FRANCIS JAMMES La Vierge et les Sonnets — POÈMES — PARIS MERCVRE DE FRANGE XXVI

FRANCIS JAMMES La Vierge et les Sonnets — POÈMES — PARIS MERCVRE DE FRANGE XXVI, I\VE DE CONDÉ, XXVI MCMXIX IL ÉTAIT, AU DELA DES JEUNES FRÉNÉSIES. Il était, au delà des jeunes frénésies, Un coin inaccessible et noir dans la forêt. Cette forêt était mon cœur, ce coin secret, La source où s'en venaient boire mes poésies. Que si je t'ai jamais aimée, enfant^choisie, Si mon rythme a jadis g'émi sur tes bras frais, Je te cachai cette heure où je me "retirais Pour écouter le flot où nageait l'harmonie. SONNETS POUR COMMENCER Je t'adresse aujourd'hui cette confession : Laissant l'échelle d'or et ses illusions, Quand s'effeuillait dans l'agrandissement des choses, A travers les pertuis des dômes de ce bois, Sur l'eau pure, un couchant fait de bouquets de roses, C'est Dieu que j'appelais, je m'éloig-nais de toi. II MÊME QUAND LE PA YS RIAIT SOUS LES NUAGES. Même quand le pays riait sous les nuages, Même quand la colline était comme un trumeau, Même quand j'attendais sous l'arbre d'un hameau Une enfant buissonnière et qui n'était pas sage ; Même alors le bonheur fuyait, et le ramage De l'idylle cessait dans la nuit des rameaux. Mon Dieu ne voulait pas que les lys les plus beaux Fussent à moi sans que l'abeille y fît ombrage. SONNETS POUR COMMENCER Soyez béni, Seigneur, par qui j'ai recherché L'amour d'un absolu qui manquait au péché. Les fruits d'or et de sang qui s'ofFraient à mon âme, Si je les ai cueillis, je les ai rejetés Pour boire avidement l'inextinguible flamme Qui tombe du Ciel même au milieu de l'Eté. lïï JE ME SOUVIENS DE TELLE FLEUR, DANS UN TEL BOIS... III Je me souviens de telle fleur, dans un tel bois, De cet insecte au creux d'un ormeau, d'une chasse Où je distingue encor le vol d'une bécasse, D'un verre d'eau que dans une ferme je bois. Mais j'oublie, à présent que j'avance, une voix Qui me fut chère, un cœur qui tenait tant de place Qu'il emplissait le mien, une charmante face Et des lèvres d'amour qui disaient toi pour moi. SONNETS POUR COMMENCER l'J Cette voix et ce cœur^ cette face et ces lèvres, Puissent-ils à leur tour m'avoir bien déserté Et ne retenir rien de cette double fièvre Qu'une rose au Printemps, une abeille en Été, La trace en bondissant que fait dans l'herbe un lièvre Ce qui n'est plus cela que nous avons été. JUSTE EN FACE, JE VOIS LA MAISON QUE VIGNY. IV Juste en face, je vois la maison que Vig-ny Habitait dans Orthez, et son rideau de lierre. Durant son temps de servitude militaire Et de grandeur, vint-il parfois dans mon logis? Quel destin met son nid à côté de mon nid? Rien en moi qui ressemble à ce Romain de pierre. Les feuillages qui font'le bruit d'une prière Protestent dans son parc contre son long* déni. SONNETS POUR COMMENCER Et pourtant! N'était-il pareil à tous les hommes? Le contraire est souvent la chose que nous sommes. Afin de s'attendrir, il n'a jamais pleuré. Quant à moi, contemplant le fronton de sa porte, Triang'ulaire et net, nu comme un Marboré, J'aspire au doux sang-lot qui me fait l'âme forte. CIGALE ABASOURDISSANTE... Cigale abasourdissante, Qui me dictes par tes cris Ces quelques vers que j'écris Dans la chaleur écrasante : Au feu! Sur l'ocre des sentes Toute la bruyère a pris Et la replète perdrix Cherche de l'eau sous les menthes. Yî DANS L'EAU GLAUQUE L'OBJET ET L'OMBRE SE CONFONDENT. . VI Dans l'eau g-Iauque l'objet et l'ombre se confondent A la surface est immobile mon bouchon. L'aulne au suant feuillage oppose aux durs rayons Un écran^sous lequel ma quiétude est profonde, Les peupliers, sur la berge opposée, abondent. Le mouvant bloc liquide use l'alluvion Qu'il avait amassée en une autre saison. C'est trois mètres de fond qu'accuse ici ma sonde. gONNETS POUR COMMENCER SQ Mon flotteur, si lég-er, ne boug-e toujours pas. Puis, à peine, trois fois, il vacille. Et voilà Qu'obliquement et que lentement il s'enfonce. Je tire et je ressens la secousse, et ma main Est celle d'un vainqueur jusqu'à ce qu'à la fin La truite émerge et rompe le fil sous des ronces. VII UN JOUR BLEU DE L'ÉTÉ QUE NOUS NOUS PROMENIONS, . VII Un jour bleu de l'Été que nous nous promenions, Le petit que j'étais et la vieille servante, Nous vîmes, sur le foin aux vag-ues reluisantes, Battre des ailes un énorme papillon. Et, m'avançant avec mille précautions, Je posai brusquement sur cette fleur vivante Mon chapeau, sous lequel je la pris pantelante, Puis l'emportai dans une boîte à la maison. SONNETS POUR COMMENCER 33 Et mon cœur se serra d'indicible tristesse Quand je montrai l'insecte à mes parents. Qu'était-ce? Gomment le reconnaître? Ahl II n'était plus tel Que tout à l'heure... O mes frères en poésie! 