Éditions du Boucher Histoire de la société française pendant la Révolution Edmo
Éditions du Boucher Histoire de la société française pendant la Révolution Edmond & Jules de Goncourt CONTRAT DE LICENCE — ÉDITIONS DU BOUCHER Le fi chier PDF qui vous est proposé est protégé par les lois sur les copyrights & reste la propriété de la SARL Le Boucher Éditeur. Le fi chier PDF est dénommé « livre numérique » dans les paragraphes qui suivent. Vous êtes autorisé : — à utiliser le livre numérique à des fi ns personnelles. Vous ne pouvez en aucun cas : — vendre ou diffuser des copies de tout ou partie du livre numérique, exploiter tout ou partie du livre numérique dans un but commercial ; — modifi er les codes sources ou créer un produit dérivé du livre numérique. NOTE DE L’ÉDITEUR Le texte reproduit ici est issu de l’édition de 1889, Paris, Maison Quantin. © 2002 — Éditions du Boucher 16, rue Rochebrune 75011 Paris site internet : www.leboucher.com courriel : contacts@leboucher.com téléphone & télécopie : (33) (0)1 47 00 02 15 conception & réalisation : Georges Collet en couverture : Le 21 janvier 1793 (détail), Monnet & Helmann, coll. G. Collet (droits réservés) ISBN : 2-84824-014-8 EDMOND & JULES DE GONCOURT 3 Chapitre I La conversation en 1789. — Les salons. — La rue. — Le jeu. La Révolution française commença dans l’opinion publique du dix-huitième siècle : elle commença dans les salons. Lentement, depuis la mort de Louis XIV , les salons ont marché à l’influence. Ils ont eu l’Encyclopédie pour hôtesse; et de leurs portes mi-fermées, une armée d’idées, la philosophie, s’est répandue dans la ville et dans la province, conquérant les intelligences à la nouveauté, les familiarisant d’avance avec l’avenir. Et pendant que le trône de France diminue, et apprend l’irres- pect aux peuples, les salons tirent à eux le regard et l’occupation du public. Dans l’interrègne des grandeurs royales, ils s’exercent à régner. Au temps de Louis XVI, cette domination latente, non officielle, mais réellement et quotidiennement agissante a grandi dans la volontaire abdication d’une cour purifiée, mais sans éclat comme sans initiative. Ce n’est plus alors Versailles qui est l’insti- tuteur et le tyran de Paris : c’est Paris qui fait penser Versailles, et les ministres prennent conseil des sociétés, avant d’ouvrir un avis à l’Œil-de-bœuf 1. Dès que la Révolution commence à émouvoir le royaume, dès qu’elle jette aux inquiétudes et aux aspirations les tressaillements précurseurs des grands changements, les salons dépouillent leur 1. Du gouvernement, des mœurs, etc., par Sénac de Meilhan. Hambourg, 1795. HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE PENDANT LA RÉVOLUTION 4 légèreté, leur agrément; ils renoncent à leur charme d’école de la politesse, du langage et de la galanterie : ils deviennent salons d’État. Les bureaux d’esprit se mettent à distribuer la popularité; et la politique, faisant désormais les lendemains de la société française, réglant désormais l’avenir des fortunes et jusqu’à la durée des existences, la politique entre en victorieuse dans les esprits, les envahit, les asservit, chassant brutalement la conver- sation comme une femme chasserait une fée. Ce n’est plus alors ce jugement des hommes et des choses, vol- tigeant, vif, profond parfois, mais toujours sauvé par le sourire : c’est une mêlée de voix pesantes, où chacun apporte non le sel d’un paradoxe, mais la guerre d’un parti. Les femmes, qui devaient des grâces si précieuses au train de société du vieux temps, ont déserté la conversation; et elles ont usé vis-à-vis d’elle de toute l’ingratitude qu’elles mettent d’ordi- naire à quitter une mode embellissante, mais vieille, pour une mode désavantageuse, mais nouvelle. Comme tout à l’heure, elles étaient affolées de montgolfières, de Mesmer, de Figaro, elles sont maintenant éprises de la Révolution. Elles se font sourdes à ces conseils de l’expérience qui leur disent de ne point se commettre en de si grands intérêts; que ni la nature ni l’édu- cation ne les ont faites mûres pour ces disputes, apanages et soucis virils; « qu’elles ne voient dans les choses que les per- sonnes, et que c’est de leur affection qu’elles tirent leurs prin- cipes… que de leur société elles font une secte, de l’esprit public un esprit de parti, et qu’elles ne vont même au bien que par l’intrigue. » 1 On ne voit plus que femmes jouant sérieusement avec l’abstrait et la métaphysique des institutions d’empires 2. « Aujourd’hui, persifle l’Échappé du Palais, tout le beau sexe est politique, ne traite que de la politique, et tourne tout en politique; et il n’est pas jusqu’aux soubrettes, ces Agnès désinté- ressées, qui n’en raisonnent pertinemment d’après leurs maî- tresses. » 3 Une maîtresse de maison n’est plus cette modératrice d’un cercle tranquille, et qui, en son hospitalière impartialité, accueillait chaque dire d’une oreille patiente. « C’est, dit une 1. Lettres de la comtesse de *** au chevalier de ***. 