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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/277225784 L'œuvre en français de Milan Kundera ou les malentendus de l'ignorance Article in Carnets · June 2009 DOI: 10.4000/carnets.3873 CITATIONS 0 READS 7,460 1 author: Luis Pimenta Gonçalves Universidade Aberta 3 PUBLICATIONS 1 CITATION SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Luis Pimenta Gonçalves on 28 October 2015. The user has requested enhancement of the downloaded file. Luís Carlos Pimenta Gonçalves, “L'œuvre en français de Milan Kundera ou les malentendus de l'ignorance”, Carnets, Cultures littéraires: nouvelles performances et développement, nº spécial, automne / hiver 2009, pp. 233-242. http://carnets.web.ua.pt/ ISSN 1646-7698 L’ŒUVRE EN FRANÇAIS DE MILAN KUNDERA ou les malentendus de l’ignorance LUÍS CARLOS PIMENTA GONÇALVES Universidade Aberta luispg@univ-ab.pt Résumé Nous nous proposons lors de cette communication d’évoquer la réception de l’œuvre en français1 1 Nous désignerons par « œuvre en français » tous les opus, romans ou essais, rédigés directement en français et toutes les œuvres dont la traduction a été revue entièrement par Kundera. de Kundera à travers quelques malentendus identitaires, linguistiques, idéologiques et esthétiques qu’elle génère. Luís Carlos Pimenta Gonçalves http://carnets.web.ua.pt/ 234 Malentendus identitaires Une question qui est loin d’être anodine : Kundera est-il un écrivain français d’origine tchèque2 ou un écrivain tchèque de nationalité française3 Un autre malentendu fréquent, né dès son premier roman traduit en France, est de nature idéologique. Ainsi, de La Plaisanterie, Sartre retiendra tout particulièrement la critique politique. Pour lui, l’auteur n’entend pas « désigner seulement l’innocente facétie du héros, mais l’ensemble d’un système où une gaminerie sans conséquence conduit inévitablement son auteur à la déportation » . Est-il slave, originaire de l’Europe de l’Est, de l’Europe Centrale ou de la MittelEuropa? Détails identitaires qui peuvent paraître inintéressants au lecteur de prime abord, mais dont l’absence de clarification fonde des malentendus dont a souffert l’auteur. Ainsi dans l’essai intitulé « Die Weltliteratur » de son dernier ouvrage, Le Rideau, Kundera rapporte un de ces malentendus littéraires et géographiques : vers la fin des années soixante-dix, j'ai reçu le manuscrit de la préface écrite pour un de mes romans par un éminent slaviste qui me mettait en perpétuelle comparaison (flatteuse, bien sûr, à l'époque personne ne me voulait de mal) avec Dostoïevski, Gogol, Bounine, Pasternak, Mandelstam, et avec les dissidents russes. Effrayé, j'en ai empêché la publication. Non que je ressentisse une antipathie pour ces grands Russes, au contraire, je les admirais tous, mais en leur compagnie je devenais un autre. Je me rappelle toujours l'étrange angoisse que ce texte m'a causée : ce déplacement dans un contexte qui n'était pas le mien, je le vivais comme une déportation. On notera, outre le mal-être d’une identité littéraire confisquée, l’incise entre parenthèses : « à l'époque personne ne me voulait de mal » comme s’il était conscient en 2005 que l’époque de la reconnaissance et de la consécration littéraires unanimes était bien révolue deux décennies après. Malentendus idéologiques 4 2 C’est ainsi que le définit François Busnel dans Lire de mai 2005. 3 Robert Lévesque le considère ainsi dans un article intitulé « Écrivain(s) de l’exil, du 01/08/2003, publié sur le site www.lelibraire.org : Le portail du livre au Québec. L’auteur pose le problème de l’identité de façon intéressante : «Kundera écrit en français, ce qu'il fait depuis 1981 (depuis sa variation sur Diderot, Jacques et son maître), est-il encore un écrivain tchèque ? Non. Est-il devenu un écrivain français ? Non plus. Il est simplement Kundera, qui écrit en français là où il habite, où il mange, où il rêve. » 4 SARTRE, Jean-Paul, Préface à Trois Générations, p. XIX, cité par Martin Rizek (2001). . A l’évidence, il s’agit également pour l’auteur de Les mains sales, de marquer sa rupture d’ancien compagnon de route avec Moscou. Cette Reinventando o "francesismo" http://carnets.web.ua.pt/ 235 interprétation d’un roman antistalinien fera l’unanimité de la presse d’alors et sera privilégiée par l’éditeur Claude Gallimard, dont le prière d’insérer en quatrième de couverture de la première édition de 1968 de La plaisanterie présentera le roman en soulignant qu’il s’agit d’un « Roman idéologique par excellence ». La préface de cette même édition, signée Aragon, associe anachroniquement le roman au désespoir né de la fin brutale du Printemps de Prague alors que l’édition tchèque date de 1967. Après cette première traduction, et pendant très longtemps, le roman kundérien va être associé au témoignage sous forme littéraire d’un dissident. Il est vrai que le destin de Kundera est