2006 ; 125, 7 : 245-251 245 LA PSYCHOGÉNÉALOGIE : À LA RECHERCHE DES RACINES FA
2006 ; 125, 7 : 245-251 245 LA PSYCHOGÉNÉALOGIE : À LA RECHERCHE DES RACINES FAMILIALES DE LA MALADIE Mots-clefs : transmission psychique, répétitions transgénérationnelles, nomination et filiation, non-dits et secrets de famille, enfant de remplacement V. ROOBAERT Correspondance Dr V. Roobaert E-Mail : virginie.roobaert@skynet.be « Les parents ont mangé des raisins verts et les dents des fils sont agacées ». (Bible : Ezéchiel 18.2 ou Jeremie 31.29). L’intérêt pour la généalogie connaît de nos jours un regain sans précédent. De l’avènement de la thérapie familiale au culte des ancêtres, tout un faisceau de données nous pousse à prendre conscience du rôle crucial que notre ascendance joue dans notre vie. Avant notre naissance, nous nous trouvons au cœur des programma- tions familiales, nous avons dû inconsciemment les accepter, comme un contrat sine qua non. Cependant, elles vont souvent à l’encontre de qui nous sommes vraiment. Par la suite, nous répé- tons avec nos proches, conjoint, enfants, des scénarios qui ne cor- respondent pas à notre « moi » profond. Il s’ensuit beaucoup de frustrations et de souffrances incomprises, parfois à la base de réelles décompensations psychologiques ou psychosomatiques. Quant aux « syndromes d’anniversaire » ou « répétitions trans- générationnelles », ce sont des indicateurs qui nous disent de qui nous reproduisons le programme, ou de quelle personne nous recopions le vécu parmi nos ascendants. Que reste-t-il alors du libre arbitre? Tout… Parce que le choix nous est donné de nous libérer de la répétition pour naître à notre propre histoire en nous dégageant de notre passé transgénérationnel. RÉSUMÉ INTRODUCTION Il me semble important de repréciser, avant toute chose, le contex- te spécifique dans lequel s’inscrit toute société humaine: elle se carac- térise, en effet, par un développement singulier des relations sociales, que soutiennent des capacités exceptionnelles de communication mentale, et corrélativement, par une économie paradoxale des instincts. Des comportements adaptatifs d’une variété infinie sont donc permis. Leur conservation et leur progrès sont avant tout œuvre collective et constituent la culture; celle-ci introduit une nouvelle dimension dans la réalité sociale et dans la vie psychique. Cette dimension spécifie la famille humaine comme, du reste, tous les phé- nomènes sociaux chez l’homme. Dans ce contexte, nous observons actuellement une recrudescence des interrogations autour des socié- tés traditionnelles, les tensions, les agressions dans les rapports indi- V. Roobaert 246 viduels et l’apparition d’un individualisme «négatif»à base de distance et de méfiance envers l’autre et envers tout engagement susceptible de faire lien. Le lien devient problématique en tant que lien: non pas qu’il soit récusé au nom d’une toute puissance de l’ego mais il suscite simple- ment méfiance et peur. Méfiance de tout ce qui peut fragiliser son identité et peur de l’exclusion, de la stigmatisation. En parallèle, nous assistons à un formidable mouvement visant à rechercher ses repères, ses racines comme pour contrer l’incerti- tude de l’avenir, l’inquiétude quant à sa place dans cette société hypermoderne. L’engouement pour la généalogie, observée depuis la fin des années 1980, ne faiblit pas et traduit ce besoin d’assumer ses racines en pleine période d’éclate- ment de la famille. Entendue au sens large de la santé mentale, la généalogie (d’étymologie grecque : science des origines) peut aussi se révé- ler salvatrice. Françoise Dolto (1) avait déjà insis- té sur le fait que pour être en mesure d’imaginer et de construire un projet singulier, il importait que nous soyons au clair sur notre filiation, notre généalogie et nos divers héritages. Peu à peu, se développa donc la psychogénéalogie avec les théories de Anne Ancelin Schützenberger (2): « nous ruminons l’histoire inachevée de notre vie mais aussi celle de nos ancêtres. La psychogénéa- logie est là pour identifier certains faits mar- quants de leur existence pour mieux les surmon- ter afin de ne pas répéter les mêmes erreurs ». Je me propose donc de faire un rapide état des lieux de la question à la lumière des différentes théories existantes et de les illustrer d’une vignette cli- nique. HISTORIQUE ET DÉFINITIONS Il n’existe pas de tradition dans laquelle le transgénérationnel ne soit pas central. A commencer par l’un des livres fondateurs de notre civilisation: la Bible. Le dieu biblique y est défini comme ayant en charge « les fautes des pères » (Exode 20, 5-6) : « …Ces fautes seront transmises sur trois ou quatre générations ». Les féticheurs d’Afrique, d’Indonésie ou d’Amérique du sud, savent reconnaître ce qu’ils appellent: la « maladie des ancêtres ». La loi généalogique et le rapport aux ancêtres définissent les liens, les droits, les devoirs et les identités qui structurent chaque être