LA SAVEUR DE L'ESSAI : PROUST ET L'ESSAI FICTIONNEL Vincent Ferré Le Seuil | «
LA SAVEUR DE L'ESSAI : PROUST ET L'ESSAI FICTIONNEL Vincent Ferré Le Seuil | « Poétique » 2009/2 n° 158 | pages 201 à 213 ISSN 1245-1274 ISBN 9782020987264 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-poetique-2009-2-page-201.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Vincent Ferré, « La saveur de l'essai : Proust et l'essai fictionnel », Poétique 2009/2 (n° 158), p. 201-213. DOI 10.3917/poeti.158.0201 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. 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Si la plupart des critiques proustiens perçoivent les passages théoriques d’ A la recherche du temps perdu – en particulier « L’Adoration perpétuelle », dans Le Temps retrouvé, ou les développements de Sodome et Gomorrhe sur l’inversion – comme des moments contrastant fortement avec la diégèse, ils les désignent indifférem- ment par de nombreux vocables et les considèrent simplement comme non fic- tionnels. L’attention des commentateurs se concentre de préférence sur les effets produits par l’insertion de ces passages, sur le rapport avec les théories proustiennes du Contre Sainte-Beuve, avec celles de philosophes antérieurs ou contemporains, sans s’interroger directement sur le statut des séquences théoriques, sur leur nature, qui semblent aller de soi. La confusion qui règne dans la manière de désigner les théories de la Recherche devrait pourtant attirer notre attention : ainsi, une critique considère qu’un voyage en chemin de fer entraîne une « méditation sur l’oubli », des « réflexions », une « charmante variation sur l’idéalisme subjectif procuré par l’ivresse1 » ; un autre souligne l’importance de « l’essai » dans ce roman, mais son analyse repose sur une association très large entre l’« essai » et la « philosophie », la « méditation » ou encore la conscience réflexive de l’œuvre en train de s’écrire, etc.2. Pour ne citer qu’un nom, Jean-Yves Tadié se demande, dans une des premières études consacrées aux « lois », si Proust n’est pas « déchiré en deux, romancier, et moraliste » ; il élargit cette notion au « recours à l’abstraction, [à] la généralité », avant de parler de « vérités d’une valeur esthétique inférieure » pour désigner les « lois » proustiennes, et de présenter « l’Adoration perpétuelle » ainsi que les pages finales du Temps retrouvé 3 comme des « textes doctrinaux4 ». On pourrait aisément multiplier les exemples5, tous aussi révélateurs, tant cette fausse évidence est partagée chez les critiques proustiens. C’est ce caractère évident qui mérite notre attention. Si l’on s’intéresse à la nature des passages théoriques présents dans la Recherche, on peut tout d’abord se demander comment les nommer. Est-il Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.203.174.255 - 02/09/2017 18h35. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.203.174.255 - 02/09/2017 18h35. © Le Seuil 202 Vincent Ferré légitime de parler à leur égard de philosophie ou d’essai, et pourquoi considérer comme tels certains passages, à l’exclusion d’autres ? Il est frappant de constater l’absence de réelle discussion de cette assimilation, ou encore de leur statut (non fictionnel donc, selon les commentateurs), alors que celui de l’œuvre elle-même a fait l’objet d’un débat (la Recherche est-elle un roman ? une autofiction ?). C’est en particulier la référence à l’essai qui sera mise ici à l’épreuve. Les diffé- rences entre les passages essayistiques – c’est-à-dire présentés par la critique comme relevant de « l’essai6 » – et le récit fictionnel permettent-elles de conclure à la pré- sence d’un autre genre, au sein d’ A la recherche du temps perdu ? Cet examen ne fait-il pas apparaître des limites dans l’identification générique ? Inversement, les écarts observables entre ces passages et les articles publiés par Proust, ou ses pré- faces, sans parler des textes du Contre Sainte-Beuve, ne sont-ils pas dus au statut des séquences théoriques, incluses dans un roman ? Les passages évoquant l’essai n’ont-ils pas alors, dans la fiction romanesque, une nature autre que celle des essais publiés séparément ? Répondre à ces questions, et réfléchir à l’emploi du terme d’essai, demande de clarifier la nature du lien qui unit ces passages à la diégèse, dans A la Recherche du temps perdu, en examinant tout d’abord, jusqu’à son terme logique, l’hypothèse selon laquelle ces passages