253 artigo LA RÉCEPTION LITTÉRAIRE TRANSNATIONALE TRANSNATIONAL LITERARY RECEPT
253 artigo LA RÉCEPTION LITTÉRAIRE TRANSNATIONALE TRANSNATIONAL LITERARY RECEPTION Joseph Jurt* Introduction Le fait littéraire est constitué par trois éléments: le texte, sa production et sa réception. La critique littéraire a cependant à tour de rôle priviligié un de ces trois éléments. 1. Le textualisme En Allemagne, par exemple, a prévalu après 1945 une approche immanente de la littérature, qui s’en tenait aux seules structures des textes et notamment aux procédés narratifs.1 La théorie des formes littéraires, développée en France notamment par Roland Barthes et Gérard Genette, s’inspirant de l’approche structuraliste, s’en tenait également au seul texte et à sa dimension synchronique. Barthes défendait à son tour la thèse de l’imperméabilité entre l’histoire et les œuvres. Paul Dirkx (2000; 2004) a parlé à juste titre de ‘textualisme’. Si la poétique structurale s’était intéressée exclusivement aux systèmes et fonctions des formes s’en tenant à la stricte clôture du texte, on commençait pourtant dès le début des années soixante-dix à introduire ce que Louis Hay appela la troisième dimension du texte, c’est-à-dire la relation qu’entretiennent les œuvres modernes avec leur propre temporalité d’apparition en étudiant le processus générateur à travers une analyse de manuscrits. * Professeur au Frankreich-Zentrum der l’université Albert Ludwig de Fribourg en Allemagne (Freiburg/ DE). E-mail: joseph.jurt@romanistik.uni-freiburg.de 1. Voir Jurt (1989). 254 Repocs, v.17, n.34, jul./dez. 2020 2. Génétique textuelle Ainsi s’est constituée la critique génétique. Après l’obsession synchronique de la forme, on commença à s’intéresser au déroulement diachronique. Cette évolution s’était déjà annoncé dans les derniers écrits de Roland Barthes, par exemple dans son article sur “théorie du texte”, paru en 1985 dans L’Encyclopedia universalis, où il admettait aussi l’historicité génétique au texte. Cette nouvelle démarche a été initiée en 1977 par le livre de Jean Bellemin-Noël Le texte et l’avant-texte qui, à travers une analyse des esquisses d’un poème de Milosz, plaidait une “poétique de brouillons”. Tout en maintenant une théorie de structurale du texte, il se concentra sur la textualité spatio-temporelle sans recourir pourtant à un sujet producteur ou récepteur. La critique génétique s’est constituée dans la suite comme un paradigme important des recherches littéraires en France. La génétique textuelle, en revendiquant la théorisation d’une dimension historique, à l’intérieur même de l’écrit, remarque à juste titre Pierre Marc de Biasi, introduit donc “ce qui faisait le plus cruellement défaut aux analyses formelles: l’étendue inexploré d’un nouvel objet structuré par le temps” (BIASI, 1985, p. 468). La critique génétique cherchera donc à définir selon Jacques Neefs “dans les états successifs ou concurrents d’un ensemble d’écrits, les relations significatives d’une activité crátrice, et à élaborer une ‘poétique de l’écriture” (1990, p. 22). La critique génétique s’efforce de saisir la genèse des textes à travers une transcription et un examen minutieux de tous les états des manuscrits des écrivains auxquels on attribue un statut esthétique spécifique et non seulement celui d’un simple ‘matériau’. La critique génétique est devenu un paradigme critique très important.2 Jaques Neefs a cependant radicalement distingué la critique génétique qui s’attache à la textualité en mouvement d’une œuvre par l’étude de ses avant-textes, des broullions, de ses versions diverses de la notion du ‘génétique’ telle qu’elle apparaît depuis Lucien Goldmann, dans les méthodes sociologiques du “structuralisme génétique” (NEEF, 1990, p. 23). 3. Génétique sociale On reconnaîtra que ce génétisme, qui établit des rapports d’homologie entre la structure des contenus des oeuvres et la vision du monde élaborée par la conscience collective d’un groupe social, déterminé lui-même par la situation sociale, politique, économique donnée, opère d’une manière assez mécanique et réductrice. Le caractère réducteur de ce modèle génétique ne peut pourtant pas être une raison pour évacuer totalement toute explication de type social. Il y a des modèles d’explication sociale plus fins que celui du structuralisme génétique goldmannien qui tiennent compte notamment d’un fait extrêmement important: l’autonomisation de la production culturelle au cours du XIXe siècle. Je pense, évidemment, à la théorie du champ littéraire. Pierre Bourdieu estime ainsi que l’analyse des versions successives d’un texte “revêtirait sa pleine force explicative si elle visait à reconstruire [...] la logique du travail d’écriture entendu comme recherche 2. Voir Hay (1993). La réception littéraire transnationale 255 255 accomplie sous la contrainte structurale du champ et de l’espace des possibles qu’il propose” (BOURDIEU, 1992a, p. 277). On comprendrait, selon lui, mieux: les hésitations, les repentirs, les retours si l’on savait que l’écriture, navigation pérille- use dans un univers de menaces et de dan- gers, est aussi