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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 1989 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 13 nov. 2022 07:31 Études françaises La pierre dans la poésie de Ponge Marie-Thérèse Tcholakian Volume 25, numéro 1, été 1989 Clarice Lispector—Le souffle du sens URI : https://id.erudit.org/iderudit/035775ar DOI : https://doi.org/10.7202/035775ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Tcholakian, M.-T. (1989). La pierre dans la poésie de Ponge. Études françaises, 25(1), 89–113. https://doi.org/10.7202/035775ar La pierre dans la poésie de Ponge MARIE-THERESE TCHOLAKIAN Nomination poétique [...] pétrifiée1, manie pétrifiante, vertu pétrifiante, poésie aux fondations lapidaires*, autant de jugements qui, aussi bien chez les premiers critiques que chez Francis Ponge lui-même, font appel à la métaphore minérale pour 1. Jean-Paul Sartre, l'Homme et les choses (1944), Situations I, Paris, Gallimard, 1949, p. 245 à 293. Dans cette importante étude consacrée à F. Ponge tout juste après la publication, en 1942, du Parti pris des choses, la métaphore minérale apparaît fréquemment pour désigner le langage pétrifié, usé, que le poète entreprend de décrassfer] (p. 250). Mais le philosophe y a aussi recours pour signaler ce qu'il considère, de son point de vue, le matérialis- me de Ponge, le désir commun d'exister sur le type de Ven-soi qui fait penser à l'imper- turbabilité insensible du galet (p. 288), sa tendance à tout pétrifier, à tout minéraliser. Albert Camus de son côté voit l'expression de la pensée absurde dans ce qu'il nomme, chez Ponge, l'indifférence et le renoncement total — celui de la pierre [...], la nostalgie de l'immobilité. Voir «Lettre au sujet du Parti pris de Francis Ponge» (23 janvier 1943) dans Albert Camus, Essais, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 1665. Dans ces deux cas il faut noter la tentative de récupération philosophique [...] qui hypothéquera longtemps la critique signalée par Bernard Beugnot et Robert Mélançon dans «Fortunes de Ponge. Esquisse d'un état présent», Études fran- çaises, op. cité, p. 148 et 149. 2. Ponge voulant rendre hommage à René Leynaud, son camarade dans la Résistance, quitt[e] la grotte où se donne cours une manie trop pétrifiante (allusion à la perception que l'on a de son œuvre dans les années 45) pour que le poète ose y convoquer Vhomme (L 36). 3. Marcel Spada, Francis Ponge, Paris, Seghers, coll. «Poètes d'aujourd'hui», 1974, p. 12. L'auteur y emploie cet adjectif pour le remettre en question. 4. André Pieyre de Mandiargues, «Le Feu et la Pierre», dans un numé- ro d'hommage à Francis Ponge de la Nouvelle Revue française, n° 4, sept. 1956, Études françaises, 25, 1, 1989 90 Études françaises, 25, 1 caractériser l'œuvre de ce poète, son intérêt pour les choses et pour le langage — objet autant qu'instrument —, son refus du lyrisme, la rhétorique particulière des premiers écrits, courts, clos (Entr. 148)5, du Parti pris des choses. Mais plus qu'une image qui qualifie adéquatement une œuvre, la pierre est un thème central de la poésie de Ponge : outre les nombreux textes qui lui sont consacrés6, elle y apparaît comme image privilégiée. Le poète lui-même ne note-t-il pas : «Dans mes textes, pourquoi tou- jours tant de pierre ?» (Entr. 43.) Élément fondamental des déter- minations enfantines (Entr. 40), des paysages familiers peuplés de vestiges, elle matérialise les liens de Ponge avec la tradition latine, avec le prédécesseur qu'est Malherbe. Représentative du monde muet (Méth. 276) sur lequel porte le projet poétique qui entend débarrasser les objets des clichés qui ne servent que l'homme7, elle devient image de la poésie entendue au sens étymologique de création et des divers aspects de celle-ci. Pierre brute et rochers, galets et cailloux, cristaux ou gemmes, edifices de pierre ou monuments constituent des matériaux métaphoriques à travers lesquels le poète, se faisant tour à tour géologue, minéralogiste, lapidaire et architecte, édifie son art poétique et l'éclairé. La lecture de l'ensemble de l'œuvre confirme la place accordée à la pierre comme représentation de l'artiste, du poète, et de ses matériaux, les mots. Elle renvoie aussi bien à l'œuvre achevée qu'à la poésie «active» (Entr. 27) perçue comme recherche de la forme, comme pratique et «tra- vail» (Entr. 27), elle y apparaît enfin comme instrument de métamorphose. LA PIERRE ET LE PAYSAGE DE L'ENFANCE Bien que peu porté à la confidence et se gardant des effu- sions lyriques, au fil des pages de Pour un Malherbe*, non sans insistance, Ponge dessine le décor de son enfance. Deux paysa- ges s'y distinguent: le premier, méridional, lumineux; l'autre, celui de Normandie, pluvieux, gris et austère. Partout, dans ces lieux, des appareils de pierre (Entr. 43). p. 408. Le poète recourt à la métaphore de la pierre par opposition à celle du feu pour désigner la poésie seconde, perceptible dans les textes de Ponge où la réflexion sur le langage, la réaction des mots doublent et croisent la descrip- tion des objets. 