humain. Freud, quant à lui, parle « d’âme col- lective » (Totem et tabou, 1912): « Nous postulons l’existence d’une âme collective(...) et la possibilité qu’un sentiment se transmette de générations en générations en se rattachant à une faute dont les hommes n’ont plus conscience ni le moindre sou- venir, évoquant la possibilité d’une transmission par un inconscient reliant les membres d’une même famille ». Jung complète les travaux de Freud par la mise en évidence de synchronies et de ce qu’il appelle « l’inconscient collectif ». Pour lui, l’inconscient collectif est l’ensemble des images et des motifs qui symbolisent les instincts fondamen- taux de l’homme. Il se manifeste sous forme d’ar- chétypes, c’est-à-dire d’images anciennes que l’on retrouve dans les mythes et légendes (dragons, paradis perdu,..) et qui seraient communes à toute l’humanité. Ces archétypes se manifestent dans les rêves, les délires et les arts picturaux. Jung précise que cet inconscient collectif sous-tend une certaine hérédité. Dans « Psychologie de l’inconscient » (1913) (5), il écrit: « Je n’affirme nullement la trans- mission héréditaire des représentations mais uni- quement la transmission héréditaire de la capacité d’évoquer tel ou tel élément du patrimoine repré- sentatif ». Par la suite, Moreno pose le postulat du co-inconscient familial ou groupal (7). A la même époque, dans les années 1960-1970, F. Dolto, N. Abraham, ainsi que I. Boszormenyi-Nagy se posent le problème complexe de la transmission transgénérationnelle de conflits non résolus, de secrets, de non-dits de morts prématurées, etc. Cette découverte, à pas furtifs, du langage des inconscients qui communiquent à leur façon fut exploré grâce à l’utilisation du génosociogramme. Ce dernier, beaucoup plus subjectif que l’arbre généalogique classique, tient compte des informa- tions officielles mais aussi de l’histoire telle qu’elle est parvenue jusqu’à l’individu: il reflète les secrets de familles, les rajouts, les schémas répétitifs et les fantômes et constitue donc une riche source d’hy- pothèses sur la manière dont un problème psycho- logique ou psychosomatique peut être relié au contexte familial. Il s’établit sur au moins cinq générations et ne se limite donc pas à la filiation directe mais s’étend à toutes les personnes ayant joué un rôle dans l’histoire familiale aux yeux du patient. Montrant alors comment nous « payons les dettes » du passé de nos aïeux en intégrant leurs modèles selon une « loyauté invisible », il nous invite à sortir de l’identification. CONCEPTS THÉORIQUES FONDATEURS LOYAUTÉ FAMILIALE INVISIBLE Un premier concept important en psychogé- néalogie est celui de loyauté familiale invisible intimement lié à celui de justice familiale. Il a été développé par Ivan Boszormenyi-Nagy ( psycha- nalyste et systémicien hongrois) (8,9) en 1973. Pour lui, au sein de la famille, chacun entretient une comptabilité subjective de ce qu’il a donné et reçu dans le passé et dans le présent, et de ce qu’il donnera et recevra dans le futur. Il y aurait, dans chaque famille, des règles de loyauté inconscien- tes qui fixeraient la place et le rôle de chaque membre et ses obligations familiales. Quand les attentes sont peu claires ou totalement contradic- toires, la personne ne peut se situer dans un choix clair et il manifestera alors sa loyauté sous une forme invisible. Très souvent, on observe d’ailleurs que les personnes sont plus loyales envers celui ou celle avec qui elles luttent ouver- tement. Le conflit de loyauté renvoie à une situa- tion où la personne est tiraillée entre deux objets de loyauté compétitifs mais pas exclusifs. A chaque moment décisif de la vie (maternité, mariage, choix d’une profession...), les anciennes et les nouvelles loyautés doivent trouver un équi- libre: on doit s’évertuer à trouver des compromis adaptés à la phase vitale car s’il est impossible d’être ouvertement loyal envers ses origines, ces liens chercheront une autre voie pour s’exprimer. « On peut dire que l’individu est toujours loyal envers ses origines, s’il ne peut pas l’être ouverte- ment, il le sera de façon voilée: la loyauté se mani- feste alors par des symptômes ». Anne Ancelin Schützenberger parle elle « du grand livre des comptes de la famille ». Pour elle, l’acquittement des dettes familiales est très souvent transgénéra- tionnel et ces règles de loyauté sont dites invisi- bles car elles sont inconscientes. La loyauté invisi- ble entre les générations peut se marquer par la répétition d’un même rôle, d’une même condition sociale, d’un même problème non résolu, comme si nous étions loyal envers quelqu’un parce que nous prenons le même relais qu’un ancêtre. uploads/Litterature/ la-psychogenealogie-a-la-recherche-des-racines-familiales-de-la-maladie.pdf
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- Publié le Aoû 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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