480 Meta, XLV, 3, 2000 L’enseignement de la traduction en Algérie aïcha aïssani
480 Meta, XLV, 3, 2000 L’enseignement de la traduction en Algérie aïcha aïssani Université d’Alger, Alger, Algérie RÉSUMÉ La situation linguistique en Algérie, qui se caractérise par un bilinguisme arabe-français bien enraciné dans l’histoire, a été marquée par des pratiques d’enseignement différentes selon les périodes historiques et par une politique d’arabisation à partir de 1970. C’est dans ce cadre que s’inscrit la formation des traducteurs en Algérie telle qu’elle se dégage des cursus, de la méthodologie adoptée et des représentations que se font enseignants et apprenants de leur statut respectif. ABSTRACT The linguistic situation in Algeria is characterized by an Arabic-French bilinguism well- rooted in the history of the country, where teaching practices varied according to histori- cal periods and to a policy of arabization that started in 1970. It is within this framework that translation training is practised as can be seen by the programmes and the method- ology chosen and by the way teachers and learners view their respective status. MOTS-CLÉS/KEYWORDS enseignement, traduction, Algérie, formation, traducteur Introduction Le passé historique récent de l’Algérie fait que ce pays s’est trouvé et se trouve encore aujourd’hui confronté à un bilinguisme (français/arabe) qui s’impose de fait. Des institutions relevant de la traduction devaient dès lors être indispensables: la forma- tion du traducteur et a fortiori l’enseignement de la traduction s’érigeaient en con- traintes incontournables. Un survol de l’enseignement de la traduction en Algérie, depuis l’occupation française à nos jours, nous permettra d’apprécier quelque peu la situation de ce mode de communication Avant 1962: Les lycées franco-musulmans Les écoles coraniques et la medersa qui constituaient à l’époque deux institutions informelles pour l’administration française et qui se réservaient respectivement l’ap- prentissage du Coran, et l’enseignement de la langue arabe par des autochtones mono- lingues formés dans les zaouias furent supplantées par les lycées franco-musulmans nés le 30 septembre 1850 sous l’autorité de l’administration française, ils sont une reconversion de l’École Supérieure Musulmane née en 1836 à Constantine. Ces lycées se spécialisaient dans la formation de bilingues français-arabe et in- versement. Ainsi le premier lycée franco-musulman fut installé d’abord à Médéa puis à Blida et enfin en 1859 à Alger, suivirent Tlemcen et Constantine. A la fin de leur cursus, les diplômés de ces lycées franco-musulmans étaient censés enseigner la langue Meta, XLV, 3, 2000 arabe dans les lycées: l’enseignement de la langue arabe se limitant à deux principales matières: la version et le thème : La version étant la traduction de la langue étrangère vers la langue de base. Or à cette époque la version autrement dit la traduction de la langue étrangère vers la langue maternelle se faisait pour comble d’ironie pour les Algériens de la langue arabe vers la langue française. La langue française était considérée alors comme lan- gue maternelle des Algériens. Le thème, lui, est la traduction de la langue de base vers la langue étrangère autrement dit de la langue française vers la langue arabe. Vu sous l’angle de l’apprentissage des langues, on est en droit de penser que la version et le thème sont essentiellement une opération de transcodage, ce qui nous éloigne de la véritable traduction. Mais est-il pertinent au niveau du scolaire de pré- tendre à la véritable traduction ? En effet sans vouloir prétendre à la véritable traduction, la traduction scolaire a a priori ses avantages, ce qui nous pousse à adhérer au point de vue de L. El Foul (1996: 43): Ce qui est visé à travers la version et le thème, c’est la connaissance, par la comparaison des structures grammaticales des langues dont il s’agit. La traduction permet de prendre conscience des différences de structure entre la langue maternelle et les langues étran- gères. Mieux que la présentation directe de ces structures à l’intérieur de chaque langue (exposé des règles et exercices d’application, exercices d’élocution, de rédaction, etc.), la traduction (comparaison, prise de conscience des différences) permet de caractériser chaque langue, c’est-à-dire approfondir la saisie des difficultés, et donc d’accroître la capacité de les résoudre. 