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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Elena Dagrada, André Gaudreault et Tom Gunning Cinémas : revue d'études cinématographiques / Cinémas: Journal of Film Studies, vol. 10, n° 2-3, 2000, p. 207-223. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/024823ar DOI: 10.7202/024823ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 19 octobre 2013 11:21 « Regard oblique, bifurcation et ricochet, ou de l’inquiétante étrangeté du carrello » Regard oblique, bifurcation et ricochet, ou de l'inquiétante étrangeté du carrello Elena Dagrada, André Gaudreault et Tom Gunning RÉSUMÉ Le carrello, qui ponctue à maintes reprises le fameux film Cabiriaàt Giovanni Pastrone (1914), est l'une des figures les plus intrigantes du cinéma italien des années dix. Les historiens traditionnels du cinéma le voient gé- néralement comme l'ancêtre du travelling. Tel ne serait pas le cas, selon les auteurs du présent article. Même s'il fait indubitablement partie de la famille des mouve- ments de caméra, même s'il implique un mouvement de la caméra sur un chariot, au même titre que le tra- velling institutionnel, le carrello cabirien serait doté de plusieurs traits spécifiques qui en font un cas unique dans l'histoire du cinéma. ABSTRACT The carrello, that punctuates time and again Giovanni Pastrone's famous Cabiria (1914), is one of the most intriguing figures in Italian cinema of the 1910s. Tradi- tional historians of cinema generally consider it as an ancestor of the traveling shot. Now, such would not be the case, according to the authors of this article. Even if it is indubitably part of the family of camera move- ments, and even if it implies the movement of a camera on a dolly, as in a traditional tracking shot, the " cabi- rian " carrello is endowed with several specific characte- ristics that make it a unique case in the history of ci- nema. La recherche dont nous ferons état icil devait à l'origine por- ter exclusivement sur la confrontation entre le film Cabiria (Pas- trone, 1914) et ses chutes, dont une bonne partie a été récem- ment retrouvée. Il devait y être essentiellement question de montage et de mise en scène. Mais en cours de route, cet étrange objet qu'est le carrello cabirien, objet aussi fabuleux que le film lui-même, s'est imposé à notre regard. C'est pourquoi nous avons dévié de notre itinéraire. Il s'agira ici de démontrer la spécificité du carrello et d'en tirer les conséquences, c'est- à-dire de situer Cabiria dans l'histoire du cinéma et de considé- rer la place essentielle qu'il y occupe. Les historiens de l'ancienne génération ont beaucoup glosé sur le carrello cabirien, mais sans jamais proposer un schéma de lecture qui lui soit adéquat. Un chercheur de la nouvelle généra- tion, Paolo Cherchi Usai, en a récemment proposé une interpré- tation d'un type nouveau dont Yuri Tsivian rend compte ainsi : Cherchi Usai defined the « Cabiria movement » (or, ra- ther, the « Cabiria-type movement ») as a camera ges- ture that « invited » the viewer in the diegesis, that « in- troduced » him to the space of the film. Cherchi Usai calls this type of tracking shot a « come with me » ca- mera movement» (p. 205-206). L'impression première que donne le carrello cabirien est effec- tivement celle d'un emportement On dirait que le mouvement de la caméra nous emporte avec lui, qu'il nous rapproche de la scène. Il faut dire aussi que le spectateur contemporain de la sor- tie de Cabiria a justement besoin de cette sorte d'invitation à entrer dans la diégèse, qu'il a nettement besoin d'encourage- ment à s'introduire, ne serait-ce que de façon «virtuelle2», dans l'espace occupé par les personnages, de manière à se sentir plus intimement concerné par ce qui se passe à l'écran. Il n'est en ef- fet pas loin ce temps où la confrontation exhibitionniste3 faisait la loi dans le monde des vues animées. Et le système d'intégra- tion narrative qui allait justement favoriser une absorption dié- gétique dont l'institution avait besoin pour s'ériger4 n'est en- core, en 1913-1914, qu'en voie de formation. Il est possible, donc, de lire le carrello cabirien, du moins le carrello-in, comme une invitation faite au spectateur pour qu'il 208 CiNeMAS, vol. 10, nos 2-3 adopte la foulée et la direction du mouvement de la caméra; pour