2. Lettres de ces dames à M. Necker. 3. L’Échappé du Palais ou le Général Jacquot. EDMOND & JULES DE GONCOURT 5 femme, une Penthésilée assise près d’une table à thé, tremblante de fureur, et, au milieu des violents débats, se brûlant les doigts, et répandant une tasse de thé sur sa robe. » 1 Les femmes ont bientôt fait les jeunes gens à leur image; les jeunes gens ne rient plus, ne courtisent plus : ils récitent les gazettes : « La même loi, qui oblige aujourd’hui à avoir le gilet court et la culotte courte, commande la démocratie. Il vaudrait autant avoir les bas roulés sur les genoux que de ne pas appeler le roi : le Pouvoir exécutif. » 2 Toute l’ambition des jeunes gens est de jeter en entrant dans un salon bien garni : « Je sors du club de la Révolution »; et s’ils peuvent conter qu’ils se sont élevés jusqu’à une petite motion, ils ont, pour toute une soirée, tous les yeux et tous les cœurs 3. Car ce n’est plus pour l’écrivain, plus pour le peintre, plus pour le musicien, que sont toutes les préve- nances d’accueil : c’est pour le député, le confident de la Consti- tution, qui raconte le journal avant qu’il n’ait paru. C’est le Bathylle grave dont les femmes raffolent; et de quelles voix elles lui commandent : « Dès ce soir, je veux que vous me récitiez votre motion, je veux vos mêmes gestes, vos mêmes accents! » Et des jeunes femmes aux jeunes hommes, les étranges mots qui s’échangent en ces années : « Je n’ai pas oublié la brochure que vous m’avez recommandée : Qu’est-ce que le Tiers? Ce matin, pendant ma toilette, une de mes femmes m’en a lu une partie… » — ou bien encore : « Savez-vous que depuis que vous êtes dans le Tiers, je ne gronde plus mes gens? » 4 Alors, dans les boudoirs discrets et secrets, « le rose tendre du meuble disparaît sous le noir de mille follicules éparses et de bro- chures circonstancielles ». Alors les élégantes manquent le spec- tacle pour l’Assemblée nationale; si bien que les billets de tribune s’échangent contre des billets d’Opéra ou des Bouffons français, et encore avec six livres de retour 5. Presque toutes, les femmes adoptent l’opinion de l’Opinion. Ces cœurs que Rousseau avait, suivant l’expression de 1. Aperçu de l’état des mœurs, par H. Maria Williams, an IX, vol. II. 2. Mes amis, voilà pourquoi tout va si mal. 3. Id. 4. Lettres de la comtesse de *** au chevalier de ***. 5. Déjeuner du mardi ou la Vérité à bon marché. HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE PENDANT LA RÉVOLUTION 6 d’Escherny, fondus et liquéfiés, se lancent au mouvement avec la vivacité d’ardeur passionnée et sans règle de la nature féminine. Femmes de banquiers, femmes d’avocats embrassent la Révo- lution, pour remercier la fortune de leurs maris 1. De ces duchesses, de ces marquises, de ces comtesses, que leurs titres, leurs intérêts, leurs traditions de famille, devaient tenir attachées au passé, devaient faire réservées pour le présent, beaucoup sau- tent par-dessus leur nom, et applaudissent les événements qui se déroulent. Celles-là qui étaient jeunes ont été entraînées, lâches et sans résistance contre un engouement si général. Plus d’une que les années avertissaient de mourir aux plaisirs de la société, et de se réconcilier, sinon avec Dieu, du moins avec un directeur, et qui allaient, ne pouvant mieux, se ranger aux coquetteries de conscience et aux tendresses de la foi, se vouent à la Révolution comme à une religion rajeunissante, et à un salut mondain. Grand nombre aussi de dames nobles de noblesse peu ancienne ont gardé rancune à la royauté des preuves de noblesse jusqu’à l’an 1400 sans trace d’anoblissement, récemment exi- gées, à la sollicitation du maréchal de Duras, pour monter dans les carrosses du roi; et elles font accueil au Tiers état comme à une vengeance, et à une satisfaction de leur amour-propre blessé. Bien peu de femmes « sont d’assez bonne foi pour convenir que des trois Pouvoirs dont on leur parle sans cesse, il n’y en a pas un qui leur fasse plaisir; et uploads/Litterature/ revolution.pdf
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- Publié le Mar 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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