Mes souvenirs ÉDITIONS DU BOUCHER ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN CONTRAT DE LICENCE
Mes souvenirs ÉDITIONS DU BOUCHER ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN CONTRAT DE LICENCE — ÉDITIONS DU BOUCHER Le fi chier PDF qui vous est proposé est protégé par les lois sur les copyrights & reste la propriété de la SARL Le Boucher Éditeur. Le fi chier PDF est dénommé « livre numérique » dans les paragraphes qui suivent. Vous êtes autorisé : — à utiliser le livre numérique à des fi ns personnelles. 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Dans sa présentation, Ambroise Tardieu rappelait les circons- tances de la découverte du manuscrit et justifiait ainsi ses choix éditoriaux… « Dans une des plus pauvres mansardes du quartier latin, à Paris, au commencement de l’année 1868, un jeune homme se donnait la mort (…) M. le docteur Régnier, médecin de l’état civil, et le commissaire de police du quartier, s’étant rendus au domicile de ce malheureux, après avoir constaté le décès et aussi l’anomalie physique que présentaient certaines parties du corps, trouvèrent sur une table une lettre écrite par lui et adressée à sa mère dans laquelle il lui demandait pardon (…) Outre cette lettre, le jeune homme laissa un manuscrit dans lequel il racontait sa triste vie. Les pages qui vont suivre en sont textuelle- ment extraites… Je reproduirai ici le manuscrit presque en entier et tel qu’il m’a été transmis. Je retrancherai seulement les passages qui allongent le récit sans ajouter un intérêt, mais partout je respecterai la forme qui a un cachet particulier de sincérité et d’émotions saisissantes. Je ferai MES SOUVENIRS 4 remarquer que l’auteur a déguisé seulement les noms propres et les lieux; les faits et les impressions restent absolument vrais… Les mots imprimés ici en italique sont soulignés dans le manuscrit, car l’auteur a mis une visible affectation à parler tantôt de lui au masculin, tantôt au féminin. » ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN 5 J’ai vingt-cinq ans, et, quoique jeune encore, j’approche, à n’en pas douter, du terme fatal de mon existence. J’ai beaucoup souffert, et j’ai souffert seul! seul! abandonné de tous! Ma place n’était pas marquée dans ce monde qui me fuyait, qui m’avait maudit. Pas un être vivant ne devait s’associer à cette immense douleur qui me prit au sortir de l’enfance, à cet âge où tout est beau, parce que tout est jeune et brillant d’avenir. Cet âge n’a pas existé pour moi. J’avais, dès cet âge, un éloi- gnement instinctif du monde, comme si j’avais pu comprendre déjà que je devais y vivre étranger. Soucieux et rêveur, mon front semblait s’affaisser sous le poids de sombres mélancolies. J’étais froide, timide, et, en quelque sorte, insensible à toutes ces joies bruyantes et ingénues qui font épanouir un visage d’enfant. J’aimais la solitude, cette compagne du malheur, et, lorsqu’un sourire bienveillant se levait sur moi, j’en étais heureuse, comme d’une faveur inespérée. Comme mon enfance, une grande partie de ma jeunesse s’écoula dans le calme délicieux des maisons religieuses. Des maisons véritablement pieuses, des cœurs droits et purs présidèrent à mon éducation. J’ai vu de près ces sanctuaires bénis où s’écoulent tant d’existences qui, dans le monde, eussent été brillantes et enviées. MES SOUVENIRS 6 Les modestes vertus que j’ai vu briller n’ont pas peu contribué à me faire comprendre et aimer la religion vraie, celle du dévoue- ment, et de l’abnégation. Plus tard, au milieu des orages et des fautes de ma vie, ces souvenirs m’apparaissaient comme autant de visions célestes, et dont la vue fut pour moi un baume réparateur. Mes seules distractions, à cette époque, furent les quelques jours que j’allais passer chaque année dans une noble famille, où ma mère était traitée en amie bien plus qu’en gouvernante. Le chef de cette famille était l’un de ces hommes mûris par les malheurs d’une époque sinistre et désastreuse. La petite ville de L… où je suis née possédait et possède encore un hospice civil et militaire. Une partie de ce vaste établis- sement était affectée spécialement au traitement des malades des deux sexes, nombre toujours considérable auquel, comme je l’ai dit, venait se joindre celui non moins grand que fournissait la garnison de la ville. L ’autre partie de la maison appartenait tout entière à la