qu'il se déplace, lui aussi, ne serait-ce que symbolique- ment, en direction de ces ombres et figures qui sont projetées sur l'écran; pour qu'il essaie d'y trouver une place, pour qu'il essaie d'y faire sa place. Et pourtant, il semble qu'il faille con- sidérer le carrello sous un autre angle, qu'il faille renverser l'orientation de sa trajectoire implicite. Certes, il serait bien ce mouvement qui amène le spectateur à se mobiliser, sur le plan symbolique, pour aller en direction des personnages de la dié- gèse et s'approcher d'eux ; mais il serait encore, et dans le même temps, un mouvement qui amène les personnages de la diégèse en direction du spectateur, qui amène la scène elle-même à se rapprocher du spectateur: carrello-in, donc, mais aussi... plateau-in. Il y a en tout cas un spectateur, et qui plus est un spectateur «professionnel», qui, déjà en 1914, a considéré le carrello de pa- reille manière. Voici ce qu'écrit en effet un critique de cinéma dans le New York Dramatic Mirror: Among the photographic novelties is one frequently used with fine effect. Scenes are slowly brought to the foreground or moved from side to side, quite as though they were being played on a movable stage. By this me- thod full value is given to deep sets, and without any break the characters are brought close to the audience5. «Les personnages sont amenés en direction des spectateurs [...].» Ainsi, d'après ce critique contemporain, le carrello cabi- rien produirait un effet de rapprochement de l'instance acto- rielle en direction de l'instance spectatorielle plutôt que l'effet inverse, dont on sait par ailleurs qu'il est habituellement l'effet produit par le travelling dans le cinéma institutionnel. Com- ment expliquer cette disparité entre deux mouvements apparem- ment si semblables l'un à l'autre ? C'est que le carrello cabirien et le travelling institutionnel (ou, mieux encore, le tracking institu- tionnel) ne relèvent pas du même paradigme et qu'ils ne s'adres- sent pas au même spectateur. Avec le tracking, c'est la caméra — et avec elle le spectateur — qui se rapproche des objets ou des sujets filmés. Dans le cas du carrello, ce serait le contraire : ce se- raient les objets filmés qui viendraient au-devant du spectateur, Regard oblique, bifurcation et ricochet, ou de l'inquiétante étrangeté du carrello 209 comme si on les lui servait sur un plateau... Alors que le travel- ling du cinéma classique permet à l'instance spectatorielle de se mobiliser pour s'introduire dans l'espace même de la représenta- tion, un espace enveloppant, fondé précisément sur le centre- ment du spectateur, le carrello cabirien s'adresserait à un specta- teur qui reste campé dans une position d'extériorité par rapport à cet impénétrable écran qui diffuse des images que son regard ne peut que frôler. Voilà qui met en question la paternité attribuée au carrello. Ce dernier n'est peut-être pas ce que l'on a toujours dit de lui : l'ancêtre du travelling. Le carrello a beau être une sorte de travel- ling — vu la mobilisation effective de la caméra —, il doit en être distingué. Car il est tout le contraire du tracking qui, comme son nom l'indique, permet au cinéaste de traquer son ou ses personnages, telle une bête sa proie. Si le tracking frappe en plein dans l'œil, le carrello, lui, aussi tactile que visuel, ressemble plutôt à une caresse furtive, faite à fleur de peau et à l'aveuglette. Mais qu'est donc, au juste, le carrello cabirien ? Désormais, il s'agit là pour nous d'une question essentielle, et à laquelle nous répondrons d'abord en abordant ce mouvement de caméra sous l'angle de ses fonctions, puis du point de vue de ses traits spéci- fiques. Notre étude nous a permis de dégager trois fonctions du car- rello cabirien, fonctions qui ne sont pas exclusives l'une de l'au- tre: 1. le carrello peut avoir une fonction d'exploration; le mo- bile sur lequel on a monté la caméra amène celle-ci à circuler dans l'espace sans visée apparente6; Vaccent est alors mis sur les rapports spatiaux plutôt que sur le personnage ou sur le décor 2. le carrello peut avoir une fonction $ indexation; il a comme visée apparente d'amener la caméra à mettre en relief action ou per- sonnage uploads/Litterature/ gunning-gaudreault-dagrada-sur-carrello-em-cabiria-pdf.pdf

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