Spirale - Revue semestrielle de l'École Normale de Lille - N°3 1990 (51-70) Cla

Spirale - Revue semestrielle de l'École Normale de Lille - N°3 1990 (51-70) Claire LAMBERT A PROPOS DE LA MÉTHODE DOMAN : POUR QUELLE LECTURE ? Le propos que nous souhaitons ici introduire tient plus d'un question- nement qui pourrait peut-être être l'objet d'un débat à suivre dans les nu- méros suivants de Spirale que d'un jugement de valeur sur l'application de la méthode Doman à l'apprentissage (très) précoce de la lecture. Il faut ce- pendant souligner combien il est surprenant de constater que cette applica- tion précise n'a été soumise à aucune évaluation scientifique, en tout cas publiée, alors qu'elle fait régulièrement -nous n'osons dire cycliquement- l'objet de "campagnes publicitaires". Il ne semble pas inutile de rappeler les fondements de la méthode, ses principes initiaux d'application, ses "dérives" vers les enfants intellectuelle- ment sains. Il faudra ensuite tenter de poser les problèmes. I - LES FONDEMENTS DE LA MÉTHODE : La méthode se veut thérapeutique en cela qu'elle prétend "guérir" la quasi-totalité des handicaps, de la dyslexie à la trisomie 21 en passant par l'autisme et l'infirmité motrice cérébrale. Comme le signalent Tomkiewicz et al. (1987), "les fondements théoriques et les premières applications à des patients venant de subir une intervention neurochirurgicale sont l'oeuvre d'un neurochirurgien de Philadelphie ; c'est un membre de son équipe, Glenn Doman, kinésithérapeute, (et non médecin comme cela est parfois avan- cé, c'est l'auteur qui souligne), qui en association avec Carl Delacato (docteur en sciences de l'éducation), a développé, étendu les indications et popularisé la méthode". Le principe défendu par Doman est que tous ces enfants handicapés sont simplement porteurs de lésions cérébrales qu'il suf- fit de "contourner" pour retrouver la voie du normal. Une de ses idées force est que chaque étape du développement de l'enfant correspond à une structure cérébrale précise et identifiable, et qu'il faut donc passer par chacune de ces étapes pour permettre au processus de se poursuivre. Il en vient alors à affirmer "l'obligation pour tout être hu- main de passer par une série d'étapes invariables pour obtenir un dévelop- 52 pement psychomoteur normal" Pour lui quatre étapes demeurent primordia- les : * le mouvement au sol * le ramper * le quatre pattes * la marche "Cette voie… ne permet aucune variance. Pas de détour, pas de tra- verse…. Chaque bien portant dans son processus de développement la suit obligatoirement sans dévier d'un pouce…" (Doman, 1980). "Aucun enfant ne saute une étape sur ce chemin". Pour l'auteur, un écart dans ce proces- sus de développement est jugé pathologique. "…un enfant qui, pour une raison quelconque, saute une étape, n'est pas normal…". Plus grave encore sont ses inférences non étayées qui le font passer du domaine de la motilité à celui du fonctionnement cérébral global : "la moindre faille dans le dérou- lement de ces quatre stades fondamentaux (cf. la marche debout sans la marche à quatre pattes) entraîne des conséquences graves telles que mé- diocre coordination, mauvaise latéralisation, mauvaise dominance hémisphé- rique… Un enfant qui ne traverse pas ces stades dans l'ordre rigoureux pré- cité, quel que soit le temps passé dans chaque stade, présente tôt ou tard un accident ou un problème neurologique plus ou moins sérieux". ! Comme le signalent à juste titre, Tomkiewicz et al., on voit là se dessi- ner une théorie très rigide qui ne tolère aucune déviation au schéma initial, ce qui, pour les auteurs, permet de comprendre — mais sûrement pas d'ad- mettre — les pratiques aberrantes telles qu'empêcher un enfant de marcher pour… lui faire acquérir le langage. Une autre idée-force développée par Doman et qui lui permet de convaincre les parents d'enfants handicapés de la nécessité d'un travail permanent sur leur enfant est que, dans notre cerveau, "la fonction déter- mine la structure". Il se permet alors de rappeler : "n'oublions pas que nom- bre d'enfants qui nous arrivent aveugles finissent par lire. N'oublions pas que nombre d'enfants qui nous arrivent sourds finissent par entendre…", et d'affirmer : "l'exercice développe le cerveau comme il développe les biceps", enfin de répéter : "fréquence, intensité, durée sont les trois mots les plus importants, dans le monde de l'enfant qui souffre de lésion cérébrale". Ceci est d'autant plus important quand on sait que pour lui, tout enfant souffrant d'un handicap quel qu'il soit, est porteur de lésion cérébrale. Ce principe de l'exercice développant le cerveau est naturellement repris par la suite dans ses programmes d'apprentissage précoce. En traduisant scientifiquement les idées de Doman, on peut dire qu'un grand nombre de stimulations provenant de la périphérie (en particulier des stimulations motrices et sensorielles) peuvent, par voie