent1 et dont la tragédie de Goethe, Faust I, peut constituer un exemple philosophique et littéraire. Dans cette œuvre maîtresse de l’auteur, dont la gestation longue et souvent difficile l’occupa pendant près de soixante ans et qui finit par paraître en 1808 chez l’éditeur Cotta, les occurrences du terme « Kraft » et de ses dérivés tels que « Drang », « Trieb », « Streben », « Tätigkeit » sont pléthore et autorisent, de ce fait, une lecture centrée sur leur analyse et le sens que ces différents termes prennent dans les moments textuels où ils surgissent. La pièce de Goethe apparaît sous cet aspect comme un texte où se fait jour le reflet de l’imprécision sémantique et scientifique de la notion de force2 qui ne se précisera que vers le milieu du 19ème siècle avec le mémoire de Hermann von Helmholtz Über die Erhaltung der Kraft, où l’on constate alors qu’elle rejoint sémantiquement la notion d’énergie, dont jusqu’en 1847, elle se distinguait3. 1 Concernant le succès sémantique des concepts de « force » et d’ « énergie », lire l’article de Roland Krebs « L’idée d’énergie dans l’esthétique du Sturm und Drang », in: Recherches Germaniques 26, 1996, p. 3 – 18. 2 Barbara Cassin : « A l’époque des Lumières, le vocabulaire concernant la force n’est pas encore fixé et il convient de prendre en compte de nombreux termes : en latin vis, virtus, potentia, mais aussi momentus ; en français, force, puissance, vertu, moment, action, effort, énergie, travail et pression et leurs équivalents dans les autres langues européennes » […] « L’indétermination de sens du mot « force » au sein de la tradition mécaniste du XVIIIè siècle et du début du XIXè, indétermination dont les physiciens d’avant 1847 ont eu pleinement conscience sans pouvoir en préciser la nature exacte (contrairement à nous qui avons été éduqués dans la stricte distinction des concepts de force et d’énergie, est particulièrement flagrante dans celles des « Lettres à une princesse d’Allemagne » qu’Euler consacre en 1760 à la question de la force », Dictionnaire européen des philosophies, Le Robert, Seuil, Paris 2004, p. 472 et p 460. Ulrike Zeuch: « Kraft » ist die unbestimmte Einheit aller seelischen Tätigkeiten », in: « Kraft » als Inbegriff menschlicher Seelentätigkeit in der Anthropologie der Spätaufklärung (Herder und Moritz) », Jahrbuch der Deutschen Schillergesellschaft, Alfred Kröner Verlag, Stuttgart 1999, p. 99 – 122 [p. 99]. 3 Barbara Cassin: « Force ». « Le mot d’avant 1847 (c’est-à-dire d’avant la publication du mémoire de Hermann von Helmholtz Über die Erhaltung der Kraft admet depuis deux traductions : force/force/Kraft (action dirigée produisant ou tendant à produire du mouvement, conformément aux lois de la dynamique de Newton) et énergie/energy/Energie (grandeur scalaire, c’est-à-dire non dirigée, obéissant à un principe métaphysique de conservation, au même titre que la « matière », Dictionnaire européen des philosophies, op. cit, p. 457. 2 Avant de « décrire la situation sémantique du mot »4 dans la tragédie de Goethe, il paraît nécessaire de revenir brièvement sur les définitions et l’histoire de cette notion « neuve » du 18ème siècle et d’en souligner la particularité toute allemande, à savoir que la force est, dans la langue allemande, indissociablement liée à l’effet qu’elle produit, à la réalisation efficace de son action5. Le concept de « Kraft » ne peut être pensé sans son concept corollaire, celui de « Wirkung » ; l’association de ces deux termes dans la tragédie de Goethe vient d’ailleurs par endroits le confirmer6. C’est dans la lecture des œuvres d’Aristote qu’il faut aller chercher les premières définitions du terme de « force » comme mouvement et la transition d’un sens physique originaire du concept7 à sa portée métaphysique8 : « La nature, phusis, dont traite la Physique se définit par le mouvement. Tous les êtres naturels, dit Aristote, ont en eux-mêmes immédiatement et par essence un principe