échapperaient à la fiction ; et en envisageant le rappro- chement avec l’essai. On verra qu’un certain nombre de difficultés sont générale- ment ignorées : ainsi, comment concilier l’assimilation à l’essai avec le statut du je du narrateur, avec la convergence (sémantique) imparfaite des passages diégétiques et théoriques, ou encore avec la présence des « lois » (et maximes), souvent confon- dues avec « l’essai » ? Tire-t-on toutes les conséquences de l’inclusion de ce dernier dans un cadre fictionnel ? Faut-il alors parler d’essai, ou ces passages ne relèvent-ils pas plutôt d’une forme fictionnelle rappelant l’essai, à l’intérieur du roman, et pro- duisant un « effet théorique » ? Une fausse évidence : essai et théorie Quel « essai » ? La plupart des commentateurs – adoptant des approches aussi variées que peu- vent l’être celles d’Anne Henry, Jean-Yves Tadié, Walter Benjamin ou Antoine Compagnon – soulignent l’hétérogénéité d’ A la recherche du temps perdu, et en particulier du Temps retrouvé, en la reliant à la présence de théorie(s) dans l’œuvre, qui dépasserait l’horizon d’attente d’un lecteur de roman, selon une conception répandue7. Au-delà de la diversité des termes employés, le rapprochement le plus fréquent8 est l’assimilation de cette théorie à de l’essai. Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, rappelons la formule de Gérard Genette, évoquant dans Figures III l’« invasion de l’histoire par le commentaire, du roman par l’essai, du récit par son Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.203.174.255 - 02/09/2017 18h35. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.203.174.255 - 02/09/2017 18h35. © Le Seuil La saveur de l’essai : Proust et l’essai fictionnel 203 propre discours9 ». Répétée fréquemment, et de manière plus ou moins consciente, cette identification à l’essai est en réalité contemporaine de la parution de l’œuvre proustienne : comme le montre le volume d’hommage publié par la NRF en 1923, quelques mois après sa mort, Proust a rapidement été comparé à Montaigne, figure tutélaire du genre. Il importe toutefois de ne pas se contenter d’une idée vague de ce qu’est l’essai à l’époque de Proust, ou (ce qui revient parfois au même) d’une représentation non historicisée du genre, qui apparaît souvent aussi vague que celle du roman, et se dilue pour finir par être synonyme de toute forme de pensée présente dans l’œuvre romanesque. Lorsque Proust écrit la Recherche, un essai au sens strict (c’est-à-dire publié de manière autonome, et non inclus dans un roman) est un texte en « prose non fictionnelle à visée argumentative10 » caractérisé par sa diversité (formelle, thé- matique), par un rapport au réel et à la vérité différent de celui du discours de savoir (la vérité est le but de l’essai, qui possède une dimension expérimentale, visant à approcher une vérité), par sa subjectivité (le lecteur assiste à une pensée « en train de se faire », développée par une personne réelle qui cherche à le persuader), par son ton, sa non-exhaustivité, sa non-systématicité, son écriture souvent fragmentaire, ou encore son argumentation plurielle et marquée par une « désinvolture métho- dologique11 ». Cette définition12 a pour caractéristique d’être située historiquement, dans le contexte littéraire du début du xxe siècle ; elle n’est pas proposée ici comme la définition de l’Essai, forme qui relève de la pure construction. Aussi brève et simplifiée, donc discutable, qu’elle soit, il est indispensable de donner une telle défi- nition, historique, qui manque souvent aux travaux s’intéressant à l’essai et à la présence de théorie dans le roman13 ; or, ceux-ci servent à leur tour de référence à des travaux qui évoquent en passant la question de l’essai et de la théorie, qu’ils règlent bien rapidement14 – c’est ainsi que peuvent naître des clichés en matière de critique littéraire. L’assimilation fréquente des passages théoriques de la Recherche avec l’essai peut certes s’expliquer par un certain nombre de points communs observables entre les deux. Si l’on songe aux séquences les plus fréquemment désignées comme théori- ques – l’« Adoration perpétuelle15 » et les pages de Sodome uploads/Litterature/ la-saveur-de-l-x27-essai-proust-et-l-x27-essai-fictionnel-pdf.pdf
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- Publié le Jui 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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