rétrograde, provo- quer des modifications trophiques ou fonctionnelles permanentes au niveau central, c'est-à-dire, dans le cerveau. L'honnêteté nous impose de signaler 53 que cette plasticité du cerveau, qui serait modifiable par voie rétrograde, constitue à l'heure actuelle une hypothèse de recherche qui continue d'être explorée. Karli (1974) passe en revue les travaux explorant le rôle des sti- mulations dans le rôle du cerveau. Il constate que les recherches les plus nombreuses ont porté sur le développement du système et de la fonction visuels, mais il déplore le fait que dans les démarches expérimentales visant à étudier le rôle joué par les stimulations, le rôle structurant des afférences proprioceptives ont été laissées de côté. Hunt (1979) analyse l'impact des expériences précoces sur le développement psychologique, et conclut que ces expériences sont vraisemblablement propices à une plus grande adapta- bilité future des enfants dans des situations requérant de leur part diverses modifications et organisations comportementales complexes (prises d'initia- tive, capacité à solliciter de l'aide de l'adulte à bon escient, capacité à ap- porter de l'aide à bon escient, etc. et la capacité d'apprendre à apprendre que l'auteur signale comme semblant être très importante dans le dévelop- pement des compétences futures). A partir des travaux menés sur l'animal, Touwen (1980) émet l'hypothèse que la capacité à extraire de l'information de l'environnement augmente au cours du développement, mais est généti- quement déterminée et plafonnée dans chaque espèce. Les effets du milieu ont un impact fonctionnel différent à l'intérieur de ces limites, selon le ni- veau de maturation atteint par les systèmes sollicités. Il suggère que chez l'embryon, au début du développement du système nerveux, les stimula- tions sensorielles serviraient surtout à préserver et stabiliser des structures en formation alors que, plus tard, chez le fœtus et le nourrisson, elles exer- ceraient un rôle organisateur dans le développement de ces structures. Ces arguments ont donné lieu à un nombre important de travaux sur l'apport des stimulations sensorielles, tactiles, proprioceptives précoces dans le dé- veloppement des enfants nés grands prématurés (c'est-à-dire dont l'évolu- tion maturative a été interrompue). Enfin, Grubar et al. (1988) étudient l'ef- fet d'une molécule biochimique connue pour modifier positivement le som- meil, chez des enfants déficients mentaux auxquels ils délivrent un pro- gramme d'apprentissages intensifs. Ils constatent que ce sont les seuls en- fants ayant bénéficié à la fois de la prise de molécule et du programme d'apprentissages qui voient leur QI se modifier dans le sens d'une augmenta- tion. Nous ne voulons pas introduire de polémique concernant ces travaux dont la valeur scientifique est incontestable et dont les résultats doivent être connus et, sans doute, pris en compte, mais nous ne pouvons que constater qu'ils ont apporté à Doman matière à alimenter ses argumenta- tions dont il tire des conséquences thérapeutiques que Tomkiewicz et al. considèrent relever plutôt de "l'expérimentation sauvage". Ainsi lorsqu'il parle de l'avenir des enfants lésés cérébraux, il insiste sur le fait que celui-ci ne peut que s'améliorer. En même temps, il insiste sur la sous-estimation et la sous-évaluation des capacités d'apprentissage du jeune enfant : c'est ain- 54 si que dans son livre "les guérir est un devoir", il introduit son livre J'ap- prends à lire à mon bébé (1983), et ses conceptions sur les bénéfices de l'apprentissage précoce des bébés tout venant. C'est en s'appuyant sur ces conceptions qu'il a créé dans son institut à Philadelphie, une section spéciale réservée à cet usage. II - LES PRINCIPES INITIAUX D'APPLICATION L'application de la méthode peut être décomposée en deux temps fon- damentaux : l'évaluation et le programme. Sont appelés "thérapeutes" par les parents, tous ceux qui appliquent la méthode Doman ou dérivée, qu'ils soient médecins ou non. I.1 L'évaluation : Celle-ci semble être l'essence même de la méthode et permet, en cons- tituant le fondement de chaque consultation, de donner à ces dernières une allure très rigoureuse. Ces évaluations, répétées deux à trois fois par an, (au centre américain de Doman comme il se doit), sont basées sur le rapport verbal et les notes écrites des parents ainsi que sur les examens de l'enfant pratiqués par différents membres de l'équipe (leur durée peut varier de huit heures à sept jours). Les résultats sont alors exprimés sur une grille "déve- loppementale" qui permet de visualiser l'état et les progrès de l'enfant en termes d'étapes et "d'âges théoriques" comparés à l'âge chronologique. Tomkiewicz et al. n' hésitent pas à parler du caractère mystifiant de certai- nes uploads/Litterature/ lambert-claire-a-propos-de-la-methode-doman-spirale-3-1989 1 .pdf

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