jeu- nesse orpheline et abandonnée qu’une naissance, presque tou- jours le fruit du crime ou du malheur, a laissée sans soutien dans ce monde. Pauvres êtres, frustrés dès le berceau des caresses d’une mère! Ce fut dans cet asile de la souffrance et du malheur que je passai quelques années de mon enfance. J’ai à peine connu mon malheureux père, qu’une mort fou- droyante vint ravir trop tôt à la douce affection de ma mère, dont l’âme vaillante et courageuse essaya vainement de lutter contre les envahissements terribles de la pauvreté qui nous menaçait. Sa situation avait éveillé l’intérêt de quelques nobles cœurs; on la plaignit vivement, et bientôt des offres généreuses lui furent faites par la digne supérieure de la maison de L… Grâce à l’influence d’un administrateur, membre distingué du barreau de la ville, je fus admise dans cette sainte maison, où je devins l’objet de soins tout particuliers, bien que je vécusse parmi les enfants sans mère, élevées dans ce touchant asile. J’avais alors sept ans, et j’ai encore présente à l’esprit la scène déchirante qui y précéda mon entrée. Le matin de ce jour j’ignorais absolument ce qui allait se passer quelques heures après mon lever; ma mère m’ayant fait ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN 7 sortir comme dans un but de promenade, me conduisit en silence à la maison de L… où m’attendait la digne supérieure; elle me prodigua les plus affectueuses caresses, pour me cacher sans doute les larmes que répandait en silence ma pauvre mère qui, après m’avoir longtemps embrassée, s’éloigna tristement, sentant que son courage était épuisé. Son départ me serra le cœur, en me faisant comprendre que, désormais, j’appartenais à des mains étrangères. Mais à cet âge les impressions durent peu, et ma tristesse céda devant les distractions nouvelles qui me furent offertes dans ce but. Tout m’étonna d’abord; la vue de ces vastes cours, peuplées d’enfants ou de malades, le silence religieux de ces longs corri- dors troublé seulement par les plaintes de la souffrance, ou le cri d’une agonie douloureuse, tout cela m’émut le cœur, mais sans m’effrayer pourtant. Les mères qui m’entouraient, offrant à mes regards d’enfant leur sourire d’ange, semblaient tant m’aimer! J’étais sans crainte à leurs côtés, et si heureuse lorsque l’une d’elles, me prenant sur ses genoux, m’offrait à baiser son doux visage! Je vis bientôt mes jeunes compagnes, et je les aimai bien vite. De leur part aussi, je me sentais l’objet d’une prédilection presque respectueuse, tant les pauvres enfants comprenaient combien leur sort différait du mien. J’avais, moi, une famille, une mère, et plus d’une fois j’excitai leur envie. Je le compris mieux plus tard. Une querelle d’enfant s’éleva entre nous, je ne me rappelle plus pourquoi l’une d’elles, celle que j’affectionnais le plus, me reprocha amèrement de partager un pain qui n’était pas fait pour moi. Je passe rapidement sur ces premiers temps de ma vie que nul incident sérieux ne vint attrister. Un jour que, selon mon habitude, j’avais visité quelques malades indigents de la ville, la bonne sœur M… que j’accompa- gnais dans ces pauvres demeures, et dont, je dois le dire, j’étais l’enfant gâtée, me prévint que j’allais être confiée désormais à d’autres soins. Elle avait obtenu, grâce à son influence générale- ment reconnue, que je fusse placée au couvent des Ursulines pour y faire ma première communion et recevoir en même temps une éducation plus soignée. Mon premier mouvement, je l’avoue, fut tout à la joie. La bonne religieuse le vit sans doute, MES SOUVENIRS 8 car sa noble physionomie exprima une sorte de tristesse jalouse que j’attribuai, non sans raison, à la vivacité de son affection pour moi. « Là, me dit l’excellente femme, vous partagerez l’existence de jeunes filles riches et nobles pour la plupart. Vos compagnes d’études et de jeux ne seront plus les enfants sans nom avec les- quelles vous avez vécu jusqu’à ce jour, et vous oublierez bientôt sans doute celles qui ont remplacé votre mère absente. » Je l’ai déjà dit, je crois, j’aimais particulièrement la bonne sœur M…, et je ne pus l’entendre m’accuser ainsi sans en être profondément uploads/Litterature/adelaide-herculine-barbin-mes-souvenirs.pdf
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- Publié le Jan 02, 2023
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