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La Littérature française au moyen-âge Aller à : Navigation, rechercher La littérature française au moyen-âge Jean-Jacques Ampère Revue des Deux Mondes T.19, 1839 La Littérature française au moyen-âge La littérature française au moyen-âge (1) J'appelle moyen-âge, dans l'histoire de la littérature française, les XIIe, XIIIe et XIVe siècles. Ces trois siècles me paraissent constituer une époque distincte, séparée de ce qui la précède et de ce qui la suit. Le commencement de cette époque est marqué en Europe par une crise sociale, de laquelle sortent tout à la fois les communes, l'organisation complète de la féodalité et de la papauté, les idiomes modernes de l'Europe, l'architecture appelée gothique. Les croisades sont la brillante inauguration du moyen-âge. En France, le moyen-âge a son commencement, son milieu et sa fin. Le XIIe siècle forme la période ascendante; dans le XIIIe est le point culminant, et le XIVe voit commencer la décadence. La première période aboutit à Philippe-Auguste; la seconde est signalée par le règne de saint Louis, dont les lois et les vertus représentent la plus haute civilisation du moyen-âge; la troisième période, celle de la décadence, commence à Philippe-le-Bel et expire dans les troubles et l'agonie du XIVe siècle. La littérature elle-même suit un mouvement pareil, et offre trois périodes correspondantes aux trois périodes historiques que je viens d'indiquer. Dans la première, qui est la période héroïque, on trouve les chants rudes, simples, grandioses, des plus vieilles épopées chevaleresques; en particulier, la Chanson de Roland. On trouve Villehardoin au mâle et simple récit. La seconde, plus polie, plus élégante, est représentée par celui qui en est l'historien, ou plutôt l'aimable conteur, Joinville; c'est le temps des fabliaux, c'est le temps où naissent les diverses branches du Roman de Renart, c'est-à-dire ce que la littérature française a produit de plus achevé, comme art, au moyen-âge. La troisième est une ère prosaïque et pédantesque; à elle la dernière partie du Roman de la Rose, recueil de science aride, dans lequel il n'y a de remarquable que la satire, la satire toujours puissante contre une époque qui approche de sa fin. Au XIVe siècle, la prose s'introduit dans les romans et dans les sentimens chevaleresques, l'idéal de la chevalerie décheoit et se dégrade; enfin, cette chevalerie artificielle, toute de souvenirs et d'imitations, dont l'ombre subsiste encore, reçoit un reste de vie dans la narration animée, mais diffuse et trop vantée, de Froissart. Aux trois phases littéraires, on pourrait faire correspondre trois phases de l'architecture gothique : celle du XIIe siècle, forte, majestueuse; celle du XIIIe, élégante, et qui s'élève au plus haut degré de perfection; et, enfin, celle du XIVe siècle, surchargée d'ornemens et de recherche. Après avoir déterminé, dessiné, pour ainsi dire, le contour de la littérature française au moyen-âge, et en avoir esquissé les principales vicissitudes, je vais présenter une vue rapide de ses antécédens, de ses rapports avec la littérature étrangère contemporaine, et enfin, de ce qui la constitue elle-même, des grandes sources d'inspiration qui l'ont animée et qui lui ont survécu. La littérature française du moyen-âge n'a guère que des antécédens latins. Les poésies celtique et germanique n'y ont laissé que de rares et douteux vestiges; la culture antérieure est purement latine. C'est du sein de cette culture latine que le moyen-âge français est sorti, comme la langue française elle-même a émané de la langue latine. Il est curieux de voir les diverses portions de notre littérature se détacher lentement et inégalement du fond latin, selon qu'elles en sont plus ou moins indépendantes par leur nature respective. Il est des genres littéraires qui n'ont pas cessé d'être exclusivement latins, même après l'avènement de la langue et de la littérature vulgaires. Telle est, par exemple, la théologie dogmatique, qui n'a pu déposer, au moyen-âge, son enveloppe, son écorce latine. Le latin était une langue pour ainsi dire sacrée; et il faut aller jusqu'à l'événement qui a clos sans retour le moyen-âge, jusqu'à la réforme, pour trouver un traité de théologie dogmatique en langue française; il faut aller jusqu'à l’Institution chrétienne de Calvin. La prédication se faisait tantôt en latin pour les clercs, tantôt en français pour le peuple. C'est dans l'homélie, le sermon, que la langue vulgaire a été employée d'abord, et cet emploi remonte jusqu'au IXe siècle; mais le latin, comme langue de l'église, comme langue de la religion, semblait si approprié à la prédication, que longtemps après cette époque on le voit disputer la chaire à l'envahissement de la langue vulgaire; et quand celle-ci s'en est emparée, il