La violence et le Discours antillais an feminin: Vne approche ala litterature d

La violence et le Discours antillais an feminin: Vne approche ala litterature des Caraibes Ida Eve Heckenbach Louisiana State University, Lafayette Des manifestations de la violence apparaissent atravers beaucoup de textes aux Caraibes. Publique, privee, politique, domestique ou communautaire, la violence est un leitmotiv qui parait chez les ecrivains comme chez les ecrivaines. Les societes aux Caraibes, fondees par la colonisation, la traite et l'esclavage (Corzani 15-16) ne peuvent que devoiler cette violence fondatrice dans leur production litteraire. Bien plus, la violence se manifeste dans la realite quotidienne et cette presence surface regulierement dans les romans comme dans les ecrits theoriques. 11 est difficile de cemer une definition de la violence; physique ou mentale, privee ou publique (Cotta 55, 59) elle sera consideree dans le present travail comme l'absence de respect pour l'Autre. De l'Antiquite anos jours, philosophes, biologistes, psychologues ontjustifie, glorifie ou excuse la violence. Quelques penseurs ont quand meme avance que l'etre humain ne se reduit pas aune nature violente.1 Mais ces deux tendances se dessinent atravers les differentes sciences, produisant une divergence dans la pensee humaine par rapport a la question de la violence. Cette divergence se revele difficile a reconcilier car ceux qui considerent la violence salutaire pronent les effets comme necessaires pour l'amelioration de l'espece et ceux qui pensent que la violence est nefaste explorent les possibilites pour la reduire. Ces deux discours s'opposent: le discours dominant, generalement masculin, excuse la violence par l'histoire et exclut souvent la femme comme unite subjective alors que le discours feminin remet en question la justification de la violence en refusant l'exclusion de l'Autre. Recemment les feministes en particulier ont revele la structure et l'impact des discours qui pronent la violence. La prise de parole de la femme, qui s'est avere importante dans l'elaboration d'une nouvelle esthetique, s'avere tout aussi centrale dans la creation d'une nouvelle ethique. Heckenbach ·:·37 Les peres de la parole aux Caraibes, comme Frantz Fanon et Aime Cesaire articulerent un discours antillais enelaborant le concept de la Negritude. Ensuite, le Discours antillais d'Edouard Glissant devint la reference quant au travail de I'ecriture et de l'esthetique. Finalement la Creolite, concept auquel souscrivent Chamoiseau, Bemabe et Confiant (voir Eloge de la creolite) s'impose. Face a. ces discours masculins, il existe aussi un discours antillais au feminin. Par contre, a. la difference du Discours antillais qui se presente comme une parole unie, reunie, le discours antillais au feminin est une parole qu'il faut degager par un travail archeologique pour le constituer. Ce discours, enonce par des differentes ecrivaines, s'avere un texte "qui n'en est pas un" pour rappeler lrigaray,2 c'est-a.-dire qu'il n'existe ni en tant que theorie articulee ni en tant que "texte." Ainsi, ce "discours" s'oppose aux discours antillais au masculin tant par sa forme que par son fond. Le present travail reunit ces voix eparpillees pour esquisser ce discours altematifau feminin. La theorisation d'une voix authentiquement antillaise dans Le discours antillais s'avera une veritable prise de parole. Mais une lecture attentive revele que Glissant reste dans les limites d'un discours masculin. Tout comme ses predecesseurs Fanon et Cesaire, il demeure dans un carcan dialogique DOM/hexagone et s'adresse a. cet Autre qui est l'ancien colon. En s'appropriant la parole, Glissant bouleverse le modele dominantldomine qui s'est perpetue aux Antilles, le dominant etant l'Europeen, le domine etant lui-meme et ses semblables, les Antillais. Mais l'Antillanite, comme la Negritude qui la precedait et la Creolite qui la suit, s'etablit sur une base theorique contradictoire: d'une part reclamant la liberation du noir de la domination blanche, d'autre part reproduisant la domination masculine (Shambrook 159-160). En realite, le transfert de pouvoir de l'homme blanc a. l'homme noir assure la continuite du schema de dominantldomine et un discours dominant, cette fois-ci vis-a.-vis de la femme. Le discours antillais au feminin s'avere subversifpuisqu'il remet en question ces discours masculins qui s'associent a. la continuation de la domination de la femme. Deborah McDowell constate que le langage critique de la femme noire est presente comme en dehors des limites de ce qui "peut etre dit" (169-170) revelant une marginalisation totale de la parole feminine noire. Pour pallier a. cette marginalisation, elle prone une position qui efface I'ecart entre l'ecriture "creative" et l'ecriture "theorique."3 En voulant brouiller les limites entre creation et theorie, McDowell preconise la liberation du texte et de toute interpretation qui voudrait limiter ces voix qui meritent d'etre ecoutees. En effet, le discours antillais au feminin est compose des voix de plusieurs ecrivaines, voix eparpillees dans des textes creatifs et theoriques, des romans, des articles. Cette nouvelle voix remet en question le discours dominant. Souvent en marge, cette ecriture au feminin outrepasse "le discours qui regit le systeme phallocentrique; elle a et aura lieu ailleurs que dans les territoires subordonnes a. la domination philosophique- theorique" (Cixous 169-170). La prise de parole de la femme devient le refus de I'exploitation. "Elles mettent en cause toute theorie, toute pensee, tout langage existant, en tant que monopolise par les seuls hommes. Elles interpellent lefondement meme de notre ordre social et culturel, dont le systeme patriarcal a prescrit l'organisation" (Irigaray 160). LitteRealite .:. 