de mouvement et de fixité […] Le mouvement, kinesis, ou, comme le dit aussi Aristote, le changement (metabolè), mot formé sur « ballô », « jeter, lancer » et « meta » qui indique le lieu ou le temps suivant […] C’est avec la définition générale du mouvement […] qu’interviennent l’énergie et la potentialité, ou plus littéralement, l’entéléchie9, entelekhia, et la puissance, dunamis […] La physique d’Aristote est ainsi d’emblée de part en part métaphysique […] C’est le passage de la puissance à l’acte, l’énergie de la puissance qui se déploie tout le temps de l’accomplissement qui constitue le mouvement, donc ni la potentialité pure et inactive, ni le résultat achevé. […] Aristote utilise alors les deux termes d’energeia (ou ergon, le « travail » et son produit, une faculté et sa mise en œuvre) et d’entelekheia, la « fin », terme et but pour désigner cette emprise progressive de la fin, 4 Michel Delon, L’idée d’énergie au tournant des Lumières (1770-1820), Presses Universitaires de France, Paris 1988, 521 pages, p. 21. 5 « Il semble d’ailleurs que le mot « Kraft » en allemand soit « immanquablement associé à « wirken », « Wirkung » (il suffit de lire les entrées correspondantes dans n’importe quel dictionnaire allemand : « Kraft » définit « Wirkung » et « Wirkung » définit « Kraft ») ; autrement dit, la langue allemande possède un mot pour désigner l’actualisation d’un pouvoir, d’une force, et ce mot fait défaut aux langues issues du latin […] Que le lien entre « action » et « force » n’ait rien d’évident en français ordinaire (il n’est ni nécessaire, ni suffisant d’être fort pour agir) est probablement dû à ce que le français n’a qu’un seul mot, « force », là où l’allemand – tout comme l’anglais, du fait de sa double origine latine et saxonne – possède « Kraft » et « Stärke » (force et strength), ce qui permet de distinguer pouvoir et vigueur », Dictionnaire européen…, p. 460 – 462. Peut-être peut-on alors risquer une lecture de la scène initiale, Nacht, comme le moment de crise d’un personnage dont la force, comprise ici au sens de ses pouvoirs et ses facultés ne trouve pas à s’incarner dans l’action, mais le condamne à une forme d’inertie et d’impasse. 6 Se reporter par exemple au vers 384 où il est question, comme en redondance, de « Wirkenskraft » ou aux vers 438 et 441 où un parallélisme existe entre l’expression « die Kräfte der Natur » et « die wirkende Natur ». 7 « La force est donc une vertu, une propriété des corps, un pouvoir qu’ils possèdent en raison même de leur qualité de corps. La force est une propriété de la matière. […] « Force. Cette notion fondamentale permet aujourd’hui de décrire l’action d’un corps sur un autre […], Dictionnaire européen des Lumières, PUF, Paris 1997, p. 460 et p. 471. 8 « Dans la Métaphysique d’Aristote, l’energeia fait couple avec la dynamis pour expliquer le mouvement à partir de l’opposition entre le possible et le réel, entre la puissance et l’acte » […] « extension de son usage dans le domaine humain pour désigner ce qui est force ou volonté », Dictionnaire européen des Lumières [sous la direction de Michel Delon], « Energie », p. 395 et 396. 9 Denise Blondeau définit Faust comme « l’homme-entéléchie », c’est-à-dire l’homme traversé de potentialités lui permettant de s’engager dans une voie de progrès. Se reporter à la note 76 pour la citation exacte. 3 de la réalisation de soi, qui mène au repos […] la dunamis est une notion souveraine et complexe. Elle signifie d’abord dès Homère la potestas, la force physique ou morale, le pouvoir des hommes ou des dieux, la puissance politique : […] le mot désigne alors une réalité efficace. Mais dunamis signifie aussi la potentia, c’est-à-dire un « pas encore uploads/Litterature/ la-notion-de-force-dans-faust-i.pdf
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- Publié le Dec 08, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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