celui d’un intellectuel engagé, interdit de publication dans son pays, puis proscrit, mais il est vrai aussi que son oeuvre de fiction ne saurait se résumer à la trajectoire biographique de son auteur. L’attribution du Prix Médicis étranger en 1973 pour La Vie est ailleurs, alors qu’il réside encore en Tchécoslovaquie, prime autant l’oeuvre que l’opposant. Il sera pourtant autorisé par les autorités tchécoslovaques à venir recevoir le prix, regagnant Prague peu après. Le souvenir qu’en a Robbe-Grillet, créateur de ce Prix, est très diffus et inexact comme en témoigne un entretien accordé à Radio Prague en 2002. C’est moi qui ai fait venir Kundera en France puisque je lui ai fait donner le prix Médicis qui était un prix que j'avais fondé et dans lequel j’avais une grande importance. [...] Et donc j’avais fait donner ce prix à un livre très connu de Kundera, dont j’ai oublié le titre. C’est pour recevoir ce prix qu’il est venu en France. Et il est resté. Il en a profité pour ne pas retourner dans ce pays communiste qu’il haïssait. Dans ce souvenir altéré par le temps perce un autre malentendu celui d’un Kundera anticommuniste détestant. Pourtant, déjà installé en France, Kundera insiste sur le fait qu’il n’est pas un émigré et qu’il n’a choisi la France que comme patrie littéraire, obtenant une autorisation du gouvernement tchèque lui permettant de vivre et d’enseigner en dehors de son pays. Kundera veut privilégier une lecture non-historique, voire apolitique de son œuvre pour éviter qu’elle ne soit associée à une banale critique d’un régime. Il va même jusqu’à affirmer dans un entretien rapporté par Martin Rizek dans sa thèse Comment devient-on Kundera: Il est des commentateurs possédés par le démon de la simplification qui les assassinent les œuvres en leur surimposant une interprétation politique. Ceux-là ne s’intéressent aux écrivains dits « de l’Est » que dans la mesure où leurs œuvres sont interdites. (Rizek, 2001: 180) Luís Carlos Pimenta Gonçalves http://carnets.web.ua.pt/ 236 Dès 1990, avec la publication de L’Immortalité qui échappe à l’univers tchécoslovaque, certains lecteurs et critiques sont déçus et troublés de ne pas retrouver le décor habituel des romans de Kundera. Alors que le mur de Berlin vient à peine de tomber, l’animateur de radio et de télévision Michel Polack signe dans L’Événement du Jeudi, de janvier 1990 un retentissant et lapidaire: « Kundera, go home ». Il conseille au romancier d'origine tchèque d'écrire dans sa langue natale plutôt que directement en français et de rentrer au pays. Objurgation dont on retrouve d’une certaine façon l’écho dans l’incipit de L’Ignorance, dix ans après : « Qu’est-ce que tu fais encore ici! », s’exclame Sylvie l’amie française d’Irena à la réfugiée tchèque. Malentendus linguistiques et littéraires Mais c’est quand, le romancier adoptera définitivement le français comme langue d’écriture que les critiques se feront encore plus virulentes et surgiront d’autres malentendus littéraires. Angelo Rinaldi, dans l’Express du 15/1/1998, résume assez bien une opinion courante dans certains milieux littéraires : l'écrivain tchèque, si excellent dans sa langue maternelle et désormais rallié au français - qui n'en est pas à un outrage près - n'a pas apprécié les grincements des confrères dans leur accueil à La Lenteur. Son ouvrage suivant, il a donc préféré le publier d'abord en traduction à l'étranger, où il s'est procuré de quoi amortir les chocs. De la même façon, le dernier roman de Kundera, L’Ignorance, pour contrer d’éventuels malentendus, se soumet d’abord à l’épreuve de l’étranger et est publié tout d’abord en Espagne en 2000, avant d’être finalement édité en France, dans sa langue originelle, en 2003. Avant cela, L’ignorance paraîtra dans de nombreux pays, dont le Portugal en 2001, devenant même un best-seller en Italie. Ce délai de l’édition française s’explique selon Michel Déon, cité par André Clavel, dans L’Express, 3/4/2003, par le fait que Kundera «est très sensible et facilement blessé. Il est devenu la bête noire d'un petit cercle qui impose sa loi au milieu littéraire. Jouissant d'une reconnaissance internationale, il préfère publier ses livres dans des pays où ils seront examinés la tête un peu plus froide.» Ce retard dans l’édition française du dernier roman contribue à alimenter le ressentiment qui ne fait que s’aggraver auprès de son lectorat français qui se sent exclu de la primeur du dernier ouvrage. Pour le journaliste Pierre Assouline, le dernier essai, Le rideau, confirme ce qu’il pensait à propos de ses romans français. De l’écrivain franco- tchèque, Assouline déclare perfidement dans son blogue La République des livres: “Depuis Reinventando o "francesismo" http://carnets.web.ua.pt/ 237 qu’il a décidé d’écrire en français, il uploads/Litterature/ loeuvre-en-francais-de-milan-kundera-ou-les-malen.pdf

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