1962: La langue arabe comme langue nationale En 1962, l’Algérie indépendante fut proclamée. La langue française occupait alors toujours une place prépondérante dans tous les secteurs et notamment dans le sys- tème éducatif où elle était obligatoirement langue d’enseignement. Aussi parmi les problèmes de l’heure (dès 1962), la politique linguistique fut l’une des préoccupa- tions majeures des instances gouvernementales. C’est alors que restaurer la langue arabe dans ses droits, autrement dit comme langue nationale, ne pouvait que confor- ter un consensus national. La langue arabe devenue officiellement langue nationale dans un paysage forte- ment marqué par la langue française (structures étatiques et formation des cadres susceptibles de prendre la relève à l’indépendance) sa mise en place relevait du défi. L’urgence était donc de trouver une institution capable de pallier, même à long terme, ce déficit. L’initiative est venue de l’UNESCO: créer une école supérieure d’interprètes et de traducteurs à l’image de l’École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs de l’Université de Paris. C’est ainsi qu’en 1963 à Alger est fondée l’école Supérieure de Traduction et d’Interprétariat. Trois combinaisons étaient assurées: arabe – français – anglais arabe – français – espagnol arabe – français – allemand l’enseignement de la traduction en algérie 481 482 Meta, XLV, 3, 2000 Une spécialité appelée «interprétation simultanée» était assurée pour former des interprètes de conférence. Dès 1970: la politique d’arabisation La politique d’arabisation s’était intensifiée dès 1970 mettant alors en évidence un besoin pressant de personnel qualifié pour la traduction des textes officiels. Le potentiel formé dans les lycées franco-musulmans allait être sollicité pour entreprendre dans les meilleures conditions l’arabisation de l’administration. Pour ce faire, le Ministère de l’Intérieur crée des bureaux de traduction au ni- veau de chaque département ministériel. Ces bureaux étaient chargés de traduire les textes officiels de la langue française vers la langue arabe à des fins de publication dans le journal officiel. Dès lors tout texte officiel devait être obligatoirement en ver- sion arabe. Par ailleurs d’autres besoins se sont faits sentir au niveau du Ministère des Affaires Étrangères, à certains niveaux des renseignements généraux et au Ministère de l’Inté- rieur. Sur le plan international Des concours se sont ouverts au niveau de l’OUA (Organisation de l’Unité Afri- caine), de la Ligue Arabe, des Nations Unies et du Bureau de Genève. Nous comptons actuellement au niveau de ces institutions plusieurs interprètes algériens. L’Université et la traduction Des cours de post-graduation ont été prévus pour l’encadrement des travaux de recherche. Par ailleurs des cours sont dispensés aux futurs licenciés. Les débouchés offerts à ces diplômés se restreignent généralement à la fonction de journaliste à l’APS (Agence Presse Service), à des quotidiens nationaux et aux différents départe- ments de l’information et de la culture. Aujourd’hui, un doctorat d’État est prévu dans le cadre de l’Institut d’Interpréta- riat et de Traduction en perspective de la création des facultés des Sciences Humaines qui verra le jour ce premier semestre 1999 à Alger et dont l’une des facultés englobe- rait l’Institut de la Littérature Arabe, l’Institut des Langues Étrangères et l’Institut d’Interprétariat et de Traduction. Les titulaires du doctorat d’État pourront alors encadrer les travaux de recherche des magistères et des doctorats d’État. Le nombre des étudiants en traduction allant croissant, les pouvoirs publics se sont vus dans l’obligation de créer deux départements de traduction à Oran et à Annaba. Des velléités pour créer un troisième à Batna. Une particularité pourtant caractérisera les deux départements de traduction d’Oran et de Annaba. À Oran, on mettra davantage l’accent sur la combinaison arabe-français-espagnol étant donné que la communauté espagnole est très importante dans cette région. Par contre, on mettra l’accent sur la combinaison arabe-français-italien à Annaba où une communauté italienne prédomine. Au niveau de la concertation des pays arabes Plusieurs universités arabes ont demandé la collaboration de l’Université d’Alger pour créer une école d’interprètes-traducteurs à Amen en Jordanie et une école simi- laire à Damas en Syrie. La Ligue Arabe aurait choisi Alger mais, jusqu’à l’heure actuelle, cette initiative est restée à l’état de projet. Après ce survol de la traduction, il est permis de penser que l’Algérie possède des traditions en matière de traduction. Pour s’en convaincre, il suffit de défiler le cours de l’histoire de l’Algérie; en effet, depuis l’Antiquité à nos jours, l’Algérien fut de tout temps confronté à la traduction d’une langue étrangère: héritage des multiples inva- sions; pour l’exemple, lorsque les premiers éléments de recensement de la popula- tion algérienne concourraient à la dénomination de certains chefs de famille par la profession, il ne faut pas s’étonner de voir le Tordjman apparaître en tête de liste des métiers hérités de l’empire Ottoman. En matière de justice, les Algériens ont connu le traducteur au sens de greffier et l’interprète au sens d’avocat. Toujours en matière de justice, un aspect particulier de la traduction: « l’em- prunt». Ainsi les premiers termes existants jusqu’à présent tels que la rahnia, la Frédha, le habous, etc. pénètrent le langage juridique par la Tardjama. Ce besoin chronique de traduction a-t-il suscité en dehors de pratiques ponc- uploads/Litterature/ la-traduction-en-algerie.pdf
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- Publié le Mai 20, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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