Patrick Dandrey Une lecture du Parti pris des choses de Francis Ponge 2021 © pa
Patrick Dandrey Une lecture du Parti pris des choses de Francis Ponge 2021 © patrickdandrey.com © patrickdandrey.com. Reproduction même partielle interdite. 2 TABLE DES MATIÈRES Introduction à l’exercice poétique pongien 1. Une vie de poète, p. 3 2. L’artisanat poétique : objet, objeu, objoie, p. 4 3. Formes du poétique : eugénie, sapate et momon, p. 7 4. Travaux pratiques : L’huître, p. 9 a) L’huître comme objet : une miniature en diptyque, p. 9 b) La fable de l’huître, p. 10 L’ordre du texte : lecture suivie du recueil 1. Une somme de diptyques : de Pluie au Cycle des saisons, p. 13 2. Un binôme de faîte : Le mollusque et Escargots, p. 16 3. L’élémentaire et les frontières, p. 18 4. Un galet cosmogonique et microcosmique, p. 24 Conclusion, p. 27 Ces pages constituent la transcription d’un cours professé en licence à la Sorbonne en 2017-2018. Il ne s’agit pas d’un travail de recherche mais, très modestement, d’une mise en perspective et d’une analyse suivie du Parti pris des choses qui peut éventuellement apporter quelque secours aux candidats aux concours littéraires des Écoles Normales Supérieures pour la session 2022. Ce texte est protégé par les lois régissant le droit de la propriété intellectuelle. Reproduction et diffusion même partielles en sont interdites en dehors de l’usage scolaire et universitaire gratuit et sous signature de l’auteur. © patrickdandrey.com. Reproduction même partielle interdite. 3 Introduction à l’exercice poétique pongien 1. Une vie de poète Le Parti pris des choses paraît en 1942, la même année que L’Étranger de Camus, chez Gallimard, dans la collection de la « NRF », à partir d’un projet de livre déjà bouclé en 1937 qui devait s’intituler Sapates. Second recueil de Ponge après les Douze petits écrits, c’est un ouvrage consistant et ambitieux, pensé, mûri, de conception étalée sur presque deux décennies et profondément médité : il regroupe des textes composés entre 1924 et 1939. L’entreprise a bénéficié de l’appui éclairé de Jean Paulhan et Jacques Rivière. Le livre bénéficiera d’un compte rendu de Maurice Blanchot en août 42. Né en 1889, l’auteur a donné de son premier intérêt pour les Lettres qui décidera de toute sa vie une explication peut-être légendaire, et en tout cas symbolique : « Vers l’âge de 14 ans, je me suis mis à lire le Littré ». Fâché avec le mode oral, recalé aux oraux des examens et des concours pour ses difficultés à s’exprimer de vive voix, il entre dans le monde des Lettres par l’écrit et notamment par les amitiés épistolaires: il sera toute sa vie lié au groupe de la NRF et ami de Paulhan, fera un bout de route avec les surréalistes et sera reconnu et loué par Camus et Sartre avant que le mouvement intellectuel groupé autour de la revue Tel Quel à l’âge du Nouveau Roman et du structuralisme ne tente de mettre en évidence des relations de proximité supposée qui en resteront au parallèle. Parti d’un nationalisme barrésien, il était entré à la SFIO puis au PCF en 1937, dans le cadre du Front populaire, sous l’influence notamment des luttes des ouvriers du livre (ses courtes expériences chez Hachette ont inspiré un texte au moins du Parti pris des choses). Il entre dès 1941dans la résistance et y joue le rôle d’agent de liaison, publie dans les principales revues clandestines et milite au Front national des journalistes : il échappera de peu à la Gestapo en avril 1944. Après avoir quitté en 1947 le Parti communiste qu’il avait pris, dit-il, pour le « parti de la fraternité », mais qu’il découvre être le « parti de la dénonciation », il publiera les Proêmes en 1948 chez Gallimard. Fait commandeur du Collège de pataphysique en 1953, il enseigne à l’Alliance française dans les années 50, pendant lesquelles sa situation financière est plus que précaire. Refusant de s’associer au mouvement de refus qui dans une partie de la gauche s’oppose à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958, il opère une sorte de tournant esthétique « classique » et cherche à publier les Œuvres de Malherbe assorties de commentaires qui deviendront le manifeste poétique Pour un Malherbe publié en 1965 chez Gallimard. Dans cette lignée, La Fabrique du pré paraît en 1971, à l’heure où le Parti pris des choses a les honneurs du format de poche en « Poésies/Gallimard ». Suggestion est faite à l’éditeur de le proposer pour le Nobel de Littérature. Cette notoriété tardive se manifeste par une invitation en solo de Bernard Pivot sur le plateau de l’émission littéraire Apostrophes. Il meut en 1988 et son œuvre entre dix ans plus tard dans le « Bibliothèque de la