guidée, dans sa dimension né- gative, par une connaissance anticipée de la réception probable, inscrite à l’état de po- tentialité dans le champ; que [...] l’écrivain tel que le conçoit Flaubert est celui qui s’aventure hors des routes balisées de l’usage ordinaire et qui est expert dans l’art de trou- ver le passage entre les périls que sont les lieux communs, les ‘idées reçues’, les formes convenues. (BOURDIEU, 1992a, p. 277-278) La génétique textuelle et la génétique sociale ne me semblent donc pas comporter de rapports d’exclusion, mais de complémentarité3. Cette complémentarité entre génétique textuelle et génétique culturelle a ainsi été démontrée par Henri Mittérand relevant, à propos des textes de Zola, que dans les premières lignes d’une ébauche écrites dans une relative spontanéité se révélait le contact le plus direct avec le discours social, que Zola partait des conceptions collectives de la doxa contemporaine et qu’à travers le processus de l’écriture, les oeuvres se transformaient d’objets en sujets. A travers la dynamique de l’écriture, cette interaction entre social et esthétique serait donc parfaitement saisissable (MITTERAND, 1989). Ce qui frappe de toute évidence c’est la mise en valeur, de part et d’autre, de la dimension génétique. Pierre Bourdieu, en appelle à ce qu’on travaille “de manière concertée [...] pour s’atteler à une vraie théorie de la production littéraire” (BOURDIEU, 1992b, p. 111). Le terme de genèse apparaît déjà dans le sous-titre de son ouvrage. La finalité de l’analyse scientifique c’est, à ses yeux, “de porter au jour ce qui rend l’oeuvre d’art nécessaire, c’est-à-dire la formule informatrice, le principe générateur [...]” (BOURDIEU, 1992a, p. 14). À travers le personnage de Frédéric de L’Education sentimentale et la description de sa position dans l’espace social, Flaubert livre, d’après Pierre Bourdieu, “la formule génératrice qui est au principe de sa propre création romanesque” (BOURDIEU, 1992a, p. 55). Seule une analyse de la genèse du champ lit- téraire dans lequel s’est constitué le projet flaubertien peut conduire à une compréhen- sion véritable et de la formule génératrice qui est au principe de l’oeuvre et du travail grâce auquel Flaubert est parvenu à la mettre en oeuvre, objectivant, dans le même mouve- ment, cette structure génératrice et la struc- ture sociale dont elle est le produit. (BOUR- DIEU, 1992a, p. 76) La dimension sociale qui peut expliquer la genèse d’une œuvre littéraire ou picturale n’est pas pour Bourdieu la société globale, mais le champ littéraire ou artistique qui est le produit d’un processus historique et qui se définit par une autonomie (relative) par rapport aux champs politiques ou économiques. C’est un “univers social qui est le monde des peintres, des critiques, des artistes, etc., qui obéit à des lois sociales, à des lois de fonctionnement, à l’intérieur duquel le peintre est lui-même inséré et à 3. Voir à ce sujet Jurt (2007; 2015). 256 Repocs, v.17, n.34, jul./dez. 2020 l’intérieur duquel il travaille”, écrit Bourdieu au sujet de Manet. Lorsqu’il [Manet] peint, par exemple, il n’est pas tout seul en face de son tableau: “il a dans la tête d’autres peintres du passé et du présent, et aussi un public, celui auquel s’adresse son tableau” (BOURDIEU, 2013, p. 403). Ce n’est donc pas le champ seul qui conditionne l’acte de la production de l’œuvre. Il y a une interaction entre l’auteur doté d’un capital (culturel, social et économique) spécifique et de dispositions qui lui sont propres: “Les dispositions sont cet ensemble de manières d’être permanentes que chacun de nous a acquises de son univers social, c’est-à-dire schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui sont des principes générateurs unitaires et systématiques de pratiques, d’œuvres, d’expression en général” (BOURDIEU, 2013, p. 451). Quand on compare champ littéraire et champ artistique, on peut relever un certain nombre d’invariants qui transcendent les deux champs.4 Parmi ces invariants il faut compter le caractère des produits culturels définis par Pierre Bourdieu comme ‘biens symboliques’ se distinguant par leur double nature (signification et marchandise). La valeur symbolique des produits culturels n’existe pas en tant que telle; les objets matériels créés par l’artiste ou l’écrivain ne deviennent œuvres d’art que lorsqu’ils sont reconnus en tant que tels – par des instances de sélection et de consécration compétentes. Une sociologie de l’art et de la littérature ne peut donc se contenter d’envisager les producteurs directs des œuvres dans leur matérialité comme les seuls constituants de l’œuvre; elle doit tenir compte également de ceux qui créent le sens et la valeur sociale de l’œuvre: les critiques, les éditeurs, les directeurs de galeries, les membres des instances de consécration, les Académies, les salons, les jurys et l’ensemble des personnes qui uploads/Litterature/ la-reception-litterai.pdf
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- Publié le Oct 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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