38 .------------------------------------~---- Les discours de domination dependent sur la possibilite de hierarchiser les etres humains. Le discours philosophique, derive en ligne droite des Grecs, reflete une ideologie ou I'homme est maitre et la femme exclue.4 L'ideologie qui soutint la colonisation decoule d'une idee generale ou la masculinite equivautala maitrise de la nature et OU la domination des choses est liee ala domination des etres (Brittan 181). La plupart des ecrivaines refutent les discours de domination qui pronent la violence. BIles s'associent aux penseurs qui soutiennent que I'Homme, malgre sa capacite de violence, n'est pas reduit a cette unique possibilite. Simultanement, elles s'opposent al'exclusion systematique de la femme pratiquee par tout discours dominant. Le projet des ecrivaines aux Carai'bes s'articule autour de la possibilite de valoriser la voix feminine et la construction d'une ideologie qui recuse la violence.s La principale theoricienne de ce discours altematif est Maryse Conde. Son reuvre, composee de romans, d'etudes theoriques, de pieces et nouvelles exemplifie la difficulte de parler d' "un" discours antillais au feminin. Conde considere la relative absence de la femme de la production litteraire aux Cara'ibes comme un resultat du discours dominant: la marginalite de l'ecrivaine proviendrait de son refus d'accepter les normes dictes par des differents mouvements litteraires, des Indigenistes des annees 20 jusqu'aux Creolistes d'aujourd'hui ("Order" 122-130). La subversion dont parle Conde vient de la transgression par les femmes des "regles" etablies par les hommes pour la litterature. Conde a souvent ecrit hors les "regles" etablies. Ses multiples romans peuvent etre difficilement classes dans les "mouvements" reconnus et elle ne se soumet pas aux exigences de l'ecole la plus recente, la Creolite. EIle n'est pas la seule pour qui la reconnaissance en tant qu'ecrivaine aete differee. Simone Schwarz-Bart s'est trouvee accusee d'un "manque d'engagement" (Lettres creoles 183)ala sortie de Pluie et ventsur Telumee Miracle. Le roman a ete re9u froidement aux Antilles, et plus tard le texte a ete recupere par des universitaires antillais qui ont deconstruit l'irreverence du texte et ont facilite son acceptation comme "chef d'reuvre feminin" (Conde, "Order" 134). Finalement, Marie Vieux Chauvet, ecrivaine haYtienne, a produit cinq romans (dont trois primes) mais ne figure que rarement dans des anthologies ou des traites litteraires.6 Le critique acerbe qu'elle portait envers le regime politique en HaIti lui a impose l'exil et son ecriture represente peut-etre les attaques les plus puissantes des Duvalier. Suivant la piste indiquee par McDowell qui ouvre la possibilite de mettre ecriture "creative" et "theorique" au meme plan, ces deux romancieres se joignent aConde parce qu'elles abordent la question de la violence dans les textes suivants: Traversee de la mangrove, pour Conde; Pluie et ventsur Telumee Miracle, pour Schwarz-Bart et Les rapaces, pour Vieux. Dans ces trois textes, on peut degager des elements d'un discours antillais au feminin, un discours qui se profile autrement que celui qui emane des ecrivains par rapport ala thematique de la violence. Une tentative de modification du statu quo doit deconstruire les mecanismes qui sous- tendent la violence. Ce projet discursif emprunte une voie ou, comme le dit Laroche: "en Heckenbach ·:·39 changeant de langage [on arrive a] renverser le mouvement par lequella conscience apprehende le reel ("Violence et langage" 121). Pour ces ecrivaines plusieurs techniques litteraires sont disponibles, dont certains seront abordes ici: une representation differente du temps et de l'espace, une "relative carence de I'evenementiel," et la presence du "je" et du "corps dans le texte," surtout le corps feminin (Didier 33-35, voir aussi Herrmann 137-163, Cixous 175-176, Ouellette-Michalska 291-292, 307). Ces elements sont primordiaux dans leur vision de la violence et leur remise en question, directement ou indirectement, du discours masculin. Dans I'ecriture au feminin, le temps n'est plus une "perspective temporelie, organise, marquee par la realisation des buts" qui constitue souvent I'ecriture masculine (Herrmann 154). Le temps "au feminin" deconstruit la valorisation de la violence car ce "temps cyclique, toujours recommence" (Didier 33) nie l'efficacite de la violence masculine qui uploads/Litterature/ la-violence-et-le-discours-antillais-an-feminin-une-approche-ala-litterature-des-caraibes.pdf

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