11 n'avait plus autour des ailes la prairie Qui me l'avait fait croire aussi grand que le ciel. YIII COMiME LE PATRIARCHE, AU MILIEU DE LA VIE. VIII Gomme le patriarche, au milieu de la vie, Contemple le soleil de l'épaisse moisson, A ma taille bientôt montent les épis blonds D'enfants, et les pavots de leurs bouches sourient. Je me retourne et vois sur la route suivie Le chasseur que j'étais dans la jeune saison. J'aimais le baiser âpre et roide du glaçon Sur ma barbe alors noire et maintenant blanchie. SONNETS POUR COMMENCER Z^ D'aucuns parlaient, lisant mes vers, de ma douceur. Il est vrai, je chantais les femmes et les fleurs : Mais celles là plus d'une fois se sont méprises. Je chantais, dis-je, ainsi que chantait mon fusil Dont les canons se faisaient flilte sous la brise Qui sifflait et poussait contre moi le grésil. IX C'EST DIE L QUE J'INVOQUAIS SUR MA FLUTE RUSTIQUE... IX C'est Dieu que j'invoquais sur ma flûte rustique. II est venu par le doux chemin villag-eois, Ainsi qu'un laboureur, tout au long d'un pavois De campanule et d'ang-élique. Il est venu par le blé mûr des catholiques. Les perdrix, les enfants rappelaient à la fois. Les joubarbes faisaient aux descentes des toits Des sculptures de basilique. SONNETS POUR COMMENCER ^l Au-dessus des fronts ceints de neige et de douceur On lisait tout en or sur la pauvre bannière: « mon filsl donne-moi Ion cœur! » Et, voyant ruisseler ces mots dans la lumière, Je répondais, comme en silence font les fleurs « Donnez-moi votre cœur, ô Père ! » 4. L'ENFANT PRODIGUE, AMI, NE REGRETTE PLUS RIEN. . L'enfant prodig-ue, ami, ne regrette plus rien. L'amour natal a débordé. Tout est amer Qui n'est pas lui. Pourceaux 1 demeurez au déserti Seul m'a suivi dans mon retour mon pauvre chien. O quand mes bras se sont ouverts entre les tiens, Père! Et quand mon cœur, si dur encore hier, Sur ton cœur s'est fondu comme un flocon d'hiver! Lorsqu'il a ruisselé sur ton^manteau d'ancien 1 SONNETS POUR COMMENCER 45 mes frères! venez et faites comme moi. Laissez votre malheur et connaissez l'émoi Des parents afflig-és, accroupis sur le seuil, Et qui, se redressant à voire revenir, Voient le soleil tombant changer en or le deuil Qu ils avaient pris pour vous qui les faisiez mourir. XI SPIRITUELLE, BLEUE ET FRAICHE MATIXÉE.. XI Spirituelle, bleue et fraîche matinée, Sur les murs effrités où darde un laurier-tin ! Cœur semblable à la source au filet arg-enlin I Ame qu'un desservant obscur a communiée ! passereaux en or des îles fortunées! Chantez que le bonheur se trouve sous la main, Que le Ciel, ici-bas, est un morceau de pain, Et que nous renonçons à fouiller TEmpyrée. SONNETS POUR COMMENCER 49 Porte-lyres I Oiseaux des extrêmes midis, Que les marins disaient venir du Paradis, N9 jamais se percher, et n'avoir que des ailes. Planez en vous plaignant au-dessus du sentier Où la petite enfant de l'humble métayer Sans qu'elle ait à monter porte le Ciel en elle. XII JAMAIS NI LA BRUYÈHE EN FEU, NI LES CIGALES.. XII Jamais ni la bruyère en feu, ni les cig'ales, Ni la fièvre qui fait délirer un enfant, Ni la route sans peupliers au soleil blanc, Ni la joue amoureuse où la honte s'étale; Ni le rosier baig'né par une aube automnale, Ni l'azur que l'on boit au puits en frissonnant, Ni la brise à minuit qui tout à coup surprend Le dormeur qui rêvait aux collines natales... SONNETS POUR COMMENCER 53 Jamais celte chaleur, jamais celte fraîcheur N'atteignirent le frais ou le chaud de mon cœur Qui croyait inventer l'amour sur cette terre, Posséder du Printemps, de l'Été, les primeurs, Mais reculer toujours l'Automne qui tempère L'homme qui semble triste et qui sait le bonheur. LE CANTIQUE DE LOURDES PRÉLUDE Mes amis, venez entendre L'histoire pieuse et tendre Arrivée en mon pays Où les eaux vives bruissent. Elles tombent et puis g-lissent Le lon^ des champs de maïs Et sur les prés qu'elles lissent Comme ceux du paradis. La montagne est suspendue Au-dessus de l'étendue; 58 LA VIERGE uploads/Litterature/ la-vierge-poems.pdf

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