Pléiade ». Poète des objets, des choses, Ponge est tout autant poète du langage, des mots : c’est à la croisée de ces deux « vocations » qu’il compose des pièces courtes ou, pour les plus longues d’entre elles, scindées en séquences de l’ordre d’une demi-page à quelque pages au plus, formant une marqueterie de descriptions ou d’évocation scrutatrices autour d’objet insolites ou inaccoutumés, divers jusqu’à l’incongruité, sous des titres le plus souvent lapidaires, un seul mot le plus fréquemment et un mot volontiers incongru dans l’écriture poétique. Ces pièces sont parcourues par un retour critique sur elles-mêmes intégré au fil du texte de manière allusive ou épisodique, et scandées aussi par des publications autonomes de textes critiques qui tantôt empruntent la forme du commentaire explicite de productions récemment publiées par lui, tantôt constituent des réflexions sur son art et sur l’art elles-mêmes versées dans le même moule, © patrickdandrey.com. Reproduction même partielle interdite. 4 architecturées et musiquées sur le même rythme que les ouvrages de création poétique, en un entrelacement qui invite à les classer et à les répartir en termes de polarisation plutôt que de nette démarcation. L’œuvre de Ponge porte en elle un regard critique interne sur le langage et opère un va-et-vient sinon même une superposition intime, au sein de chaque énoncé, entre l’art et ses productions, au sein d’une expérience de regard et de langage retournée de son objet sur elle- même dans un jeu de miroirs à l’infini. On pourrait ainsi répartir les pièces qui forment la marqueterie de l’œuvre dans le Parti pris des choses entre les choses, perçues sous un angle insolite et dans une approche de regard démultiplié, analogique et tâtonnant, les mots, brillant de leurs ambiguïtés retorses et suggestives, ce qu’il nomme lui-même « amphibiguïtés », terme où s’entendent, supposées, l’ambiguïté, l’amphibologie et l’amphibie, trois concepts au moins pour désigner une prise biaisante sur le langage parti à l’assaut la description et de l’évocation des choses, enfin, outre les choses et les mots, la critique, la dimension critique d’une conscience réflexive du travail des mots sur les choses et de la démultiplication des choses, de leurs qualités, par le jeu des mots qui les caressent ou les violentent : une poésie du rapport entre les choses et les mots, creusé de la silencieuse interrogation sur la forme et l’effet de leur connivence et de leur disjonction, des ambiguïtés de leur appropriation et des révélations tirées de leurs sous-entendus. Ponge publiera à ce sujet en 1952 un « journal d’expression textuelle » intitulé La Rage de l’expression, qu’il avait composé entre 1938 et 1944, au moment de la conception du Parti pris des choses. Cette expérimentation sur les choses, cette prise sur la poésie à partir des objets mis à distance d’interrogation critique du langage qui les détaille, les formule, et en les formulant les forme et les déforme, a parfois conduit à envisager l’œuvre de Ponge, par un parallèle tentant, comme une « Nouvelle Poésie », à mettre en parallèle avec le Nouveau Roman. Alain Robbe- Grillet n’a-t-il pas intitulé une de ses œuvres Les Gommes et Pérec, en parallèle depuis l’Oulipo, un de ses romans Les Choses ? Mais la démarche de Ponge est venue d’ailleurs, plus tôt et autrement orientée. À l’ascèse classique qu’il partage avec les nouveaux romanciers et le goût baroque de l’insolite, voire l’incongru, qu’il partage avec les oulipiens, il ajoute un éblouissement amoureux pour les sujets qu’il se donne et pour le langage qu’il scrute, une délectation, une jouissance ludique à éprouver les pouvoirs de la parole, son histoire, ses replis, ses soubassements, ses jeux, ses échos, avec une liberté surveillée par la seule et impérative exigence de rendre compte des choses depuis leur surface et jusque dans leur épaisseur, à partir de cet outil qui est en même temps un voile, un artefact, un medium et un intermédiaire. Il se place à la charnière entre les mots et les choses, pour en tirer de la jouissance et de la vérité, et il y scrute leur rapport : rapport entre les choses, entre leurs formes et leurs matières, rapport entre les choses et les mots qui les désignent, les décrivent, les décryptent, rapport entre les mots et les choses placés sous l’œil vigilant, critique et ludique de la contemplation active. Cubiste plutôt qu’hyperréaliste, il uploads/Litterature/ ponge-parti-pris-des-choses-analyse.pdf
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- Publié le Nov 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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