5. Pour les sigles et abréviations par lesquels nous identifions les œuvres de Ponge, nous prions le lecteur de se reporter à la liste placée à cet effet, à la fin du présent article. 6. Le Galet (PPC), l'Introduction au galet (Pr), la Terre (P), l'Ode inachevée à la boue (P), l'Anthracite (P), Des cristaux naturels (Méth.), Matière et Mémoire (AC), le Pré (L), la Fabrique du pré. 7. Celui qui consite à dire : « Vous avez le cœur dur comme une pierre» (Méth. 276) par exemple. 8. Dans les Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers également. La pierre dans la poésie de Ponge 91 Dans le Midi, c'est la Fontaine de Nîmes (M 255), la Tour Magne (M 256), les Arènes (M 219), la grandeur rose et maïs des choses de la statuaire (M 255), les inscriptions sur les dalles et les stèles romaines (Entr. 41) dont s'imprègnent l'esprit et le cœur du poète. À Arles, les Alyscamps produisent sur l'enfant une impression inoubliable (T 36). Les tours massives, les petits pavés de mosaïque, les fines colonnes du pavillon du roi René s'offrent au regard à Aix avec, en arrière-plan, la masse calcaire marmorénne de Sainte-Victoire (L 57). Enfin, la Méditerranée où se concentre la Beauté, scintillant comme un tesson de mosaïque entre les oliviers (M 255), apparaît comme un élément fluide minéralisé qui s'harmonise avec les monuments légués par l'Histoire. A Caen, plus tard, la maison qui porte l'inscription : ICI NAQUIT MAL- HERBE EN 1555 (M 11), le lycée Malherbe (M 20) installé au moment où Ponge le fréquente dans les bâtiments de la gloriette à la belle pierre grise (M 219), constituent le paysage familier du poète écolier. Les souvenirs trouvent leurs points de repère dans les monuments de pierre, dans les détails architecturaux. Étroite- ment reliés à un climat, ceux-ci servent même à le qualifier9. Mais dans l'évocation qu'en fait le poète affleure bien plus que la nostalgie de l'enfance: appareils de pierre (Entr. 43) fortifient le sentiment de filiation à la tradition classique latine et à Malherbe (qui vécut lui aussi dans le Midi), concourent à orienter l'imaginaire de Ponge, à modeler sa sensibilité et son art poétique. LE PAYSAGE VISITÉ : VARIATIONS SUR LE THÈME DELAPIERRE Si l'enfance de Ponge se déroule à l'ombre de monu- ments de pierre, la description des paysages étrangers révèle, par le recours fréquent aux métaphores minérales, la sensibili- té du poète envers cette matière. Pochades en prose, journal que tient Ponge au cours d'un séjour en Algérie10, est l'occasion d'exercices d'écriture, de variations sur le thème de la pierre11. S'y distinguent déjà les registres suivants: la pierre brute, la roche ; la pierre fine ou gemme ; celle qui sert de matériau au bâtisseur et celle qui se donne à contempler. Le ciel d'Algérie, par ses teintes, sa lumière, est semblable à une grosse perle de nacre; là, il est couleur d'ardoise (ou d'argent niellé) (Méth. 58). Véritable chantier, il se dalle, se marquette, se 9. Par exemple, le climat (de l'abricot) [...] rappellerait plutôt celui de la tuile ronde, méditerranéenne ou chinoise (P 177). 10. En décembre 47 et janvier 48. Voir Méthodes, pages 47 à 96. 11. Entre autres; on y trouve également les images du coquillage, de la moule, du gâteau... 92 Études françaises, 25,1 pave, [...] se marbre, [...] se cimente, se géographise, se cartographise (Méth. 75). La matière minérale, élément privilégié de l'imagi- naire pongien, se voit convoquée pour rendre compte de l'élé- ment céleste. La Chiffa, cet oued que le poète observe au sortir de ses gorges (Méth. 58), d'un bleu-gris foncé (Méth. 58), a une texture un peu charnue et uploads/Litterature/ la-pierre-dans-la-poesie-de-ponge-marie-therese-tcholakian.pdf
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- Publié le Sep 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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