résiste encore. Le latin macaronique des sermons du XVe siècle, l'usage qui existe de nos jours, en Italie, de prononcer un sermon latin dans certaines solennités, enfin, jusqu'aux citations latines si souvent répétées dans nos sermons modernes, sont des témoins qui attestent avec quelle difficulté, après quels efforts de résistance long-temps soutenue, le latin a fait place à la langue française dans la prédication. Des compositions d'un autre genre, appartenant de même à la littérature théologique, se sont continuées en latin, et en même temps ont commencé à être écrites en français; telles sont les légendes, traduites en général d'après un original latin, mais qui, dans ces traductions, prennent assez souvent une physionomie nouvelle, et même une physionomie un peu profane; tournent au fabliau populaire, parfois même au fabliau satirique. Il est une autre portion de la littérature du moyen-âge dans laquelle on voit aussi le français venir se placer à côté du latin, sans le déposséder entièrement: c'est tout ce qui se rapporte à la littérature didactique, soit morale, soit scientifique. Dans cette dernière viennent se ranger les recueils de la science du moyen-âge, qui portaient le nom de Trésors, d'Images du monde, de Miroirs, de Bestiaires, etc. Ces recueils étaient originairement en latin; quelques-uns pourtant ont été rédigés ou en provençal ou en français. Le Trésor de Brunetto Latini fut écrit en français par ce réfugié toscan, à peu près en même temps que Vincent de Beauvais, confesseur de saint Louis, publiait en latin sa triple encyclopédie. Quant à la philosophie proprement dite, elle a été, comme la théologie dogmatique, constamment écrite en latin au moyen-âge; et de même qu'il faut aller jusqu'à Calvin pour trouver un traité français de théologie dogmatique, il faut aller encore plus loin, il faut aller jusqu'au grand novateur en philosophie, jusqu'à Descartes, pour trouver l'emploi de la langue française dans des matières purement philosophiques. Le premier exemple, qu'on en peut citer, est le Discours sur la méthode; les Méditations elles-mêmes ont été écrites d'abord en latin, et traduites, il est vrai, presque aussitôt en français. L'histoire a commencé, au moyen-âge, par être une traduction de la chronique latine. Les deux grands ouvrages qui portent le nom de Roman de Brut et de Roman de Rou, ne sont que des translations en vers, l'un d'une chronique, l'autre de plusieurs. L'histoire fait un pas de plus; elle devient vivante, elle est écrite immédiatement en langue vulgaire, sans passer par la langue latine, et ceci a lieu dans le midi comme dans le nord de la France, en provençal et en français, en vers et en prose, presque simultanément: en vers provençaux dans la chronique de la guerre des Albigeois, si pleine de feu, de mouvement, de vie, si fortement empreinte des sentimens personnels du narrateur; et, en prose française, dans l'histoire de Villehardoin, marquée d'un si beau caractère de vérité, de gravité, de grandeur. Les deux successeurs de Villehardoin, Joinville et Froissart, bien que d'un mérite inégal, continuent à mettre la vie dans l'histoire, en y introduisant l'emploi de la langue vulgaire, et en l'animant de leur propre individualité; entre leurs mains l'histoire passe de l'état de chronique latine, à celui de mémoire français. La plupart des autres genres de littérature n'ont pas une origine aussi complètement latine que ceux dont je viens de parler. Ainsi, la poésie lyrique des troubadours et des trouvères, et surtout la portion de cette poésie qui roule sur les sentimens de galanterie chevaleresque, n'a pas une source latine; cette poésie est née avec la galanterie chevaleresque elle-même, et l'expression n'a pu précéder le sentiment. Cependant on trouve encore des liens qui rattachent à la latinité les chants des troubadours et des trouvères. La rime qu'ils emploient a commencé à se produire insensiblement dans la poésie latine des temps barbares. Enfin, le personnage même des troubadours procède des jongleurs, et ceux-ci sont, comme leur nom l'indique, une dérivation de l'ancien joculator, qui faisait partie, aussi bien que les histrions et les mimes, d'une classe d'hommes consacrée aux jeux dégénérés de la scène romaine. Il va sans dire que la poésie épique, chevaleresque, n'a rien à faire non plus avec les origines latines; elle est dictée par les sentimens contemporains: ce qu'elle raconte en général, c'est la tradition populaire telle qu'elle s'est construite à travers les siècles et par l'effet des siècles ; il faut excepter cependant les poèmes qui ont pour sujet des évènemens empruntés aux fables de l'antiquité : la guerre de Troie, par exemple, telle qu'on la trouvait uploads/Litterature/la-litterature-francaise-au-moyen-age.pdf

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